Chapitre 4 Un serviteur dévoué - Partie 3

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 Kundall se souvenait de l'horreur de cette journée. Il se souvenait de la ville qui avait été secouée par des explosions, et des milliers de djaevels qui avaient envahi les rues et le palais. Il se souvenait des cris de terreur et des supplications des victimes. La plupart des personnes qu'il connaissait étaient mortes ce jour-là, ou avaient été transformées en djaevels. Il se souvenait que le palais avait été mis à sac, et que presque tous ses habitants avaient été éliminés méthodiquement.

 Lui avait eu la chance de s'en sortir, car il s'était retrouvé dans la même pièce que le roi et la reine. Ces derniers avaient d'abord combattu les assaillants dans les couloirs, puis ils avaient dû se retrancher dans la salle de bal. Ils avaient éliminé un grand nombre de créatures, mais il en venait toujours plus, et ils s'étaient retrouvés encerclés par près de trois cent djaevels. Kundall, qui lui s'était retrouvé pris au piège dans un coin, avait pensé que c'était la fin, mais les monstres ne les avaient pas attaqués. Ils se contentaient de rester à quelques mètres pour les empêcher de s'échapper. C'était comme s'ils avaient reçu l'ordre de les laisser en vie. Profitant de l'inertie des djaevels, Eowyn en avait éliminé plusieurs, avant que Albus ne lui conseille de ne pas s'épuiser inutilement. En effet, chaque fois qu'un djaevel était tombé, un autre s'était avancé pour prendre sa place. Tout comme Albus, Kundall avait compris que si les djaevels avaient stoppé leur attaque, c'était que quelque chose de plus terrible encore allait arriver. Eowyn et Albus s'étaient assis au sol, avaient déposé leurs armes, s'étaient enlacés, et Eowyn avait pleuré sur l'épaule de son mari.

 Kundall se souvint à quel point cette scène l'avait ému. Il n'avait pas été touché par la détresse de cette femme, bien sûr, mais il avait ressenti une immense joie en réalisant qu'il assistait à la fin de son roi. Et même s'il allait probablement mourir lui-même, il avait remercié le dieu Yembet de lui avoir accordé ce spectacle avant de prendre sa vie. Kundall aurait pu s'enfuir de la salle de bal, car les djaevels ne lui prêtaient plus vraiment attention, mais il avait voulu rester jusqu'à la fin pour profiter de la déchéance du roi.

 Soudain, la grande porte s'était ouverte avec fracas, et un homme était apparu dans l'encadrement, déclenchant une véritable cacophonie parmi les djaevels. Bien que terrifié par ces cris stridents et ces râles, Kundall était resté cloué sur place à la vue de cet homme. Il portait une armure noire et un casque qui cachait intégralement son visage. À l'inverse des héros de contes de fées à l'armure étincelante qui sont souvent représentés entourés d'un halo lumineux, de l'homme émanait une aura ténébreuse. La salle de bal, qui était jusque-là baignée par la lumière des soleils, s'était inexplicablement assombrie à son arrivée.

 Kundall se rappelait la scène dans les moindres détails. L'homme s'était avancé calmement vers le centre de la pièce, les djaevels s'écartant sur son passage. Le roi et la reine avaient ramassé leurs armes et s'étaient relevés, puis Albus s'était placé devant sa femme pour la protéger. Après un moment de silence tendu qui avait semblé durer une éternité, l'homme en armure s'était adressé au roi d'une voix calme et posée :

– Roi, tu sais qui je suis. Depuis quelques années, nous nous affrontons de loin. J'ai décimé ton armée, ta ville et ton palais sont tombés sous mes coups, énuméra-t-il en tendant son bras vers la fenêtre, et maintenant c'est ton tour.

– Tu n'es qu'un lâche ! Tu te caches derrière tes démons, et tu massacres des innocents !

– Ton arrogance m'ennuie, soupira le sorcier. Ton royaume m'appartient désormais. Capitule, et peut-être que ta mort ne sera pas trop douloureuse.

– Jamais je n'abandonnerais mon royaume entre tes mains.

– Quel sens de l'honneur ! Pourquoi t'entêter ainsi ? Ce sont les vainqueurs qui écrivent l'Histoire. Il n'y aura personne pour se rappeler de toi, aucun ménestrel ne chantera jamais le courage du roi Albus qui mourut sottement.

– Si je dois mourir, ce sera en faisant ce qui est juste. Maintenant cesse de parler et viens te battre comme un homme !

