Chapitre 4 Un village tranquille - Partie 2

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 Comme le vieux Berg le leur avait proposé, ils décidèrent de rester quelques jours chez lui, afin de se reposer avant de reprendre la route. Les quelques jours précédents avaient été éprouvants, en particulier pour Sin fo, qui n'avait pas l'habitude d'errer en forêt. Elle avait trébuché plusieurs fois, finissant par se tordre légèrement la cheville. Elle s'était éraflés les bras et le visage à cause de branches basses ou de ronces tombantes. Sa peau était couverte de petits boutons rouges et la démangeait horriblement à cause du contact avec certaines plantes et des piqûres d'insectes. Reg'liss quant à lui avait eu les jambes quasiment dévorées par les sangsues lorsqu'ils avaient traversé les marais. De plus, malgré ses qualités de chasseur, ils étaient loin d'avoir mangé à leur faim depuis le tournoi. C'est pour toutes ces raisons qu'ils accueillirent avec gratitude l'invitation du vieil homme.

 Ce dernier était content d'avoir un peu de compagnie, car il vivait seul depuis la mort de sa femme survenue quelques années plus tôt. Ils n'avaient jamais eu d'enfants, et le caractère bourru de Berg ne lui ayant jamais permis de se faire beaucoup d'amis, il n'avait pas l'habitude de recevoir. Malgré cela, il faisait tout son possible pour rendre le séjour des jeunes gens agréable. Pour le remercier, ils décidèrent de l'aider dans son travail.

 Reg'liss l'accompagna au jardin un matin, prétextant que retourner la terre était plus un travail d'homme. Sin fo n'apprécia pas cette remarque misogyne, mais après tous ces jours passés en forêt, elle était heureuse de pouvoir rester à l'intérieur. Et bien qu'elle ne l'avoua pas à Reg'liss, elle reconnut au fond d'elle-même qu'elle ignorait tout des travaux des champs.

 Reg'liss lui avait dit deux jours plus tôt qu'elle était une petite fille bourgeoise. Elle savait qu'il n'avait dit cela que pour la taquiner, mais cela l'avait quand même affectée. Bien sûr, sa famille était la plus riche de Ts'ing Tao. Bien sûr elle avait toujours eu des domestiques pour s'occuper d'elle, lui faire à manger ou ranger ses affaires quand, enfant, elle refusait de le faire pour contrarier ses parents. Mais ce n'étaient pas les valeurs que ses parents lui avaient inculquées. Avant de disparaître, sa mère lui avait appris à respecter tous les gens, et à ne pas se croire supérieure à eux simplement parce qu'elle était un peu plus riche.

 Afin de respecter la mémoire de sa mère, Sin fo s'était efforcée toute sa vie de tenir cette promesse, mais malgré tout, ses voisins et ses amis avaient des à priori sur elle. Tout le monde au village la traitait avec respect, presque avec déférence, mais cela ne faisait que créer une distance entre Sin fo et eux. Et tout cela simplement parce qu'elle était la fille du chef du village. Pourtant son père n'avait pas souhaité que tout le monde soit toujours aux petits soins pour sa fille. Bien sûr, lui-même la protégeait sans cesse et empêchait quiconque de lui faire du mal, et plus encore depuis que la maladie avait emporté sa femme, mais il avait aussi voulu que sa fille puisse se défendre par elle-même. C'est pourquoi depuis sa plus tendre enfance, il l'avait entraînée à se battre, lui enseignant la lutte à mains nues, l'escrime et surtout la maîtrise de son pouvoir.

 À ce souvenir, Sin fo passa sa main sur son épaule droite, à l'endroit où elle était tatouée d'une spirale noire. Ce tatouage, elle l'avait eu lorsqu'elle avait eu trois ans, pour célébrer les progrès qu'elle avait faits dans ce domaine. C'était une vieille tradition au village, mais elle ne s'en rappelait plus les origines.

