Chapitre 28 La bataille de Ts'ing Tao - Partie 4

9 minutes de lecture

 Hank sauta de la table, prit la bougie et demanda à Ellis de le suivre avec sa fille. Ils montèrent à l'étage et retrouvèrent l'hembra et l'aubergiste dans la chambre par laquelle Hank avait pénétré dans l'auberge. Roussel se lamentait devant les débris de verre en maudissant les djaevels. Hank s'excusa :

- C'est moi qui ai fait ça. Je n'avais pas d'autre moyen de rentrer. Je te promets de venir te la remplacer moi-même quand tout ça sera fini.

 Hank marcha avec précaution sur les débris de verre et se pencha par la fenêtre.

- Remarque, dit-il à voix basse, ça sera plus pratique sans la fenêtre.

 Il demanda ensuite à l'hembra de s'approcher. Elle regarda par la fenêtre et plaqua ses mains sur sa bouche avec un mouvement de recul.

- Je n'imaginais pas qu'ils étaient si nombreux. Et cette odeur...

- C'est pire en bas, assura Hank.

- Que peut-on faire contre ça ?

- Pour commencer, on va en réduire le nombre. Tenez, prenez une bouteille. Elle n'est pas trop lourde ?

 L'hembra prit la bouteille qu'il lui tendait et la soupesa.

- Non, évidemment.

- Bien. Lancez-la.

- La lancer, s'insurgea Roussel. Tu es devenu fou ! Est-ce que tu réalises le mal que j'ai eu à réunir tous ces alcools depuis les quatre coins du royaume ?

- Penses-tu vraiment pouvoir continuer à en profiter après que les djaevels t'aient tué, s'emporta Hank. Allez-y, lancez-la, en essayant de viser le milieu de la horde.

 L'hembra saisit la bouteille par le goulot, puis d'un mouvement sec du bras la lança à travers la fenêtre. La bouteille s'éleva quelques secondes dans les airs, puis elle redescendit en prenant de plus en plus de vitesse, jusqu'à ce qu'elle s'écrase sur la tête d'un djaevel, au centre de la place. La créature poussa une longue plainte, et s'effondra.

- Joli coup, s'exclama Hank. Vous avez parfaitement visé, et en plus vous en avez tué un.

- C'est bien joli, mais je n'aurais pas assez de bouteilles pour les avoir tous comme ça, objecta l'hembra.

 Hank leva son index au niveau de son visage et lui répondit :

- Mais ça, ce n'est que la première partie. Maintenant, seconde phase de mon plan, dit-il en dépliant son majeur.

 Il ramassa au pied du lit le drap qu'il avait déchiré un peu plus tôt et en arracha un nouveau lambeau de tissu. Il déboucha une bouteille avec les dents et, tout en crachant le bouchon par terre, fit tremper l'étoffe dans le liquide capiteux. Il prit la bougie des mains d'Ellis et embrasa le tissu qui dépassait du goulot. Il courut ensuite vers la fenêtre et y jeta sa bouteille de toutes ses forces. Comme celle de l'hembra, la bouteille s'éleva dans les airs, mais l'alcool s'échauffa et la fit exploser. La détonation ne fut pas très impressionnante, mais plusieurs djaevels furent éclaboussés, et les flammes commencèrent à dévorer leurs vêtements et leurs chairs. Les djaevels ne ressentirent pas la chaleur des flammes, mais la lumière vive les désorienta, si bien qu'ils se bousculèrent les uns les autres, et enflammèrent leurs congénères au passage. Les flammes se propagèrent, et bientôt une trentaine de djaevels furent touchés. Ceux qui étaient au centre de l'incendie commencèrent à montrer des signes de faiblesse. Leur peau avait été entièrement rongée par le feu, et les flammes noircissaient désormais leur chair. Leurs cheveux et leurs sourcils s'étaient consumés depuis longtemps, et leurs dents se voyaient à travers les chairs brûlées. Les djaevels étaient plus effrayants que jamais. Soudain, l'un d'eux porta ses mains à son crane et poussa un long râle avant de s'écrouler. Ses voisins directs l'imitèrent quelques secondes plus tard, et en moins de cinq minutes, tous les djaevels touchés par les flammes étaient morts. L'incendie ne se propagea pas plus, car ils étaient tombés dans la neige fondue, qui eut tôt fait d'éteindre les flammes. Hank brandit le poing au plafond.

- Je ne pensais pas que ça fonctionnerait aussi bien.

- C'est une idée de génie, s'exclama Roussel. Ne pourrait-on pas tous les tuer comme cela ?

