Chapitre 18 Brusque rappel à la réalité - Partie 2

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 Environ une heure plus tard, le petit groupe avait pris la route dans une ambiance plus que maussade. Sin fo évitait soigneusement d'adresser la parole à Tabatha, qui de toute façon faisait la tête depuis qu'ils étaient partis, et elle en voulait toujours à Hank de l'avoir laissée seule avec la petite princesse. Le pauvre Hank tenta de faire la conversation avec Jacob, mais ce dernier ne lui répondait que par des bribes de phrases, et il lui lançait des regards noirs chaque fois qu'il discutait avec Tabatha. Le silence retomba vite, et ils se trouvèrent tous plongés dans leurs pensées.

 Pourtant le décor n'incitait guère à la rêverie. Le ciel était morne, les soleils cachés par des nuages cendreux. De plus, un vent violent soufflait sur la plaine désertique, leur cinglant le visage et leur glaçant le corps jusqu'aux os. C'était une région désolée et aride, une vaste étendue de cailloux qui courait jusqu'à l'horizon. Il n'y avait aucun relief pour briser la force du vent, et les quelques arbres épars étaient trop secs et faméliques pour leur offrir un quelconque réconfort dans leur humeur morose.

 Ils marchèrent ainsi toute la journée, transis de froid et courbés en deux pour lutter contre le vent hurlant. À la nuit tombante, ils trouvèrent abri sous des buissons épineux. Jacob demanda à Sin fo d'user de son pouvoir pour leur construire une hutte, mais après avoir marché des heures dans des conditions éprouvantes, elle n'en avait pas la force, et il n'y avait pas suffisamment de vie animale et végétale autour d'eux en qui tirer la puissance nécessaire. Ils se contentèrent donc de la maigre protection que pouvaient leur offrir les branches épineuses et clairsemées.

 Jacob s'arrangea pour se placer entre Tabatha et Hank, et il garda une main sur son poignard, sous sa couverture. Il attendit d'être sûr que Hank dormait pour se laisser aller lui-même au sommeil. Sin fo quant à elle s'endormit dans les bras de Hank.

 La jeune femme fut réveillée par un rayon de soleil posé sur son visage. Elle se frotta les yeux et regarda le ciel radieux au dessus d'elle. Elle posa ses mains dans l'herbe et se releva en douceur. Elle s'était endormie la tête posée sur l'épaule de son ami, et elle ne voulait pas le réveiller. Elle s'étira et fit quelques pas dans l'air frais du matin, en le regardant avec un sourire. Il dormait une fois de plus le ventre découvert. Sin fo s'avança en direction des arbres. Elle voulait ramasser quelques morceaux de bois mort pour attiser les braises du feu de camp.

 Quelques minutes plus tard, elle parvint à obtenir de petites flammes qui venaient lécher le fond de la casserole qu'elle avait posée sur un trépied. Elle fit bouillir de l'eau pour faire du café. Elle avait été un peu rude avec son compagnon la veille, et elle comptait se faire pardonner avec un bon petit déjeuner.

 À un moment, elle crut entendre un bruissement derrière elle. Elle jeta un œil mais ne vit rien. Elle reporta son attention sur la casserole en haussant les épaules. Après quelques instants, un nouveau frémissement se fit entendre, comme des feuilles qui frottent l'une contre l'autre. Sin fo regarda tout autour d'elle, mais rien ne bougeait. Il s'agissait sûrement du vent…

 Elle venait de replonger sa cuiller dans l'eau bouillante lorsqu'un nouveau bruit résonna dans son dos. Elle fit volte-face, la cuiller levée comme une arme, et scruta les arbres. Le vent pouvait jouer bien des tours aux oreilles de ceux qui sont seuls en pleine nature, mais certainement pas faire craquer une branche. Sin fo regarda à gauche, à droite, puis elle entendit un nouveau craquement. En tournant la tête dans cette direction, elle vit un corbeau posé sur une branche qui la regardait droit dans les yeux. Non c'était idiot, un oiseau ne regarde pas quelqu'un dans les yeux.

– Alors c'est toi qui faisais tout ce bruit ?

 L'oiseau croassa sans la quitter des yeux.

 Sachant d'où venait le bruit, la jeune femme se détendit et retourna à sa préparation. Le corbeau s'envola de sa branche et vint percuter de plein fouet la casserole, renversant au passage toute l'eau sur les flammes, qui moururent presque instantanément. Sin fo commença par s'énerver sur l'oiseau, mais elle se calma vite en s'apercevant qu'il avait l'air mal en point. Elle s'agenouilla à ses côtés et le secoua doucement. Le corbeau releva la tête et croassa faiblement. Sin fo le prit dans ses mains et le remit sur ses pattes. Il fit quelques pas chancelants, puis il s'ébroua avant de battre joyeusement des ailes. En le voyant s'agiter de la sorte, Sin fo rit aux éclats. Le corbeau la regarda et émit plusieurs petits cris, et la jeune femme eut véritablement l'impression qu'il riait avec elle. Elle tendit le bras, et il grimpa dessus après lui avoir mordillé les doigts. Sin fo se redressa et replia son bras sur sa poitrine, de sorte à avoir l'oiseau au niveau de son visage. Celui-ci la regarda en face et

 Sin fo plongea son regard dans le sien. Elle y lut une grande intelligence, une grande sagesse, et même ce qui semblait être de la tendresse.

