Chapitre 35 Mortelle solitude - Partie 5

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  Au matin, Sin fo fut réveillée par une goutte d'eau qui tomba sur son nez. Elle se frotta le visage en fronçant les sourcils, mais ce n'est qu'après avoir reçu une autre goutte d'eau froide qu'elle se leva en grognant. Elle fit quelques pas en s'étirant, et se pencha sur Tabatha pour la réveiller.

 La jeune fille était allongée, exactement là où Sin fo l'avait installée la veille, et elle la regardait avec les yeux grands ouverts, pour autant qu'elle puisse la voir avec ses yeux révulsés. Sin fo se sentit mal à l'aise devant ce spectacle. Elle passa sa main devant les yeux de son amie, mais celle-ci ne réagit pas. Elle l'appela doucement, lui demanda de s’asseoir, et la petite princesse s'exécuta presque immédiatement. Visiblement, elle n'avait pas dormi, elle s'était contentée d'attendre allongée que Sin fo lui donne un nouvel ordre. Cette dernière en fut mortifiée, mais tenta de se raisonner en se disant qu'elle n'aurait rien pu faire de mieux pour que son amie passe une bonne nuit.

 Sin fo posa sa main contre le front de Tabatha. Elle était toujours brûlante de fièvre. Son état ne s'améliorait pas. Sin fo vérifia ensuite la température de Hank et se pressa contre sa poitrine. Sa respiration était saccadée, et les battements de son cœur étaient rapides. Trop sans doute, mais Sin fo préférait cela que l'inverse. L'état de Tabatha était stationnaire, mais celui de Hank était critique.

 Sin fo s'empressa donc de sortir le nécessaire pour allumer un feu. Elle allait perdre quelques minutes à cuire sa viande, mais elle avait absolument besoin de prendre des forces avant d'attaquer sa longue marche. Elle voulut donner un morceau de viande crue au lopvent, mais se retint in extremis. Les lopvents pouvaient manger de la viande, mais il n'était sûrement pas conseillé de leur donner de la chair d'un autre lopvent. Sin fo lui céda donc ses derniers fruits. Elle coupa ensuite quelques petits morceaux de viande cuite pour Tabatha, et quand celle-ci ne put plus en avaler, Sin fo s'occupa de son propre repas en faisant les cent pas dans la grotte.

 Tout en mordant dans son morceau de viande, elle se dirigea vers l'entrée de la grotte. Un épais brouillard recouvrait le paysage, et elle ne voyait pas à cinq mètres. Mais elle ne s'inquiéta pas. Cela était fréquent en cette saison, et elle savait que cela ne durerait pas. Elle engloutit d'un coup ce qu'il lui restait de viande et retourna à l'intérieur de la grotte en se frottant les mains sur les cuisses. Elle sella le lopvent en vitesse, et avec forces précautions réinstalla Hank dessus.

 Sin fo inspira profondément et reprit sa route. Il lui restait un long chemin à faire, et elle pensait que si elle n'était pas à Ts'ing Tao avant la fin de la journée, cela risquait d'être fatal à Hank. Elle marcha donc à une allure plus soutenue que la veille. La première heure fut difficile, car elle devait toujours avancer dans la neige, et combattre la mauvaise volonté du lopvent. La jeune femme ne prêtait pas attention aux plaintes de l'animal, mais elle avait le cœur lourd chaque fois qu'elle tournait le regard vers Tabatha.

 La petite princesse ne disait toujours rien, mais Sin fo voyait bien qu'elle avait de plus en plus de mal à avancer. Son esprit ensorcelé l'obligeait à suivre les ordres, mais son corps sous-alimenté et en manque de sommeil ne pourrait pas tenir encore très longtemps. Pourtant Sin fo ne pouvait pas se permettre de ralentir, et elle dut pousser Tabatha dans ses derniers retranchements. Par chance, la progression se fit très vite plus aisée, car les dernières traces de neiges disparurent et la descente se fit plus douce.

 Bien sur, elle rencontra sur son chemin encore quelques escarpements et quelques crevasses à franchir, mais elle parvint au pied de la montagne sans soucis majeurs. Là, elle prit cinq minutes pour souffler. Tabatha ne prit pas l'initiative de s’asseoir pour se reposer, mais Sin fo vit à ses jambes tremblantes qu'elle était à bout de forces. Elle fit donc grimper son amie sur le dos du lopvent, juste derrière Hank. Elle parcourut ensuite en quelques minutes l'étendue herbeuse qui la séparait du pont de pierre reliant les deux îles. Elle ressentit une véritable bouffée de bonheur l'envahir à la vue de son île. Plus que quelques kilomètres, et elle serait chez elle. Elle allait pouvoir confier Hank aux soins d'un médecin, prendre un bain et un vrai repas, et surtout se reposer.

 Alors qu'elle traversait le pont en se remémorant le jour où elle l'avait construit, le lopvent trébucha en criant et s'effondra en avant, en les entraînant tous trois comme des dominos. Affalée sur le ventre, Sin fo se redressa en s'appuyant sur ses coudes et cracha de la poussière en toussant. Elle tira ses pieds coincés sous le ventre du lopvent et se releva en jurant. Le choc n'avait pas été violent, mais l'animal était lourd et Sin fo avait mal à la cheville. Elle s'apprêta à hurler sur le lopvent, mais celui-ci était toujours au sol et n'avait pas l'air en bonne santé.