– Soit. Sache que je pourrais te tuer instantanément, mais je tiens à lire le désespoir dans tes yeux.

 Albus avait bondi en avant, mais l'homme en armure avait fait apparaître une épée de nulle part et avait paré son coup. Albus avait tourné sur lui-même et avait tenté de viser les jambes, mais malgré le poids de son armure, l'homme était incroyablement agile et rapide, et il évitait toutes les attaques du roi. Celui-ci avait visé les points faibles de l'armure, afin de pouvoir blesser son adversaire, mais ce dernier avait bloqué toutes ses estocades, et il n'était pas parvenu à lui infliger le moindre dommage. Eowyn s'était élancée au secours de son mari, mais l'homme en armure l'avait balayée d'un revers du bras. Albus avait voulu profiter de l'ouverture pour frapper par le haut en tenant son épée à bout de bras, mais l'homme ne s'était pas laissé surprendre et avait bloqué la lame de la main gauche. Avec la droite, il avait attrapé la tête du roi et lui avait envoyé son genou dans le ventre. Albus s'était effondré à genoux, et l'homme l'avait frappé violemment du pied au visage. Le roi s'était retrouvé allongé sur le dos, et l'homme avait fait apparaître une nouvelle arme, qui était venue se planter dans la main gauche du roi, qui avait poussé un cri de douleur comme jamais Kundall n'en avait entendu.

 Eowyn s'était relevée et avait commencé à courir vers l'homme en armure, mais celui-ci avait tendu le bras dans sa direction et elle s'était stoppée à mi-chemin. Son visage était crispé et tout son corps tremblait. Elle tentait de bouger, mais l'homme en armure la tenait en son pouvoir. Pendant ce temps, Albus avait retiré la lame de sa main en poussant un nouveau cri, puis il s'était relevé péniblement. L'homme avait obligé Eowyn à marcher jusqu'à son mari, puis il avait levé son maléfice. Albus haletait et avait pris appui sur l'épaule de sa femme, puis il avait pointé la lame tachée de son sang vers son adversaire. Celui-ci avait ri avant de dire :

– Tu n'as toujours pas perdu espoir, tu es incroyable.

– Tant que j'aurais des personnes à protéger, je n'ai pas le droit de mourir.

– Je peux arranger ça très facilement.

 L'homme avait tendu le bras vers eux, et le roi avait attrapé sa femme par le cou et lui avait mis la lame sous la gorge.

– Tu vas tuer ta femme, et tu pourras te laisser aller à mourir.

– Jamais je ne ferai ça !

– Tu n'es pas en position de refuser.

 Le sorcier avait remué ses doigts pour obliger Albus à déplacer sa lame, mais le roi était parvenu à combattre suffisamment le sortilège pour bouger sa main gauche et la placer entre la lame et la gorge de sa femme. Il avait poussé un nouveau cri lorsque l'acier avait tailladé sa chair, mais il avait ri néanmoins, car il avait résisté au pouvoir de son ennemi.

– Soit. Si je ne peux t'y contraindre par la force, je me servirai de tes sentiments. Tue ta femme, ou mes djaevels s'en chargeront !

 À peine avait-il fini sa phrase que trois djaevels avaient sauté sur Eowyn et l'avaient plaquée au sol. Sur un claquement de doigts du sorcier, ils l'avaient relâchée et étaient retournés à leur place. L'homme avait suspendu son emprise sur le roi, et celui-ci avait été aider sa femme à se relever. Elle l'avait regardé avec un sourire, bien que des larmes coulent abondamment sur ses joues.

– Je ne veux pas finir comme ça.

– Pardonne-moi, je n'ai pas pu te protéger.

– Tu peux encore le faire. Tue-moi.

– Jamais !

– M'aimes-tu Albus ?

– Plus que tout…

 Albus avait regardé sa femme, l'avait embrassée, puis lui avait enfoncé sa lame dans la poitrine. Eowyn avait souri puis avait murmuré « Je t'aime ». Albus l'avait allongée en douceur, lui avait fermé les yeux et avait déposé un dernier baiser sur ses lèvres. L'homme en armure s'était avancé et s'était placé derrière lui. Albus s'était redressé, sans un mot, et l'homme lui avait enfoncé son épée entre les omoplates. Le roi était tombé aux côtés de sa femme, il avait tendu une main tremblante vers son visage, lui avait caressé les cheveux, puis il avait rendu son dernier soupir.

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