 Soudain, le corbeau s'envola, tournoya dans les airs quelques instants, avant de se poser sur le ventre de Reg'liss. Avant que Sin fo ait pu réagir, l'animal commença à lacérer l'abdomen du jeune homme. Ce dernier se réveilla en sursaut et hurla de douleur. Sa peau était déjà toute arrachée et le sang coulait abondamment. Le jeune homme repoussa le corbeau et essaya de se lever, mais l'animal revint à la charge en s'attaquant cette fois au visage du malheureux Reg'liss. Il le griffait partout où il pouvait poser ses pattes, et il le frappait en battant des ailes. Reg'liss tentait de se défendre, mais les mouvements violents qu'il effectuait ne faisaient qu'accélérer le débit du flot de sang qui s'écoulait par la plaie qu'il avait au ventre. Il fut bientôt pris de vertiges et tituba. Il porta ses mains à son abdomen, et le corbeau profita de l'occasion pour lancer une ultime attaque. Il fondit sur le jeune homme et lui creva les yeux avec le bec. Reg'liss s'effondra et le corbeau se posta sur sa poitrine, avant de pousser un croassement sinistre, comme un cri de triomphe.

 Sin fo était restée tétanisée devant cette scène. Elle n'arrivait pas à croire que cet animal, qui n'avait pas montré la moindre agressivité à son égard, ait pu s'en prendre ainsi à Reg'liss. Elle s'avança tremblante vers la dépouille de son ami et tomba à genoux à ses côtés. Elle regarda le corbeau en pleurant et lui demanda :

– Pourquoi ?

 Et là, à sa grande surprise, le corbeau lui répondit.

– C'est pour toi.

– Quoi ?

 L'oiseau, qui était l'instant d'avant noir comme le charbon, avait maintenant des plumes couleur de paille, et sa voix était montée de plusieurs octaves lorsqu'il répéta :

– C'est pour toi.

 Un éclat de soleil aveugla Sin fo. Lorsqu'elle recouvra la vue après avoir battu plusieurs fois des paupières, elle vit Tabatha qui se tenait au dessus d'elle et lui disait d'un air agacé :

– Tu le prends ou pas, ce petit déjeuner ? Je ne vais pas rester là toute la journée !

 Comme Sin fo ne réagissait toujours pas, Tabatha leva les yeux au ciel et posa l'assiette dans l'herbe à côté d'elle avant de s'éloigner en soupirant. Sin fo se redressa en regardant autour d'elle d'un air hagard. La forêt avait bel et bien disparu, ainsi que la dépouille de Reg'liss et le corbeau. Elle était de retour sous le buisson épineux, avec la petite princesse, Jacob qui touillait le contenu d'une poêle, et Hank qui leva les yeux vers elle, lui sourit, et fronça les sourcils en voyant son teint hâve. Il vint jusqu'à elle et la questionna :

– Tout va bien ?

– Très bien, mentit-elle. Quelle heure est-il ?

– Un peu plus de huit heures. Tu as une mine affreuse.

– Je te remercie, moi aussi je t'aime, répondit-elle d'une voix sarcastique.

– Tu sais ce que je veux dire. Tu as refait ce rêve ?

– Non.

– S'il te plaît Sin fo, tu parlais dans ton sommeil, tu t'agitais, et en te réveillant tu as la tête de quelqu'un qui n'a pas dormi depuis des jours. Alors dis-moi la vérité ; as-tu refait ce rêve ?

– Je te promets que je n'ai pas encore rêvé de cela.

 D'une certaine manière, elle ne lui mentait pas, car elle avait fait un rêve différent, bien que l'issue en soit la même. Mais elle ne savait pas comment arrêter de faire ces rêves et elle ne voulait pas inquiéter Hank pour rien. Ce genre de visions étaient pénibles mais en aucun cas dangereuses pour elle. D'autant plus qu'ils avaient désormais de plus gros problèmes que de simples cauchemars. La jeune femme embrassa son compagnon pour clore la discussion, puis se leva et rejoignit Jacob. Hank et Tabatha s'assirent avec eux et ils mangèrent tous en silence. Chacun ramassa ensuite ses affaires, Jacob éteignit le feu, et avant neuf heures, ils avaient repris leur route.

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