Chapitre 21 Un voyage éprouvant - Partie 3

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 Les jours et les kilomètres s'égrenaient, et le paysage se transformait autour d'eux. Les longues plaines désertiques laissaient peu à peu la place à des reliefs plus prononcés, d'abord des collines, puis très vite des petites montagnes se dessinèrent à l'horizon. Chaque jour de marche était plus éprouvant que le précédent. Les nuits ne les reposaient pas totalement, et leur fatigue s’accumulait. Vingt-cinq jours après avoir quitté Cosrock, ils furent sur la dernière île de la carte de Ryban. La partie la plus hasardeuse de leur voyage avait alors commencé. Tout le monde s'en remit à Sin fo, car elle seule connaissait la région proche de la frontière du royaume. L'inquiétude et l'impatience commençaient à les gagner, car l'hiver approchait à grands pas, mais personne n'en dit un mot. Malgré tout, la lassitude morale ne faisait qu’accentuer leur accablement physique.

 Sur les derniers jours, Sin fo fut très silencieuse. Elle avançait d'un pas résolu, restait plongée dans ses pensées, ne parlait à personne et répondait aux questions par des phrases monosyllabiques. Le soir, elle s'asseyait à l'écart du groupe pour manger, et restait le regard fixé sur l'horizon, en direction du nord.

 Un jour, enfin, elle sortit de son mutisme. Ils venaient juste de poser les pieds sur une île, la quatrième après la dernière de la carte, lorsqu'elle s'adressa à tout le monde pour leur dire qu'elle était sure que la prochaine île serait Incuna. Ils explosèrent tous de joie, mais cette liesse s'estompa rapidement lorsqu'ils comprirent toute l'étendue du chemin qu'ils avaient à parcourir.

 Devant eux se dressait une montagne imposante qui occupait tout le panorama au nord. Ils tentèrent dans un premier temps de la contourner, mais ils comprirent vite que c'était peine perdue, et qu'ils allaient devoir escalader. Ils durent se résoudre à abandonner la charrette, car ils ne pourraient évidemment pas gravir une montagne en tirant un tel fardeau derrière eux. Comme ils étaient partis depuis longtemps, leur réserve de nourriture avait beaucoup diminué, mais même cette légère surcharge dans leurs sacs se fit lourdement sentir sur leurs dos fourbus et leurs jambes fatiguées.

 Ils voulurent s'encorder pour éviter les accidents, mais ils n'avaient pas de cordes suffisamment longues pour tout le monde. Ils se contentèrent donc d'attacher les enfants, Nathan, Claire et Lyle, ainsi que les deux plus âgés, Trevor et Susanna. Sin fo et Hank prirent la tête du groupe, car ils avaient déjà escaladé des montagnes lorsqu'ils étaient dans le monde des revanis, et qu'ils pouvaient ainsi choisir le chemin le plus sûr. Après plusieurs heures d'ascension, ils se réfugièrent dans une caverne à flanc de montagne pour passer la nuit, et reprirent leur montée le lendemain aux premiers rayons de soleils.

 Ils étaient presque parvenus au sommet du pic. Si la mémoire de Sin fo était exacte, une fois en haut, ils devraient apercevoir Incuna. Sin fo était en tête du convoi. Tandis que les autres trébuchaient sur des pierres instables et traînaient la patte à cause de la fatigue accumulée des jours précédents, la jeune femme avançait comme si elle avait des ailes aux chevilles. Hank tentait de la suivre tant bien que mal, car il ne voulait pas la laisser s'éloigner seule. Malgré ses efforts, il ne parvint pas à la rattraper, et son épouse arriva seule au sommet.

