Chapitre 17 La vie de château - Partie 5

8 minutes de lecture

Deux ans auparavant.

 Tabatha était aux anges. Pour la première fois depuis très longtemps, elle passait la journée complète avec ses deux parents. Son père était surchargé de travail ces derniers temps, mais il avait expédié les affaires les plus urgentes, repoussé les autres au lendemain, et ordonné qu'on ne le dérange sous aucun prétexte.

 Ils avaient passé toute la matinée en ville, sans escorte et en vêtements sobres afin de passer inaperçus. Certains commerçants les avaient reconnus, notamment ceux qui fournissaient les cuisines du palais, mais ils avaient su rester discrets. Ils avaient pris leur petit déjeuner en terrasse, et Eowyn avait aidé sa fille à se choisir une robe chez un fripier, comme dans n'importe quelle famille ordinaire. La petite princesse ne voulut pas croire sa mère quand elle lui dit qu'il n'y avait pas si longtemps, elle vivait ainsi tous les jours.

 Vers midi, la faim se faisant sentir, ils s'achetèrent à manger à une échoppe ambulante. Le ciel était sans nuages, les soleils radieux, et une brise légère apportait ce qu'il fallait de fraîcheur. C'est pourquoi ils décidèrent de manger dehors.

 Ils rentrèrent donc au château, dont les grilles étaient restées ouvertes, afin que les habitants de la ville puissent profiter des jardins. En ce début d'après-midi, peu de gens pouvaient quitter leur travail pour aller flâner dans les allées du parc, si bien que Tabatha et ses parents trouvèrent sans peine un emplacement à l'ombre et à l'écart. Ils déjeunèrent assis dans l'herbe, leur repas posé sur une nappe à carreaux qu’Eowyn avait achetée sur le chemin, parlant de tout et de rien, des leçons de Tabatha et des rumeurs de la cour.

 Un peu plus tard, alors qu’Eowyn s'était endormie dans les bras d'Albus et que Tabatha tentait d'attraper un oiseau en l'appâtant avec un morceau de brioche, une clameur se fit entendre au loin. Ils n'y prêtèrent d'abord pas attention, mais elle se fit de plus en plus forte, comme si une foule approchait du palais. Albus regarda sa montre et remarqua en fronçant les sourcils :

– C'est étrange, il n'est pas encore très tard. Il ne devrait pas y avoir tant de monde dans les rues.

 Soudain une explosion retentit et un épais nuage noir s'éleva un peu plus loin dans la ville. Eowyn se réveilla en sursaut et Albus se leva en un bond.

– Qu'est-ce que..., commença Eowyn.

– Debout, lève-toi, l'interrompit son mari. Prends la petite et courez vers le château. Je vous rejoins tout de suite. Allez-y, maintenant !

 Eowyn attrapa sa fille par la main et elles partirent en courant vers la porte principale du château. À mi-chemin, Tabatha tourna la tête et vit son père qui donnait des ordres aux gardes au portail, en faisant de grands gestes en direction de la ville. Parvenues à la porte, la mère et la fille s'arrêtèrent pour attendre Albus, qui les rejoignit moins d'une minute plus tard en criant :

– Ne vous arrêtez pas, courez !

– Mais enfin que se passe-t-il ?

– Je t'expliquerai dès que nous aurons trouvé Jacob. Allez, on y va !

 Ils coururent à travers tout le palais. Leur débandade effrénée de portes claquées et de pas résonnant dans les couloirs attira rapidement l’attention. Albus cria à tous les curieux de se cacher et de se préparer à se battre. Rongée par l’angoisse et l’incompréhension, Eowyn serra plus fort la main de Tabatha qu’elle sentit ralentir. Voyant sa fille trébucher de fatigue, Albus s’arrêta une seconde pour la soulever et la caler dans ses bras. Un bref signe de tête pour sa femme, et ils se remirent en marche.

 Enfin, ils arrivèrent aux appartements de Jacob. Ils le trouvèrent profondément endormi sur son canapé. Albus se pencha en avant pour que Tabatha, toujours accrochée à son cou, se laisse glisser au sol, et secoua vivement son ami par l'épaule. Jacob se releva péniblement en se massant la nuque.

