Chapitre 43 Promenades - Partie 1

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 Sin fo se réveilla en sursaut. Elle avait cru entendre un craquement, et surtout elle percevait une présence dans la pièce. Elle entrouvrit les yeux et vit que Hank dormait paisiblement dans le lit à côté d'elle. Pourtant son lien avec la magie, qui fonctionnait de manière inconsciente pendant son sommeil, l'avait avertie que quelqu'un était entré dans la chambre. Elle glissa lentement la main sous son oreiller pour attraper le poignard qu'elle y avait caché. Mais dès que le manche de l'arme fut dans sa paume, elle sût qu'elle n'en aurait pas besoin.

 Elle était tout à fait éveillée désormais, et son esprit désembrumé avait fini par reconnaître l'aura de Tabatha. Elle relâcha son arme et se tourna lentement dans le lit pour ne pas éveiller son mari. Malgré l'obscurité qui régnait encore à cette heure matinale, elle put voir que la princesse était bien là, assise par terre face à la fenêtre, les bras autour des genoux. Sin fo écarta la couverture et se leva en silence. Elle s'approcha à pas feutrés de son amie et lui posa une main sur l'épaule.

 Tirée de sa rêverie, la jeune fille sursauta et Sin fo s'empressa de lui murmurer des paroles de réconfort.

- N'aie pas peur, ce n'est que moi.

- Sin fo, que fais-tu debout ? Ce n'est pas moi qui t'ai réveillée j'espère ? J'ai essayé de ne pas faire de bruit, mais le plancher grince dans ces vieilles bicoques.

- Tu n'as pas fait de bruit, j'ai juste senti que tu étais là.

- Ton fameux pouvoir, hein ?

- Oui, j'essaye de ne pas trop m'en servir quand il y a des djaevels, mais je le fais sans m'en rendre compte quand je dors.

- Impossible de te surprendre, c'est plutôt pratique.

- Oui mais j'ai aussi beaucoup de mal à passer une nuit sereine. On dirait que je ne suis pas la seule d'ailleurs. Que fais-tu dans notre chambre au beau milieu de la nuit ?

- Je voulais voir dehors et je n'avais pas de fenêtres dans la mienne.

- Mais pourquoi ne dors-tu pas ?

- Je n'y arrive pas. Je pense sans arrêt à Maxou, répondit Tabatha la gorge serrée.

- Je comprends, assura Sin fo, mais il faut que tu dormes. Nous allons marcher toute la journée, et tu n'y arriveras pas si tu n'as pas dormi.

- Je n'y arrive pas, répéta Tabatha avec la gorge de plus en plus serrée. J'ai peur de m'endormir parce que chaque fois que je ferme les yeux, je revois Maxou dans cette cave, enchaîné à cette table, et je revois cet homme le...

 La jeune fille laissa sa phrase en suspens car elle fut secouée d'un sanglot. Sin fo la prit maladroitement dans ses bras. Elle savait que Tabatha était à un âge où les nerfs sont à fleur de peau et que de nombreux soucis et malheurs assombrissaient ses pensées, mais elle était toujours désemparée lorsqu'elle voyait sa jeune amie pleurer. Cela lui rappelait toujours que malgré les apparences, la petite princesse était au fond d'elle extrêmement triste, et que rien sans doute ne pourrait jamais soigner cette blessure.

 Sin fo, et Hank aussi à sa manière, avait toujours pris soin de Tabatha, et l'avait aimée depuis leur rencontre comme une petite sœur, presque comme une fille selon les circonstances, mais elle n'était pas sa vraie famille. La jeune fille devait vivre chaque jour avec la perte de ses parents, et Sin fo ne pouvait rien changer à cela. Tabatha avait fait preuve de beaucoup de force de caractère et s'en était accommodée, se construisant une nouvelle vie avec des amis très proches, mais voilà qu'un de ces amis lui était à nouveau arraché. Sin fo craignait qu'elle ne soit plus jamais heureuse si elle devait perdre Maxou définitivement.

 Sin fo voulait passer un peu de temps avec Tabatha pour lui permettre d'évacuer ce qu'elle avait sur le cœur, mais Hank était à moins de deux mètres de là et dormait toujours à poings fermés. Soucieuse de ne pas le réveiller, elle proposa à Tabatha :

- Si nous sortions toutes les deux ? Nous pourrions discuter entre filles.

- Mais il fait encore nuit, remarqua Tabatha en s'écartant de son amie et en s'essuyant les yeux d'un revers de main.

- Et alors ? Nous sommes déjà réveillées, alors rien ne nous empêche de sortir, répondit Sin fo avec un sourire.