- Nous n'aurons jamais suffisamment de bouteilles, objecta Hank. Et puis, ils sont bien trop nombreux. S'ils se transforment tous en torche, ils risquent d'incendier tout le quartier. C'est pourquoi vous ne devez viser que le centre de la place, dit-il à l'hembra. Toi, Ellis, je te charge de lui préparer ses projectiles. Roussel, tu descends avec moi, il n'y a plus un instant à perdre.

- Tu ne préfères pas attendre qu'elle en ait tué quelques uns avant de sortir ?

- On ne sait pas comment les djaevels vont réagir, je préfère garder l'initiative. De plus, j'ai dit à mon ami Ryban tout à l'heure de guetter mon signal. S'il a vu l'incendie, il est peut être déjà dehors. Nous devons y aller nous aussi.

 En arrivant au rez-de-chaussée, Hank fut agréablement surpris. L'ambiance était toujours aussi morose, mais bien plus fébrile qu'auparavant. La plupart des personnes présentes s'étaient levées et s'étaient procuré de quoi combattre. Roussel poussa un petit gémissement, car son auberge était sens dessus dessous. Tout le mobilier avait été mis à contribution. Certains s'étaient armés de couteaux, d'autres avaient démonté les lustres en métal, et le reste avait cassé les tables et les chaises en bois pour s'en servir comme masses ou boucliers. Hank ordonna qu'on monte les enfants et les blessés à l'étage, puis qu'on barricade l'escalier avec les meubles des chambres. Il récupéra les derniers débris inutilisés et les jeta derrière le comptoir. La grande salle était désormais totalement vide. Hank regarda les visages défaits des personnes autour de lui et se demanda quelle tête lui-même pouvait avoir.

- Tout le monde est prêt ? Alors allons-y.

 Hank ouvrit la double porte à battants de l'auberge, et presque aussitôt une vingtaine de djaevels s'engouffra à l'intérieur. Hank se servit de sa lance pour en repousser plusieurs sur les côtés, afin que ses amis s'en occupent, puis il tua les autres et s'élança à l'extérieur. L'odeur lui souleva à nouveau le cœur, mais il n'en tint pas compte. La place était déjà illuminée par les flammes en trois endroits, et il tendit l'oreille pour savoir si Ryban avait débuté le combat. Un djaevel interrompit ses pensées en lui sautant dessus. Il était trop près pour que Hank se serve de sa lance. Le jeune homme fit in extremis un pas sur le côté et frappa le djaevel entre les omoplates pour le faire trébucher. Il le saisit par les cheveux et lui écrasa la tête contre le mur de l'auberge. Hank fit volte-face et vit ses amis sortir de l'auberge en courant.

 Dans un premier temps, les combats furent désordonnés et extrêmement violents. Les habitants de Ts'ing Tao se jetaient au milieu des djaevels en tentant d'en tuer un maximum et de les repousser loin de l'auberge. L'entrée de l'auberge n'étant pas très large, ses occupants ne pouvaient sortir que deux par deux. Les premières minutes de combat furent donc difficiles, car chacun devait affronter dix djaevels à la fois. Par chance, personne ne fut blessé, et à chaque minute qui passait, de nouveaux renforts humains et hembras arrivaient au combat. Lorsqu'ils furent tous sortis, de nombreux corps de djaevels jonchaient déjà les pavés, mais cela ne représentait qu'une infime partie de la horde. Hank donna l'ordre au groupe de se séparer. Une quinzaine de personnes partirent vers la gauche, une autre quinzaine à l'opposé, et le reste tint la position face à l'auberge. Hank leva les yeux au ciel et vit que Ellis et l'hembra continuaient de lancer leurs bouteilles explosives. La place était coupée en deux par un mur de flammes qui l'éclairait comme en plein jour. Hank fut surpris de voir avec quel hargne ses compagnons éliminaient les djaevels. La peur qui les paralysait un peu plus tôt dans la soirée avait complètement disparu, et ils se battaient comme si leur vie en dépendait. C'était précisément le cas, comme se chargea de lui rappeler un djaevel qui bondit sur lui. Un coup de masse providentiel lancé par un compagnon vigilant sauva Hank, qui remercia l'homme d'un signe de tête et se positionna dos à dos avec lui afin de combattre un groupe de djaevels qui tentait de les encercler. Soudain, un cri humain domina le tumulte des combats. Tous les hommes se figèrent pendant une demi-seconde. Un des leurs venait de tomber. Ils redoublèrent de hargne, mais un nouveau cri leur parvint, puis deux autres simultanément. Humains et hembras commencèrent à reculer, puis un jeune homme se mit à courir vers l'auberge. Une femme et deux hembras l'imitèrent, si bien que Roussel, qui se battait aux côtés de Hank, ordonna la retraite.

- Non, hurla Hank. Restez ! Nous devons les combattre !

