Chapitre 8 Un départ difficile - Partie 3

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 Reg'liss écarta la vieille femme et traversa le couloir en toute hâte. Il descendit l'escalier et tomba nez à nez avec Lucy qui s'arrêta sur la première marche et le regarda avec des yeux écarquillés. Rouge de honte, Reg'liss s'empressa de lui fournir une explication :

– Je sais ce que vous vous dites, mais c'est un affreux malentendu. Je n'ai pas l'habitude de me promener à moitié nu.

– Alors pourquoi justement dans mon établissement ?

– Je me suis disputé avec mon amie et elle m'a mis à la porte.

 Lucy secoua la tête, faisant ainsi onduler sa longue chevelure rousse, et soupira.

– Si ce n'est pas malheureux de voir des jeunes couples se disputer, surtout de si bon matin. Venez avec moi, je vais vous donner de quoi vous couvrir.

– C'est très gentil, la remercia Reg'liss en descendant les dernières marches et en la suivant dans la pièce principale. Mais vous vous trompez, Sin fo et moi ne sommes pas en couple.

 Le jeune homme se mordit les lèvres en réalisant qu'il venait de prononcer le nom de son amie. Hank l'aurait sûrement incendié et traité d'idiot pour cela. Mais après tout, Lucy avait déjà son nom à lui sur le registre, le mal était fait.

– Ah bon, s'étonna l'aubergiste. J'en étais persuadée. Vous avez l'air si proches.

– Nous le sommes, mais pas de cette manière.

– Vous devriez peut-être y penser, elle est mignonne comme tout, dit-elle en passant derrière le comptoir.

 Elle se retourna soudain et dévisagea le jeune homme, les mains sur les hanches.

– Dites-moi la vérité. Vous y avez déjà pensé, n'est-ce pas ?

 Reg'liss rougit mais ne répondit rien.

– J'en étais sure, pouffa Lucy. Et elle, qu'en dit-elle ?

– On en a jamais vraiment parlé... On se connaît depuis qu'on est tout petits. Ça pourrait paraître bizarre.

– Les hommes sont vraiment tous les mêmes, soupira Lucy. Mon mari aussi à mis des années à m'adresser la parole. Il venait dans mon auberge presque tous les jours, mais ne me parlait presque pas. J'ai souvent essayé d'engager la conversation, mais il y coupait court et me disait qu'il avait du travail. En y repensant, c'était le plus grand mufle que j'ai rencontré, rit Lucy. Et en définitive, j'ai fini par l'épouser.

– Tout est bien qui finit bien, résuma Reg'liss avec un sourire.

– C'est vrai, mais nous aurions pu être ensemble des années plus tôt s'il n'avait pas été si timide. La vie est trop courte pour perdre son temps. Vous devriez faire part de vos sentiments à votre amie. Je serais même étonnée qu'elle ne s'en doute pas déjà.

– Vous avez peut-être raison, concéda le jeune homme après un instant de réflexion. Mais ce n'est pas si facile.

– Personne n'a dit que ça l'était. Mais vous savez ce qui est difficile également ?

– Non quoi ?

– Attirer les clients dans une auberge où un homme se balade en sous-vêtements, rit Lucy. Sans vous offenser, bien sûr. En fait vous n'êtes pas désagréable à regarder. Je vous préviens que si vous répétez ça à Halbarad, votre note sera doublée, ajouta-t-elle précipitamment.

 Elle lui tendit un tablier et lui dit :

– Mettez déjà ça, ça vous tiendra un peu chaud. Bien sûr, ça ne couvrira pas vos arrières, mais si vous restez derrière le comptoir, personne ne le verra.

– Merci pour votre gentillesse, et pour vos conseils. Malheureusement, je ne crois pas que je pourrai les mettre en pratique. J'ai vraiment blessé Sin fo, et elle ne veut plus m'adresser la parole.

– Il ne faut pas commencer votre journée en vous montrant aussi défaitiste. Buvez-moi ça, ça ira mieux après.

 Reg'liss obéit sans rechigner à Lucy et reconnut que son café était le meilleur qu'il ait jamais bu. Tandis qu'il l'aidait à laver et ranger de la vaisselle, il demanda à l'aubergiste si elle connaissait un moyen de se faire pardonner une parole malheureuse. Celle-ci lui promit que les pâtisseries qu'elle servirait à Sin fo lui feraient oublier tout ce qui avait pu la mettre de mauvaise humeur.