 Tabatha réfléchit une seconde et finit par acquiescer en hochant rapidement la tête, un demi-sourire sur le visage. Les deux jeunes femmes se levèrent sans bruit et Sin fo attrapa les vêtements qu'elle avait jetés au pied du lit la veille au soir avant de quitter la pièce sur la pointe des pieds. Dans la chambre voisine, celle de Tabatha, Sin fo enfila son pantalon et sa veste, et Tabatha fouilla ses affaires à la recherche d'un long manteau qu'elle avait trouvé la veille. Une fois chaudement couvertes, elles sortirent toutes deux dans la rue.

 Il était encore très tôt, mais la lumière blafarde de la lune leur permettait de voir où elles allaient. À l'extérieur du village, le bûcher brûlait encore faiblement, mais le vent qui soufflait vers le nord charriait les odeurs loin du village et les deux jeunes femmes purent profiter d'une agréable brise glacée. Tabatha frissonna dans son manteau.

- C'est une drôle d'idée de sortir aussi tôt.

- Il y a longtemps que je ne l'avais pas fait, reconnut Sin fo.

- Je crois bien ne l'avoir jamais fait, dit pensivement Tabatha.

- Jamais, s'étonna Sin fo. Même lorsque tu étais petite ?

- Quand j'étais petite, il n’était déjà pas très facile de sortir du château sans surveillance la journée, alors la nuit tu imagines ! Je crois que mon père se levait très tôt, mais il avait toujours des tonnes de choses à faire, alors c'était rare que je le voie avant le soir.

- J'ai connu cela aussi.

- Ah oui ?

- Oui, je t'ai déjà raconté que mon père était le chef du village. Bien sûr, cela n'a rien de comparable avec le roi, dit-elle en mimant une révérence très appuyée, ce qui soutira un sourire à Tabatha, mais certains jours, je ne le voyais pas du tout. Encore plus après...

 Sin fo avait failli dire « après que ma mère soit morte », mais elle ne voulait pas emmener la conversation sur ce terrain, c'est pourquoi elle continua sa phrase ainsi :

- … après que j'ai appris à me débrouiller seule.

- Tu étais seule toute la journée ?

- Non pas vraiment. Les personnes qui travaillaient pour mon père et tenaient la maison étaient toutes très gentilles et s'occupaient de moi, et j'avais des amis à l'école.

- Je n'ai jamais été à l'école, dit Tabatha avec une petite pointe d'envie. Des professeurs me donnaient des cours privés. Ah si, je suivais les mêmes leçons de danse que les autres filles du palais, mais je ne les aimais pas beaucoup. Elles étaient toutes jalouses de moi bien sûr, plaisanta la princesse en passant une main dans ses cheveux et en prenant une pose équivoque très exagérée.

- C'est normal, tu étais une gamine tellement adorable, ironisa Sin fo.

- N'est-ce pas ? Pour ma défense, elles aussi étaient de petites pestes. N'empêche que je me demande ce qu'elles sont devenues. J'espère qu'elles ont pu quitter le palais saines et sauves.

- Tu n'aurais pas ce genre de pensées si tu les avais vraiment détestées.

- Peut être. Et toi tes amis, comment étaient-ils ?

- Je m'entendais plutôt bien avec tout le monde, car mes parents m'ont appris à être diplomate. Cela m'a beaucoup servi par la suite d'ailleurs, ajouta Sin fo avec un sourire. Mais les vrais amis sont rares. Il y en a un qui a compté plus que les autres. Je l'ai connu toute petite, et il était toujours là pour moi en cas de coup dur.

- Comme moi avec Maxou, remarqua Tabatha.

- C'est exactement cela. C'était un très gentil garçon, avec le cœur sur la main. Il n'était pas comme les autres, il était un peu rêveur. C'est avec lui que je me suis promenée la première fois avant le lever des soleils. Nous étions seuls au milieu de la nuit, la ville, notre île, le royaume tout entier nous appartenait. C'est le genre d'expériences qui renforcent les amitiés.

- Avec Maxou, nous avons notre petit rituel aussi. Toutes les semaines, même si nous nous sommes vus tous les jours, nous quittons la ville et nous faisons le tour du lac, rien que nous deux. Certaines fois, nous avons marché sans parler, mais c'était important d'être ensemble.

 Sin fo fit un pas pour se rapprocher de son amie et lui pressa le bras affectueusement. Elle était contente d'avoir cette conversation. Elle permettait à Tabatha de penser aux bons moments passés avec Maxou, et pas seulement aux cauchemars qu'elle faisait.

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