Chapitre 19 Morts ou vivants ? - Partie 1

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– Ça va aller ?

– Ai-je vraiment le choix, répondit Sin fo en haussant les épaules.

– Pourquoi faut-il toujours que ce soit si compliqué, soupira Hank.

– Ce n'est quand même pas le pire que nous ayons affronté. Souviens-toi quand nous...

– Bon, les anciens, quand vous aurez fini de radoter vos vieux souvenirs, on pourra peut-être y aller, s'impatienta Tabatha. Je n'ai pas l'intention de coucher là.

– Je rêve, ou elle vient de nous traiter de vieux, demanda Hank à sa femme en désignant la princesse du pouce.

– Tu sais, je croyais vraiment qu'avec le temps, j'arriverais à l'ignorer, mais elle m'agace toujours autant, répondit Sin fo avec un sourire.

 Cela faisait maintenant plus d'un mois qu'ils étaient sortis du désert, et ils avaient presque traversé la moitié du pays du sud vers le nord, en évitant les grandes villes, et particulièrement Orinkunin, la capitale. Ils étaient passés par de nombreux villages, la plupart déserts, certains occupés par des djaevels, et par conséquent déserts eux aussi après le passage de nos héros.

 Ils avaient également rencontré quelques personnes non infectées, qui se cachaient et se contentaient de survivre. D'autres au contraire voyageaient de ville en ville et s'étaient donné pour mission d'éliminer tous les djaevels qu'ils croiseraient sur leur route. Malheureusement, ceux-là n'étaient que trop peu, et nombre d'entre eux, par manque d'expérience véritable, venaient grossir les rangs des djaevels.

 Nos héros avaient rencontré beaucoup de difficultés mais s'en étaient tirés sans trop de mal. Cependant, ils se trouvaient une fois de plus face à un obstacle. Ils étaient parvenus à la jonction entre deux îles, mais le pont qui les reliait s'était effondré. Il n'en restait plus qu'une arche en pierre accrochée sur chaque côte, toute la partie centrale ayant disparu au fond du précipice. Hank se pencha au dessus du vide, et tout en contemplant les nuages quelques mètres plus bas, demanda à Sin fo :

– Tu veux aller rendre visite à nos amis de l'autre monde ?

– Un autre jour peut-être, sourit la jeune femme.

– Mais de quoi parlez-vous à la fin tous les deux, intervint Tabatha.

– Nous t'expliquerons un jour. En attendant je dois reconstruire ce pont.

– Tu vas y arriver, s'inquiéta la petite princesse.

– Oui, la distance n'est pas énorme, et avec la falaise, j'ai suffisamment de matière sous la main. Reculez-vous un peu, je ne veux pas vous blesser avec un éclat de rocher.

 Tabatha, Jacob et Hank se déplacèrent de quelques pas, puis Sin fo se mit à l'œuvre. Elle s'agenouilla et posa ses paumes au sol. Après quelques instants, la terre se mit à trembler, des morceaux de roches se détachèrent de la falaise et la remontèrent en roulant sur la paroi. Petit à petit, toutes ces pierres s'accumulèrent, se soudèrent les unes aux autres, et en quelques minutes, un nouveau pont s'élançait fièrement au dessus du vide. Il avait un aspect rudimentaire et ressemblait plus à une arche naturelle qu'à une construction humaine, mais au moins il leur permettrai de continuer leur voyage. Sin fo se releva, épousseta ses mains sur ses hanches et d'un geste ample du bras invita ses amis à traverser.

 De l'autre côté se trouvait un village. Ce devait même être une ville assez importante car le portail à l'entrée était imposant. Derrière ses énormes battants, heureusement déverrouillés, se tenait un poste de garde. Jacob en poussa la porte pour découvrir une pièce exiguë où régnait le désordre, et la couche de poussière qui recouvrait les meubles laissait penser que personne n'était rentré là depuis des semaines. Jacob allait ressortir lorsqu'il vit une tache étrange sur le bureau. Il regarda de plus près, gratta le bois avec ses ongles et porta ses doigts à ses narines pour identifier l'odeur. Du sang. Le paladin soupira.

– Ça va encore être une de ces journées...

 Il rejoignit ses amis et les prévint.

– Soyez sur vos gardes, il se pourrait que les djaevels contrôlent la ville.

 Hank décrocha sa lance de son sac et Sin fo sortit son épée du fourreau. Même Tabatha dégaina une petite dague. Elle avait trouvé cette arme quelques jours plus tôt dans une autre ville et l'avait conservée, contre l'avis de Jacob, car elle en avait assez d'être mise à l'écart et de se faire sans cesse protéger par les trois autres. Elle n'avait pas eu à s'en servir jusque-là.

 En la voyant ainsi armée, Jacob lui fit la remarque :

– Je t'ai déjà dit que je ne voulais pas te voir porter ça !

– Il faut bien que je puisse me défendre, s'emporta immédiatement la jeune fille.

– Tu es trop jeune !

– Crois-tu que les djaevels fassent la différence, questionna-t-elle avant de montrer les dents en grognant.

– Là, elle marque un point.

– Hank, restez en dehors de ça, le pria le paladin en levant la main dans sa direction sans le regarder.