 Une heure plus tard, les cheveux encore humides, la jeune femme descendit et s'installa à une table avec Reg'liss, qui avait quitté le comptoir pour la rejoindre. Lucy leur apporta un plateau chargé de café fumant, de brioches et de pattes d'Enerof dorées, de pain frais, de plusieurs pots de confitures de tous parfums et de divers fruits qui poussaient dans la région de Castelroi. Après deux bouchées de brioche Sin fo semblait en effet ne plus se rappeler qu'elle en voulait à Reg'liss et celui-ci adressa un sourire reconnaissant à Lucy.

 Alors que les habitués prenaient peu à peu possession des lieux, nos deux héros montèrent rassembler leurs affaires et prirent congé de Lucy, promettant de revenir bientôt et de lui faire la meilleure des réputations. Ils sortirent dans la rue baignée par la lumière des soleils levants et pendant une minute ils se sentirent si sereins qu'ils auraient voulu rester là toute la journée à flâner. Puis ils s'écartèrent pour permettre à deux soldats de rentrer au Tonneau Malté et ils se souvinrent qu'ils étaient en danger dans cette ville. Ils se dirigèrent donc directement vers la porte est en tâchant d'être les plus naturels possible.

 Les deux épais battants de bois étaient ouverts et la herse relevée. Quatre soldats étaient postés de part et d'autre de la porte, vérifiant l'identité de ceux qui entraient et sortaient de la cité, et fouillant au hasard les sacs et marchandises de certains d'entre eux. En cette heure matinale les sortants étaient peu nombreux, ce qui fait que les deux gardes chargés des départs avaient plus de temps à consacrer à chaque voyageur. Les deux jeunes gens avançaient d'un pas hésitant vers le portail, craignant d'être reconnus à chaque instant. Sin fo gardait une main sur le poignard dissimulé dans sa poche, prête à s'en servir au moindre signe de danger.

 Il n'y eut bientôt plus qu'une personne devant eux et Reg'liss commençait à montrer des signes d'impatience. Il se balançait légèrement sur ses pieds et tendait le cou pour regarder au dehors de la cité par dessus la tête de l'homme devant lui. Un des gardes remarqua cette attitude et s'approcha de lui et de Sin fo.

 Il s'apprêtait à leur parler, quand un cri se fit entendre un peu plus loin sur la route. L'homme fit volte-face et ils virent tous une sorte d'énorme buffle galoper dans leur direction, suivi par un paysan qui lui courait après, une cravache à la main, en tentant vainement de le calmer. L'animal mesurait plus de deux mètres, avait deux cornes sur le crâne et une autre sur le museau, une bosse sur le dos recouverte de longs poils bruns et une mince queue qui fouettait l'air pour marquer sa fureur. Il passa la porte de la cité en renversant la moitié des personnes qui se trouvaient sur sa route et il alla finir sa course dans la vitrine d'un magasin situé juste à côté. Le choc semblait l'avoir étourdi, ce qui ne l'empêcha pas d'essayer de casser consciencieusement tout ce qui se trouvait à sa portée.

 Les quatre gardes, qui s'étaient relevés, se précipitèrent pour aller prêter main-forte au propriétaire de l'animal qui tentait toujours de le calmer. Profitant de toute cette agitation, nos deux héros s'étaient hâtés hors de Castelroi et couraient maintenant pour s'éloigner le plus possible avant que les gardes reprennent leur poste. Ils furent bientôt rejoints par Hank, qui les fit sortir de la route afin de couper à travers champs.

 Lorsqu'ils ralentirent l'allure, ils étaient si loin de Castelroi qu'ils ne voyaient plus que le sommet du beffroi s'élever au dessus des collines. Ils avaient traversé un bosquet et marchaient dans un pré où paissaient une trentaine de créatures semblables à celle qui avait manqué les piétiner. Voyant leur réticence à s'approcher du troupeau, Hank les rassura.

– Ceux-là ne vont pas charger. Les mangoliers sont des animaux paisibles si on les laisse en paix. Et vous pouvez remercier les dieux que j'ai titillé celui que vous avez croisé.

– C'est à cause de toi qu'il nous a foncé dessus, s’emporta Reg'liss. Tu essayais de nous tuer ?

– Il fallait bien que j'intervienne, rétorqua Hank en se tournant vivement, tu étais plus agité qu'un gosse le jour de son anniversaire et Sin fo semblait sur le point de tuer la première personne qui lui adresserait la parole. Je vous avais pourtant demandé d'être discrets !

 Sin fo lui adressa un sourire gêné, et même Reg'liss émit un grognement qui ressemblait vaguement à un ''merci''. Ils passèrent sans encombre au milieu du troupeau et continuèrent leur chemin en suivant la direction plein nord, évitant les routes et les habitations autant que possible.

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