Chapitre 35 Mortelle solitude - Partie 1

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 Tenant toujours Hank fermement serré contre elle, Sin fo essayait de retenir ses pleurs. Des larmes perlaient malgré tout, et en coulant lui gelaient le visage. Elle s'essuya les joues d'un geste rageur et poussa un long cri pour évacuer sa détresse. Elle ne devait plus pleurer. Non seulement cela pouvait s'avérer dangereux à de telles températures, mais surtout cela ne lui servirait à rien. Ce n'était pas en s'apitoyant sur son sort qu'elle allait pouvoir sauver la vie de sa famille. Ce n'était pas ainsi que son père l'avait élevée, et ce n'était pas non plus ainsi que son mari menait sa vie. Elle se devait de faire honneur à leurs noms.

 Elle déposa doucement Hank dans la neige et se releva. Elle devait agir vite, et commença par faire un point de la situation. Un rapide coup d'œil en direction de son lopvent l'informa que celui-ci n'avait pas bougé, pas plus que Tabatha. Ils semblaient tous les deux frigorifiés, mais ils n'avaient pas fait le moindre geste pour s'éloigner. Le lopvent se contentait de se dandiner d'une patte sur l'autre en glapissant chaque fois qu'il reposait sa patte dans la neige.

 Sin fo reporta son attention sur le lopvent de Hank. Il était en piteux état. Sa blessure à la patte ne saignait plus, mais Sin fo ne savait pas si c'était le froid qui avait engourdi la plaie, ou si le lopvent n'avait tout simplement plus assez de sang à perdre. La chute l'avait évidemment meurtri, et les coups que lui avait donnés Sin fo pour dégager Hank n'avaient pas arrangé les choses. L'animal se débattait faiblement en tentant de se relever, mais Sin fo avait déjà compris qu'il était trop tard pour lui.

 La jeune femme ne savait pas encore comment elle allait rejoindre Ts'ing Tao, mais il était évident que ce ne serait pas à dos de lopvent. Tout ce qu'elle pouvait faire désormais, c'était abréger ses souffrances. Elle sortit sa dague, l'approcha du cou de l'animal, et se ravisa en le voyant tressaillir à la vue de la lame. Elle rangea son arme et posa une main sur le cou du lopvent pour le tenir, et une sur sa poitrine pour l'apaiser. Elle sentit son cœur battre faiblement et les muscles de son cou se tendre sous l'effet de la peur. Sin fo récita une rapide prière à Yembet et Melunet et commença à puiser les forces du lopvent.

 Elle n'aimait pas tuer les animaux de cette façon, car elle ressentait le néant au moment où la vie les quittait, mais de cette manière le lopvent partirait de manière plus paisible, et Sin fo allait pouvoir profiter de cette énergie. En mêlant son esprit à celui du lopvent, elle discerna quelque chose qu'elle n'avait encore jamais ressenti chez un animal, et pourtant elle sut immédiatement à quoi elle avait affaire. Un autre esprit que le sien se trouvait dans la conscience du lopvent.

 Sin fo reconnut avec effroi l'esprit qui l'avait elle-même torturée la veille, celui du roi-sorcier, maître des djaevels. Sin fo avait maintenant la certitude que la contamination se faisait par morsure, mais elle n'aurait jamais imaginé qu'elle puisse affecter les animaux. L'esprit de cet homme semblait agir comme un poison. Si elle comprenait qu'on puisse théoriquement prendre le contrôle de l'esprit d'une autre personne, elle n'arrivait pas à imaginer la puissance nécessaire pour en contrôler des centaines de milliers simultanément. Si en plus il pouvait aussi soumettre les animaux, il pouvait être présent en esprit partout dans le royaume.

 Cependant, sa présence dans l'esprit du lopvent était beaucoup plus diffuse que dans l'esprit de l'homme qui avait enlevé Maxou. Peut être le sorcier n'était-il même pas conscient de l'existence de ce lien qui le reliait à ce lopvent. Sin fo n'avait pas l'intention de lui laisser le temps de le découvrir, et surtout d'avoir accès à son esprit à elle. Elle avait déjà été à sa merci une fois, elle ne tenait pas à recommencer. Heureusement la présence du sorcier était beaucoup moins agressive que la veille.

 Sin fo ressentit un mal de crâne lui vriller les tempes, mais cela n'alla pas plus loin. Elle se hâta d'aspirer l'énergie qui restait au lopvent. Elle fit si vite que son esprit s'enivra. Elle n'avait récupéré qu'un peu d'énergie, mais elle se sentit en pleine forme, ragaillardie, comme repue après un bon repas, et l'esprit clair et apaisé, débarrassé des soucis futiles, comme si elle avait bu quelques verres d'alcool. Pourtant, elle resta lucide, et elle garda en tête qu'elle n'irait pas loin avec une si petite quantité d'énergie.