– Que se passera-t-il si elle se fait attaquer et que vous n'êtes pas là, insista Hank.

– J'ai juré de la protéger, et je donnerai ma vie pour honorer ma promesse.

– Mais vous ne pouvez pas être toujours avec elle, intervint Sin fo.

– Et s'il vous arrivait malheur, qui s'occuperait d'elle ?

– Je suis suffisamment grande, je n'ai pas besoin d'une nourrice !

– Ne sois pas ridicule, répliqua Jacob avec un rictus, tu es incapable de te débrouiller seule.

 Tabatha n'eut pas le loisir de répondre, car un cri vint mettre un terme à leur conversation.

– Nous reparlerons de ça tout à l'heure, reprit Jacob. Et ça, dit-il en désignant la dague de Tabatha, je ne veux pas que tu t'en serves pour autre chose que te défendre. Tu nous accompagnes là-bas, mais tu te caches dans un coin et tu n'interviens sous aucun prétexte.

 Un deuxième cri leur parvint d'un autre quartier de la ville.

– Pas de temps à perdre, les bouscula Hank. On discutera des détails plus tard. Allons-y avant qu'il ne soit trop tard.

 Nos quatre héros se précipitèrent en direction des cris. Ils coururent à travers un dédale de rues désertes. Ils avaient du mal à repérer l'endroit exact d'où venaient les cris, car ils se déplaçaient sans cesse. La personne qui criait était donc sûrement poursuivie. De plus, les bâtisses tout autour étaient hautes et les rues étroites, ce qui engendrait un écho.

 Alors qu’ils ralentissaient l’allure pour reprendre leur souffle, Tabatha tourna la tête vers une des maisons et lâcha une exclamation de surprise. Par l’entrée grande ouverte, elle avait vu plusieurs djaevels. Attirés par le bruit, ces derniers s’élancèrent vers la rue. En une fraction de seconde, Sin fo leva les deux mains dans leur direction et fit surgir du sol d’immenses pics de pierre acérés qui les transpercèrent et les repoussèrent à l’intérieur de la maison. Hank leva son bras pour protéger son visage des débris de pavés et de bois provenant de la porte et des poutres qui avaient éclaté sous la violence du choc. En le rabaissant, il constata que la moitié du rez-de-chaussée été dévastée par l’attaque de Sin fo. Il tendit son cou pour tenter de voir si les djaevels bougeaient encore, et vit que des gravats et de la poussière tombaient du plafond. Une poutre céda et s’effondra. Hank eut l’impression que le temps ralentissait. Il leva les yeux vers la façade du bâtiment qui s’affaissait sur eux. Il les tourna vers ses amis, pour voir Jacob plongeant sur Tabatha, et Sin fo pointer la paume de sa main vers lui. Un bloc de pierre apparut sous ses pieds et il se sentit projeté sur le côté.

 Il vola sur quelques mètres avant de rouler sur les pavés. Quand il parvint à se stopper, il se redressa immédiatement à quatre pattes et constata que toute la maison s’était écroulée et obstruait complètement la rue. Il vacilla légèrement en se redressant, encore sous le choc de l’accident, et se dirigea en claudiquant vers les décombres. Il appela Sin fo, toussa à cause de la poussière en suspension dans l’air, et l’appela à nouveau plusieurs fois. Ce fut Jacob qui finit par lui répondre :

– Hank, nous sommes là.

– Jacob tout va bien ? Vous avez pu pousser la petite ? Et Sin fo où est-elle ?

– Rassurez-vous, nous sommes tous là. Tabatha et moi avons pu échapper aux débris.

– Et Sin fo, répéta Hank inquiet.

 Il y eut quelques secondes de silence que le jeune homme brisa en criant :

– Jacob ?

– Oui, oui, ne vous énervez pas. Je voulais juste m’assurer que…

– Que quoi ? Qu’est-ce qu’elle a ?

– Elle a dû prendre un coup à la tête, parce qu’elle est un peu assommée. Et ses jambes sont coincées sous un tas de briques.

 Hank sentit un frisson glacé lui serrer la poitrine.

– Je… Je viens tout de suite !

– Non, l’interrompit brusquement Jacob. Vous devez retrouver ces gens qui criaient tout à l’heure.

– Je ne vais pas chercher des inconnus alors que Sin fo…

– Vous l’avez dit vous-même, il n’y a pas de temps à perdre. Le temps que vous parveniez à traverser ces décombres, j’aurai déjà sorti votre femme moi-même, et elle sera probablement déjà réveillée. Vous ne servirez à rien ici, mais des gens ont besoin de vous là-bas.

– Mais Sin fo…

– Hank ! Vous seriez prêt à laisser mourir ces personnes sans lever le petit doigt ?

 Le jeune homme posa ses poings fermés contre son front et poussa un râle de frustration.

– D’accord, je vais voir ce que je peux faire. De votre côté, essayez de dégager un passage, et surtout prenez soin de ma femme.

– Ne t’inquiète pas, intervint la petite voix de Tabatha, on est tous les deux là et armés pour la protéger ta femme.

 Souriant malgré lui de l’assurance de la princesse, Hank les quitta sur ces mots.

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