 Hank était toujours sanglé à la selle et assis dans une position inconfortable, et Tabatha avait roulé sur le coté. En l'observant quelques secondes, Sin fo constata que le lopvent n'était pas blessé, mais simplement exténué. Les lopvents étaient des animaux très endurants, capables de porter de lourdes charges et voler sur de longues distances, ce qui faisait d'eux les montures idéales pour voyager, mais malgré leurs pattes puissantes, ils n'étaient pas faits pour marcher très longtemps. Sin fo se rendit compte qu'elle en avait beaucoup demandé à sa monture. Mais elle ne pouvait pas s'arrêter. Pas si près du but.

 Elle écarta Tabatha et défit les sangles autour des bras de Hank, qui s'affaissa comme une poupée de chiffon et qu'elle rattrapa du mieux qu'elle put. Une fois débarrassé de son fardeau, l'animal se redressa en déployant ses ailes au sol et en s'appuyant dessus. Ayant du mal à rester debout sur ses pattes endolories, le lopvent tenta de s'envoler, mais Sin fo le retint par la bride avant qu'il ne prenne de la hauteur. Elle le ramena au sol en tirant un coup sec, et amena la tête de l'animal au niveau de sa taille pour affirmer son autorité.

- Tu ne bouges pas, lui ordonna-t-elle d'un ton sans appel.

 Le lopvent se ramassa sur lui-même et baissa la tête en signe de soumission.

- Je sais que tu es fatigué, je le suis tout autant que toi, mais j'ai besoin de toi.

 Sin fo se passa la main sur le visage pour se calmer. Crier était inutile, elle le savait. Elle voyait bien que le lopvent était à bout, mais elle ne pouvait pas faire autrement que lui faire porter ses amis qui étaient incapables de marcher. Elle aida Tabatha à se remettre en selle, mais quand elle souleva Hank pour l'installer, l'animal recula. Sin fo eut beau tirer sur ses rênes et le menacer, il ne voulut rien savoir. Lorsqu'il fit une ruade qui faillit désarçonner Tabatha, Sin fo lâcha les rênes et abandonna.

- Stupide animal, s'emporta-t-elle. Tu vas me laisser me débrouiller, c'est cela ? Tu crois peut être que je peux porter mon mari moi-même ?

 Sin fo se calma en laissant retomber ses bras le long de son corps et tourna la tête vers le nord, l'air pensive.

- Peut être que je peux le porter moi-même, répéta-t-elle à voix basse.

 Cela semblait impensable, surtout dans l'état de fatigue dans lequel elle se trouvait. Mais elle était presque sur Incuna, et elle pouvait sentir les esprits de toutes les créatures vivant à la surface de l'île, de celles qui évoluaient au fond du lac, et de tous les humains et hembras vivant à Ts'ing Tao. Sin fo ressentit également le flux d'énergie de Tabatha, assombri par l'ensorcellement dont elle était victime, et celui très faible de Hank. Sin fo étendit son champ de magie à toute l'île afin de puiser de l'énergie dans chaque créature vivante, en prenant garde de n'affaiblir ni ses amis, ni le lopvent.

 Le nombre d'esprits touchés était si important que la jeune femme sentit une incroyable vague d'énergie déferler en elle. Elle stoppa le flux après seulement quelques secondes, mais elle se sentit plus forte que jamais, plus encore que le jour où elle avait fait surgir une île du fond du lac. Si seulement elle avait pu donner un peu de cette force à Hank... malheureusement, cela ne fonctionnait pas ainsi. Elle se pencha sur son mari et l'attrapa sous les bras. Elle le souleva comme s'il ne pesait rien et l'installa sur son dos avec moins de ménagements qu'elle ne l'aurait souhaité. Toute cette énergie était une aide précieuse, mais cela demandait beaucoup d'efforts à Sin fo pour la canaliser.

 Elle donna une claque sur la croupe du lopvent pour le faire avancer et partit en courant. Sa cheville ne la faisait déjà plus souffrir, et la fatigue de la journée s'était estompée. Elle sentait la tête de Hank rebondir sur ses épaules, mais elle ne ralentit pas pour autant. Il n'était plus temps de s'occuper du confort de son mari, mais de lui sauver la vie. À la vitesse où elle allait, Sin fo ne mettrait que quelques minutes à parcourir la distance qui la séparait encore de Ts'ing Tao.

 Elle s'élança à travers les bois qui couvraient la partie sud de l'île. Le lopvent tentait de la suivre en trottinant, mais il avait beaucoup de mal à éviter les racines au sol et à ne pas cogner son corps massif contre les troncs des arbres. Par chance, en envahissant l'île et en la quittant, les djaevels avaient piétiné le sol et arraché de nombreuses plantes, ce qui rendait le chemin plus praticable. Sin fo traversa le bois sans s'arrêter et déboucha sur la rive sud du lac, à l'endroit où elle avait affronté les djaevels. Elle revit avec satisfaction les dizaines de colonnes de pierre qu'elle avait créées pour combattre les djaevels. Elle était fière de sa force, de sa maîtrise de son pouvoir, même si celles-ci n'avaient pas été suffisantes pour tous les arrêter.

 Elle longea la ligne de colonnes qui courait depuis l'orée du bois, pénétra dans l'arc de cercle entourant le lac, et s'engagea sur le pont. Le bois craqua sous le poids conjugué de la jeune femme et du lopvent, mais elle ne ralentit toujours pas et courut jusqu'au centre du village. Là, sur la place du marché, elle s'arrêta près du bûcher qui brûlait encore et hurla pour qu'on lui vienne en aide.

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