Chapitre 34 Retour en arrière - Partie 2

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 Sin fo se releva à son tour, et à petit pas se dirigea vers les lopvents. Elle chercha à tâtons celui sur lequel elle avait installé Tabatha un peu plus tôt, et finit par poser sa main sur la peau rugueuse si caractéristique. Elle suivit du plat de la main l'échine de l'animal depuis la base de sa queue jusqu'au milieu de son dos, là où la selle était fixée. Tabatha y était toujours docilement assise. Sin fo lui pressa le genou, lui tapota l'épaule, prit sa main dans la sienne en murmurant son nom, mais une nouvelle fois, la princesse resta sourde à ses sollicitations.

- Comment est-elle, demanda la voix de Hank dans l'obscurité.

- Pas mieux, répondit simplement Sin fo. Tu es prêt, lui demanda-t-elle en sautant sur le dos du lopvent.

 Elle s'installa derrière Tabatha, en amazone, afin de pouvoir rapidement se laisser glisser en cas de problème. Elle se cramponna à la taille de Tabatha de la main gauche et empoigna son cimeterre de la main droite.

- Comment on procède ?

- J'ouvre, nous talonnons les lopvents, et ils nous emmènent loin d'ici.

- C'est ça ton plan, s'étonna Hank. Tu n'as pas une idée plus précise, tu n'as pas un sort qui nous permettrait de sortir de là à coup sûr ?

- Je ne peux pas tout faire, s'offusqua Sin fo. Pour qui me prends-tu ? Un bon génie que tu pourrais appeler en claquant des doigts et qui exaucerait tous tes souhaits ?

- Excuse-moi, je suis tellement habitué à te voir accomplir des prouesses. À chaque fois que nous sommes dans une situation dangereuse ou inextricable, c'est toi qui nous en sors, et avec une facilité déconcertante.

- Détrompe-toi, cela n'est jamais facile. Celui puise chaque fois dans mes forces. C'est pour cela que je n'utilise pas mes pouvoirs à tort et à travers. C'est déjà difficile lorsque je suis au mieux de ma forme, mais je te rappelle que j'ai failli mourir il y a moins de deux jours.

- Je suis désolé, je croyais que...

- Bien sûr, tout le monde croit que je peux tout faire, que je peux tout assumer. Ils viennent tous me demander de les aider. Comme s'ils étaient incapables de faire quoi que ce soit par eux-mêmes. Toute la journée, ils viennent me déranger chez nous et me demandent de régler leurs problèmes d'un claquement de doigts. J'avais espéré que toi au moins tu serais différent.

- Arrête, tu es injuste. Tu sais que je ne suis pas comme ça !

 Hank avait tenté de se contrôler, mais il n'avait pas pu cacher toute la colère dans sa voix. Aussi, après quelques secondes de silence, il entendit Sin fo sangloter. Comme à chaque fois qu'il entendait sa femme pleurer, Hank se sentit misérable. Il pouvait affronter des dizaines d'ennemis sans faillir, mais il était totalement désemparé devant les larmes de sa femme. Il bredouilla des excuses maladroites et attendit la réponse dans le noir.

- Ça va, lui assura Sin fo en reniflant. C'est toi qui as raison, je suis injuste avec toi. Tu as pris pour les autres, je suis désolée.

- Je ne savais pas que tu étais autant à cran.

- Ce sont toutes ces responsabilités qui me pèsent.

- Je croyais que ça te plaisait d'être à la tête du village.

- Au début c'était le cas. J'étais fière de la confiance que les habitants avaient placée en moi, et surtout je faisais ce que mon père avait toujours voulu. J'avais pris sa succession. Enfin, techniquement c'est lui qui me succédera d'ici quelques siècles, plaisanta Sin fo en reniflant à nouveau. Quand j'étais petite et que j'observais mon père, j'étais tellement fière. Nous avions une grande maison, tout le monde le saluait avec respect et lui demandait conseil, il était important. Mais la réalité est tellement différente. Les problèmes des gens sont tellement futiles, ils sont si mesquins. Ils se disputent pour des broutilles, alors que des gens meurent tous les jours à travers le royaume.

- Tu oublies de dire qu'ils sont sans gène et qu'ils te dérangent à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit.

- Tu avais remarqué aussi ? Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé ?

- Je pensais que ça te convenait, que tu faisais ce dont tu avais toujours rêvé. Je ne voulais pas gâcher ton bonheur.

- Nous sommes vraiment deux idiots. Nous devrions parler sérieusement plus souvent.

- Tu sais ce qu'on va faire ? Dès qu'on sera rentré sur Ts'ing Tao, on dira à tout le monde de se trouver un autre chef de village.

- Tu veux que j'abandonne mon poste ? Mais le village a besoin de quelqu'un pour le diriger.

- Et bien les villageois se débrouilleront pour désigner quelqu'un d'autre.

- Les habitants ont confiance en moi.

- Après l'attaque du village, notre côte de popularité a bien baissé. Comme je les ai forcés à se battre, ils me jugent responsable des blessés et des morts. Et je n'ai pas arrangé les choses en partant à ta recherche sans me soucier de l'état de santé de tous ceux qui étaient présents dans l'auberge à ce moment-là. Roussel m'a dit que je n'avais pas le droit de les abandonner, et je crois lui avoir répondu d'aller se faire voir. Je ne pense pas qu'ils attendent encore grand-chose de ma part après ça.

- C'est idiot, tu n'avais aucune obligation envers eux, c'est moi le chef du village.

- C'est pire en ce qui te concerne, ils pensent que tu t'es cachée pour ne pas affronter les djaevels.

- Comment, s’offusqua Sin fo.

- J'ai vu leurs regards quand je t'ai ramenée chez nous. Ils ne nous font plus confiance.

- Après tout ce que nous avons fait pour eux, toutes ces années où nous nous sommes sacrifiés pour leur bien-être, ou même simplement pour leur survie...

- Nous n'avions plus guère que le soutien de Archibald, mais avec les nouvelles qu'on va lui apporter, je ne crois pas qu'il nous accueille encore à bras ouverts.

 Sin fo ouvrit la bouche pour répondre, mais elle ne parvint pas à articuler car elle fut prise d'une violente quinte de toux. Quand elle put enfin reprendre son souffle, elle dit à Hank d'une voix faible :

- Nous parlerons de tout cela dehors, je commence à manquer d'air.

 Hank ne se fit pas prier, car lui-même sentait que le manque d'oxygène lui donnait des vertiges. En dernière recommandation, Sin fo lui conseilla de fermer les yeux, afin de ne pas être aveuglé en passant de l'obscurité à la lumière du jour. Sin fo frappa du plat de la main sur la croupe de son lopvent pour le réveiller. L'animal sursauta et siffla un cri strident, mais Sin fo le calma en le grattant en bas du dos. Les lopvents étant des animaux nerveux par nature, celui de Sin fo se mit à se dandiner d'avant en arrière, et à gratter le sol dès qu'il fut réveillé. Sin fo entendit l'autre lopvent faire le même raffut, et elle se douta qu'il avait été réveillé par le cri de son lopvent.

- Partons d'ici avant qu'ils ne consomment le peu d'oxygène qu'il nous reste.

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