– Qu'est-ce que vous faites là tous les trois ? Vous ne deviez pas passer la journée en ville ?

– La ville est assiégée.

– Quoi, s'écrièrent Eowyn et Jacob au même moment.

– Ce sont des djaevels.

– Les dieux nous gardent, souffla Eowyn.

 Tabatha ne savait pas ce qu'étaient les djaevels, mais elle n'avait jamais vu une telle peur dans les yeux de son père.

– J'ai ordonné qu'on ferme tous les accès au château, expliqua ce dernier en tendant un doigt dans son dos en direction des jardins, mais ça m'étonnerait que ça les retienne très longtemps. Il va falloir défendre le palais. Jacob, as-tu des armes ?

– Bien sûr, j'ai même nos vieilles armures de tournoi.

 Il ouvrit les portes d'une armoire qui occupait presque un pan de mur, et fouilla dedans quelques instants avant d'en sortir deux épées, ainsi que des plastrons, des maniques et des boucliers en métal.

– Trouve-moi aussi une arme Jacob, intervint Eowyn.

 Le roi tourna vivement la tête vers elle.

– Il est hors de question que tu affrontes les djaevels.

– Je sais me battre, je te serai utile.

– Je refuse que tu viennes. Pense à Tabatha.

– Justement c'est pour elle que je le fais. Je ne permettrais pas qu'on lui fasse du mal. Nous devons arrêter ces démons pour qu'elle soit en sécurité.

 Tout à coup une détonation assourdissante éclata, faisant trembler tout le palais et mettant un terme à leur dispute. Jacob se précipita à la fenêtre et poussa un cri.

– Ils sont rentrés ! Le portail n'a pas tenu !

– Jacob, te souviens-tu de la promesse que tu m'as faite il y a dix ans ?

– Bien sûr, mais...

– Il est temps de la tenir, mon ami.

 Albus attira sa fille vers lui et la serra plus fort qu’il ne l’avait fait depuis longtemps. Il déposa un long baiser sur son front et en profita pour humer ses cheveux. La gorge serrée, il lui dit :

– Ma chérie, tu vas partir avec Jacob. Il va t'emmener en lieu sûr.

– Je veux rester avec vous. On devait passer la journée ensemble.

– Je sais, mais ces gens qui attaquent le château sont très dangereux. Papa doit rester pour tenter de les arrêter, parce que c'est ma responsabilité, mais toi tu dois fuir.

 Des cris retentirent à l'intérieur du château. On pouvait entendre le bruit de portes qui s'ouvraient à la volée, ainsi que le fracas des meubles retournés. Les djaevels étaient en train de mettre à sac le palais. Albus poussa doucement Tabatha dans les bras d’Eowyn, qui la serra contre son cœur.

– N'aie pas peur ma petite Taby, tout va bien se passer. Va avec Jacob, papa et moi on vous retrouvera plus tard.

 Des larmes coulèrent sur les joues d'Eowyn, mais sa fille ne les vit pas. Albus posa la main sur l'épaule tremblante de sa femme.

– Il faut la laisser partir maintenant, avant qu'il ne soit trop tard. Jacob, je compte sur toi.

 Eowyn et Albus ramassèrent leur équipement et sortirent de la chambre en refermant la porte derrière eux. Jacob se dirigea vers l'armoire et tapa du poing contre le fond. Après plusieurs essais, il trouva un endroit qui sonnait creux et souleva un panneau de bois qui cachait une sortie dérobée. Il poussa Tabatha à l'intérieur et la suivit après avoir remis le panneau en place. Ils empruntèrent un couloir sombre et humide pendant de longues minutes. Des bruits de combat leur parvenaient de derrière les murs de pierre.

– Où va-t-on Jacob ?

– Ce passage mène à l'arrière du château, juste à côté des écuries. Ton père et moi, nous l'avons souvent utilisé quand nous étions plus jeunes pour sortir discrètement la nuit et aller en ville. On va essayer de prendre un cheval et de s'enfuir.

– Pourquoi un seul cheval ? Je sais monter, je refuse de grimper derrière toi.

– Très bien, deux chevaux si tu veux.