 Ses appels restèrent sans réponse, et il se trouva bientôt seul face aux djaevels. Mais Hank ne baissa pas les bras pour autant. Faisant fi de la peur qui lui nouait l'estomac et de la fatigue qui avait changé ses bras en plomb, il se campa fermement sur ses jambes et lança son arme à tour de bras dans les rangs djaevels. Suivant leur instinct, les créatures se jetaient obstinément sur lui, piétinant les corps de leurs semblables pour venir s'empaler sur la lame poisseuse de sang de sa lance. Hank combattit vaillamment durant plusieurs minutes, jusqu'à ce qu'il ne puisse soudain plus bouger son arme. Il tira sur le manche de toutes ses forces, mais sa lance resta bloquée. Trois djaevels le jetèrent au sol, et Hank vit sa dernière heure arriver, mais les créatures ne l'attaquèrent pas et se contentèrent de le maintenir au sol.

 Les autres djaevels autour s'écartèrent et laissèrent apparaître celui qui retenait l'arme de Hank. Ce dernier crut d'abord qu'il s'agissait d'un djaevel, car il avait des traits émaciés, d'énormes cernes et le teint affreusement pâle, mais Hank remarqua par la suite qu'il n'avait pas les yeux laiteux caractéristiques des djaevels. Il ne portait aucune blessure apparente, semblait plus chaudement vêtu que tous les autres djaevels, et surtout il avait une hache dans la main droite. Hank n'avait jamais vu un djaevel se servant d'une arme. L'homme s'avança vers Hank, le regarda d'un air dédaigneux et lui dit :

- Vous ne savez pas quand il faut abandonner ? Vous vous croyez sûrement très courageux, mais ce n'est que de la stupidité.

 Hank se débattit sur le sol, mais les djaevels ne le lâchèrent pas.

- Ne le laissez pas s'échapper, cria l'homme aux djaevels.

 Hank s'arrêta net et interpella l'homme.

- Qui êtes-vous pour que ces monstres vous obéissent ? Est-ce que vous êtes...

 L'homme éclata de rire et un frisson parcourut l'échine de Hank.

- Vous ne pensez tout de même pas que le Seigneur se déplacerait pour vous ? Mon maître m'a envoyé ici pour ne pas avoir à se salir les mains en basses besognes.

- Riez tant que vous le pouvez, répondit Hank. Je vous tuerai pour avoir détruit mon village.

- Vous n'avez pas encore compris ? Vous seriez mort depuis longtemps si je n'avais pas empêché ces idiots de vous dépecer.

- Vous parliez de courage, mais vous n'êtes qu'un lâche. Vous vous cachez derrière ces monstres et attendez la fin de la bataille pour parader.

- Si vous saviez le nombre de fois que j'ai entendu ça. Je vais vous faire ravaler votre fierté avant de vous tuer. Relevez-vous.

 Sans que l'homme ait esquissé le moindre geste, les trois djaevels s'écartèrent et Hank put se remettre debout. L'homme lui tendit sa lance par le manche. Hank s'en saisit prudemment et recula d'un pas.

- Vous auriez pu m'attaquer directement, remarqua l'homme.

- Vous vous y attendiez, objecta Hank.

- Bien, vous avez l'occasion de tenir votre promesse. Tuez-moi si vous en êtes capable.

 Hank n'attendit pas que l'homme ait fini sa phrase pour l'attaquer. Il lança son arme dans sa direction, mais l'homme la bloqua d'une seule main. Hank tenta de lui faire lâcher prise, mais même en tirant de toutes ses forces, son adversaire ne bougea pas d'un centimètre. Hank renonça alors à son arme et se rua sur l'homme. Il le projeta à terre, mit un genou sur sa poitrine et lui envoya son poing dans le visage. L'homme resta étendu les bras en croix en ricanant. Hank le frappa plusieurs fois, mais l'homme rit de plus belle. Quand enfin il se tut, il rejeta Hank sur le côté, se plaça au dessus de lui et lui plaqua l'avant bras sur la gorge. Hank se débattit, mais son adversaire était beaucoup trop fort pour lui. Le jeune homme suffoquait et sa vision commença à se troubler. Il sentit l'haleine fétide de l'homme lorsque celui-ci se pencha pour lui dire à voix basse :

- C'est fini pour toi héros.

 Hank n'avait presque plus d'air dans les poumons. Il sentit son corps devenir plus léger et l'odeur disparaître. Il ne ressentait même plus le froid de la neige dans son dos. Il n'entendait plus rien. Son esprit était apaisé. Il adressa une dernière pensée à sa femme, puis il se laissa glisser dans le néant.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire William BAUDIN ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0