 Sin fo chassa ces souvenirs en secouant la tête. Si elle commençait à penser à sa famille, elle allait être gagnée par la mélancolie, et elle risquait de pleurer. Elle n'était pas du genre à se plaindre pour un rien, mais tous ces jours passés en forêt sans le moindre confort et surtout l'incertitude quand à leur situation avaient mis ses nerfs à rude épreuve. Elle adressa une rapide prière à la déesse Aloui en espérant revoir ses proches bientôt, et retroussa ses manches pour se mettre au travail.

 Elle avait décidé de ranger quelques affaires appartenant au vieux Berg. Elle se rendit donc sur le palier à l'étage. Là, en face de la chambre que Berg leur avait prêtée, il y avait l'ancienne chambre qu'il partageait avec sa femme. À la mort de celle-ci, et l'âge l'empêchant de monter et descendre trop souvent les escaliers, il s'était installé au rez-de-chaussée et avait entreposé toutes ses affaires inutilisées dans cette pièce.

 Sin fo tenta de rentrer dans la pièce mais ne parvint pas à ouvrir la porte. Elle crut d'abord que Berg l'avait verrouillée, puis elle s'aperçut qu'elle était en fait ouverte de quelques centimètres. Sin fo s'arc-bouta alors de tout son poids contre le panneau de bois pour réussir à le faire bouger. Le bois lui-même résistait, car cette porte n'avait pas bougé depuis des années, et il devait y avoir quelque chose derrière qui la bloquait, car Sin fo ne parvint à l'ouvrir qu'à moins du tiers. Essoufflée, elle décida de s'en contenter et se glissa par l'ouverture tant bien que mal. La jeune femme n'était pas très épaisse, mais elle dut néanmoins forcer pour passer et elle arracha un bout de sa tunique sur une écharde qui dépassait.

 Elle regarda l'accroc en jurant, puis leva les yeux sur la pièce. Elle regretta immédiatement de ne pas être à la place de Reg'liss. La pièce était plongée dans la pénombre, mais elle voyait malgré tout que des montagnes d'objets s'entassaient aux quatre coins. Tout semblait avoir été posé là par hasard, sans aucun ordre, des toiles d'araignée opaques pendaient un peu partout et l'air sentait le renfermé, la poussière et les crottes de rat. Seuls quelques espaces libres sur le sol lui permirent de rejoindre la fenêtre par petits bonds. Là, elle dût jouer des épaules pour réussir à débloquer le châssis, qui comme la porte n'avait pas servi depuis des années.

 Sin fo se pencha à la fenêtre pour inspirer une grande bouffée d'air frais. Il faisait un temps superbe dehors, et la température était bien plus clémente que sur Incuna. À quelques mètres de la maison, dans le jardin, elle vit Reg'liss qui travaillait. Il retournait de la terre avec une bêche, et avait ôté sa chemise, probablement à cause de la chaleur. Sin fo savait qu'il était habitué à ce genre de tâche, mais elle ne l'avait jamais vu faire. Elle fut surprise de voir à quel point il était musclé. Bien sûr, il était loin d'être un colosse imposant, mais des années de travail manuel lui avaient taillé un corps sec et robuste. Sin fo se sentit un peu honteuse de l'avoir toujours plus ou moins vu comme un gringalet.

 Alors qu'elle le regardait, perdue dans ses pensées, le jeune homme se redressa pour s'éponger le front et regarda dans sa direction. Il la vit et tendit la main vers elle en lui souriant. Sin fo sentit le rouge lui monter aux joues et s'empressa de se reculer après lui avoir fait un rapide signe de la main. Pourquoi était-elle gênée de l'avoir regardé ainsi ? Après tout, il n'y avait aucun mal à regarder un vieil ami travailler. Un vieil ami... Sin fo ne voulait pas penser à ce genre de choses. Ce n'était pas le moment.

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