 Avec un ultime soupir, le lopvent laissa retomber sa tête sur le sol gelé. Une larme apparut au coin de l'œil de Sin fo, mais elle l'essuya tout de suite. Elle n'avait pas le temps de se laisser troubler par le malaise qui l'habitait après avoir ressenti la mort du lopvent dans son esprit. Chaque instant qui passait aggravait la santé de Hank, et potentiellement celle de Tabatha. Sin fo ne savait pas de quel mal elle souffrait, mais il était évident qu'il ne serait pas bon pour elle de rester trop longtemps dans cet état.

 Pourtant, Sin fo ne se remit pas immédiatement en route. Elle savait qu'elle allait mettre de nombreuses heures, probablement plus d'une journée, à rejoindre Ts'ing Tao, et qu'elle allait devoir avancer sans s'arrêter. Il fallait donc qu'elle prévoie de quoi se nourrir. Avec Hank, ils avaient mis de quoi manger dans leurs sacoches, mais comme ils pensaient être rentrés le soir même de leur départ, ils ne s'étaient pas chargés inutilement. Un lopvent pesait en moyenne deux cent cinquante kilos, et Sin fo ne voulait pas rater une occasion pareille. Elle sortit sa dague et se mit au travail.

 Elle commença par découper la membrane des ailes. La peau crissa sous sa lame, qui dérapa et déchira plus qu'elle ne coupa. Pour le moment, Sin fo ne cherchait pas à faire les choses proprement, mais surtout à les faire vite. Elle tira sur les ailes pour arracher les derniers lambeaux de peau qui les retenaient encore aux muscles et aux os, puis elle les étala sur le sol, l'une au dessus de l'autre. Elle fit ensuite glisser Hank dessus afin qu'il soit au sec pendant qu'elle terminait son travail. Elle s'évertua ensuite à découper la peau du lopvent. Là, elle dut changer d'outil car sa dague, bien qu'elle se fut facilement enfoncée dans la chair, peinait à trancher convenablement le cuir de l'animal, butant sans cesse sur ses écailles.

 La jeune femme prit donc le couteau de son mari, dont la lame plus large et plus épaisse correspondait mieux à ce type de travail. Le contact des écailles sur ses doigts engourdis lui meurtrissait la peau. Elle fouilla donc ses sacoches à la recherche de matériaux pour allumer un feu. À part son briquet en silex, elle ne trouva rien qui puisse lui servir, si ce n'est la sacoche elle-même. Celle-ci étant en tissu, elle allait vite se consumer. Sin fo devait donc trouver autre chose.

 Après un rapide coup d'œil dans les affaires de Hank, elle trouva une solution. Cela ne lui aurait sûrement pas plu, mais il n'était pas en état de se plaindre. Elle prit donc sa hallebarde, et en brisa le manche en trois morceaux. Elle déchira ensuite le rabat du sac de selle de Hank, ainsi que les poches latérales, afin de ne conserver que la poche principale. Il ne servait à rien de découper le lopvent en morceaux si elle n'avait plus rien pour les transporter.

 Elle fixa les lambeaux de tissu au bout des trois fragments de la lance, et les frotta sur la plaie ouverte à la patte du lopvent mort. Le tissu était maintenant poisseux de graisse et de sang. Sin fo fit cliqueter la pierre de son briquet à plusieurs reprises, avec des mouvements ralentis à cause de ses doigts gelés, avant d'obtenir des étincelles. Après quelques secondes d'efforts, une petite flamme embrasa le sommet de la torche rudimentaire fabriquée par Sin fo. Le feu se propagea le long des filets de sang, et Sin fo sentit bientôt la chaleur sur son visage.

 Avec un sourire satisfait, elle planta sa torche dans la neige à côté de Hank, et se dirigea vers son lopvent. Elle le tira par la bride, sans trop d'efforts, car l'animal était trop heureux de bouger et ainsi de se réchauffer. Lorsqu'elle fut de retour près de Hank, Sin fo jura. Sa torche était déjà éteinte. Elle fit descendre Tabatha de sa selle et la fit s'asseoir aux côtés de Hank. La petite princesse s'exécuta en silence, ce qui provoqua un pincement au cœur de Sin fo. Elle espérait vraiment qu'elle allait pouvoir la guérir de sa léthargie et retrouver la jeune femme pleine de vie qu'elle aimait tant.

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