 Le passage était sinueux, se faufilant entre les différentes ailes du palais, et descendant en pente douce. Après un long corridor, ils descendirent une volée de marches pour se retrouver face à un mur de pierres noires.

– C'est une impasse, s’exclama la fillette. Il va falloir faire demi-tour !

– Bien sûr que non. Tu t'attendais à quoi, à une porte ouverte et un panneau indicateur ? Un passage secret doit le rester. Ne fais pas de bruit, je vérifie que la voie est libre.

 Jacob s'appuya de tout son poids contre le mur, afin de le faire avancer de quelques centimètres, puis glissa ses doigts dans un interstice à gauche du mur et s'arc-bouta pour faire coulisser le pan de mur sur le côté. Il le fit glisser d'abord d'une dizaine de centimètres et colla son visage à l'ouverture pour regarder au dehors. Après quelques instants, il reprit sa position et fit coulisser le mur jusqu'à la moitié. Il fit signe à Tabatha de sortir, puis après l'avoir imitée, il referma l'accès au couloir.

– Pourquoi est-ce que tu rebouches l'entrée ?

– Si jamais tes parents ou quelqu'un d'autre souhaitent se servir du passage secret, il vaut mieux que nos ennemis ignorent son existence.

– Mais qui sont-ils ? Ce sont de méchantes personnes ?

– Pire que ça ma petite Tabatha, bien pire. Ce sont des djaevels. Ils n'ont rien d'humain, mis à part l'apparence. Ils ne connaissent ni la peur ni la douleur, et encore moins la pitié. Il n'y a que deux choses qui les animent : la faim et l'envie de tuer. Ils sont pire que des bêtes, ce sont de véritables démons.

– Pourquoi n'en ai-je jamais entendu parler ?

– Tout d'abord parce que tu es trop jeune. Tu n'es encore qu'une enfant, ce genre de choses ne devrait pas te concerner. Ensuite parce qu'ils ne sont apparus que très récemment. Ils n'existaient pas il y a encore quelques années. Ils sont apparus subitement dans le sud il y a trois ans. Ils ont commencé par attaquer des petits villages, puis ils se sont multipliés et ont attaqué des villes de plus en plus grandes. Ton père a envoyé des soldats par centaines, mais aucun n'est revenu. Des régions entières se sont vidées de leurs habitants, qu'ils aient été tués par les djaevels ou les aient fuis. Tiens regarde, il y a des chevaux.

 Tabatha et Jacob étaient parvenus aux écuries sans encombres. En poussant la porte de la stalle, Jacob eut un mouvement de recul et retint la petite princesse avec son bras.

– N'avance pas ! Il y a des corps là-dedans. Par tous les dieux... On dirait qu'ils ont été dévorés. J'ai l'impression que c'est Nils et Tilman, les garçons d'écurie. Je vais chercher les chevaux, ne regarde pas.

 Jacob sortit les bêtes du box et les sella. Il aida Tabatha à se hisser sur l'un d'eux et se préparait à monter sur l'autre lorsqu'un bruissement se fit entendre à côté. Il rouvrit la porte pour voir l'un des deux hommes qui remuait dans la paille.

– Nils, j'ai cru que tu étais mort ! Laisse-moi t'aider.

 Mais avant que Jacob ne s'approche, l'homme s'était levé et avait tourné la tête dans sa direction. En voyant son visage, Jacob poussa un nouveau cri. Le nommé Nils avait une énorme plaie béante à la gorge et ses yeux étaient d'un blanc laiteux. Il poussa un long râle et commença à s'avancer vers Jacob, qui se saisit d'une fourche posée non loin et lui planta dans la poitrine en le repoussant vers le mur du fond de la stalle. Jacob sentit les côtes de l'homme se briser et vit le sang couler à flot. Pourtant l'homme ne semblait pas blessé. Il continuait à se débattre et à tendre les bras vers Jacob. Ce dernier lâcha la fourche et sortit du box en sautant par dessus le deuxième corps, qui commençait à bouger lui aussi. Il grimpa en hâte sur son cheval et l'éperonna en criant à Tabatha de le suivre. Ils s'enfuirent tous deux au galop, laissant derrière eux le palais et la ville aux mains des djaevels.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire William BAUDIN ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0