 Là, elle se stoppa enfin, et elle prit un instant pour admirer la vue. Elle sentit sa gorge se serrer, et des larmes de joie lui montèrent aux yeux. Elle était bien là. Son île. Celle qui l'avait vue naître. Celle sur laquelle elle avait passé toute son enfance. Tant de souvenirs lui revenaient en mémoire devant la vision de cette petite vallée boisée, de ces arbres aux feuilles rougissantes, de cette petite montagne au col coiffé par les neiges éternelles. La jeune femme avait vu des paysages merveilleux au cours des cinq dernières années, mais aucun ne l'avait ravie à ce point. Hank la rejoignit, tout essoufflé, et lui demanda en posant la main sur son épaule :

– Est-ce que ça va ?

– Oui, ce sont des larmes de joie, répondit-elle en posant sa main sur celle de son mari. J'ai cru pendant longtemps que je ne reverrais jamais cet endroit, et aujourd'hui j'y suis ! J'ai le sentiment d'être à nouveau là où est ma place. Je l'avais déjà ressenti lorsque nous sommes revenus sur Vadkraam, mais cette fois c'est bien plus fort !

 Hank ressentit un pincement au cœur. Il avait toujours pensé que Sin fo était heureuse. Pour lui, l'endroit où il se sentait chez lui, c'était là où se trouvait sa femme. Mais il n'avait jamais eu de famille lorsqu'il était jeune, et c'est peut-être ça qui faisait toute la différence.

– Allons-y ! Je veux y être avant la nuit.

– Doucement ma belle, ne t'emballe pas. On est déjà presque au milieu de la journée, et on doit encore redescendre d'ici avant d'arriver sur ton île.

– En se dépêchant, nous pouvons y arriver, insista Sin fo.

 Hank la fit se retourner pour regarder la pente qu'ils venaient de gravir.

– Tu oublies que nous ne sommes pas seuls. Ça fait des jours qu'ils marchent sans rechigner, mais il y a des enfants et des vieux. C'est dur pour eux. Ne les pousse pas trop si tu veux qu'ils te suivent.

 Sin fo jeta un œil en contrebas et s'aperçut qu'en effet plusieurs de ses compagnons étaient loin derrière. Elle s'en voulut d'être si égoïste.

– Tu as raison. Attendons-les.

 Ils s'assirent côte à côte sur des rochers plats, et posèrent leurs sacs à leurs pieds. Sin fo fouilla dans le sien et en sortit un énorme saucisson, qu'elle entreprit de couper en tranches dans une assiette. Arrivée à la moitié, elle confia la tâche à Hank, se leva et s'approcha d'une pierre en face d'elle. Elle posa les mains dessus et se servit de son pouvoir pour la façonner de telle sorte qu'elle ressemble à une chaise. Le confort en serait très relatif, mais sûrement meilleur que celui d'une simple pierre. Sin fo continua sur sa lancée et façonna une vingtaine de chaises de pierre, disposées en cercle, si bien que le plateau ressembla bientôt à un amphithéâtre antique.

 Tabatha et Maxou furent les premiers à les rejoindre, suivis de près par Ellis, Archibald et Jacob. Sin fo leur désigna un siège à chacun, et Hank leur offrit du saucisson. Petit à petit, tous les membres du groupe atteignirent le sommet. Là, ils prirent un repas plantureux, et passèrent un bon moment comme ils n'en avaient pas connu depuis plusieurs jours. Ils restèrent là deux bonnes heures, sur le toit du monde, toute la région environnante à leurs pieds, et pendant un moment, ils profitèrent du simple fait d'être tous ensemble et de n'avoir aucun souci.

 Une fois qu'ils furent tous rassasiés et qu'ils trouvèrent le courage de se relever, ils reprirent leurs sacs sur leurs épaules et entamèrent la descente de l'autre versant de la montagne. Ils marchaient à une allure plus tranquille, et Hank était content de voir que sa femme avait perdu son impatience. Ils passèrent encore une nuit en altitude, et le lendemain après-midi, ils étaient au pied de la montagne. Lorsqu'ils quittèrent le terrain rocailleux pour un sol herbeux, un petit ruisseau coulait à leurs côtés. Ils le suivirent à travers des collines parsemées d'arbres épars jusqu'à la côte.

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