Chapitre 15

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Lucy envoie les mains dans son manteau, prête à dégainer. Je la retiens. On va commencer doucement.

- Je suppose que vous êtes Kermit ?

Le gars se marre et se retourne vers un pote.

- T’entends ça ? Il m’a pris pour Kermit, ils partent tous les deux dans un fou rire et manquent de s’étouffer.

- Non, vous n’y êtes pas du tout.

Il sort sa main gauche de sa poche.

Elle est fourrée dans une petite chaussette verte avec deux gros yeux qui me fixe.

La chaussette se met alors à causer.

- C’est moi celui que tu cherches… je suis Kermit.

Lucy éclate de rire et me dit à l’oreille.

- Tu vois, j’avais raison c’est la marionnette du Muppet.

On vit vraiment dans un monde de tordus.

Ok, je me balade en lapin, mais un gars qui parle par l’intermédiaire d’une chaussette en forme de grenouille, ça va carrément trop loin.

En tout cas il est très fort car je ne vois même pas ses lèvres bouger. Le type retourne sa chaussette vers lui et se parle.

- Bill, tu peux nous laisser cinq minutes, dit Kermit à… Bill.

Le type se retourne, tape la discut’ avec son pote pendant que sa main continue de nous parler.

- Il paraît que tu me cherches ? Tu penses que m’éliminer mettra un terme aux agissements des membres de « L’équipe » ?

Je garde le silence et le laisse continuer.

- Et bien Lapin, je vais te faire une faveur. Je vais te faire gagner du temps, plus besoin de chercher « L’équipe », elle est venue ce soir spécialement pour toi.

Le barman appuie sur un interrupteur.

L’ambiance feutrée et cosy de la boîte, laisse place à une lumière vive et blanchâtre.

Lucy est sur ses gardes et d’un coup d’œil balaye la salle.

Je fais de même. C’est très clair, on est tombé dans un piège.

Un couple en plein ébat s’arrête net et se retourne vers nous.

Je reconnais le type, c’est un Jean-Clone. Évidemment.

La femme fait de même tout en remontant sa jupe, elle se recoiffe, me regarde en souriant, mon sang se glace.

C’est encore un Jean-Clone, mais avec une perruque et habillé en nana.

C’est vraiment dégoutant, le mec se baisait lui-même. Enfin, si on peut le formuler comme ça.

Il y a encore une dizaine de répliques éparpillées dans la salle. Derrière Kermit, trois personnes se lèvent et le rejoignent au bar.

Un petit gros barbu, un grand costaud et un blondinet tout efféminé avec une petite mèche.

Je regarde Lucy. Elle reste de marbre.

Je la connais, elle analyse tranquillement la situation.

Elle est prête à bondir. Elle attend le signal.

Cet enculé de Barney s’est bien foutu de nous. Il nous a envoyés direct dans la gueule du loup. On aurait dû se méfier, pour le coup on a bien merdé.

- C’est Barney qui nous a balancés ? C’est ça ? Il n’a jamais eu l’intention de quitter la ville ? je dis à Kermit.

Kermit se retourne vers Bill.

- T’entends ça ? Il doute de notre ami Barney.

Bill sort sa main droite de sa poche.

Cette fois-ci, elle n’est pas fourrée dans une chaussette. Mon estomac se retourne. Dans la main de Bill, la tête de Barney, version bébé. Il a fait sortir ses doigts des orbites et son pouce de la bouche.

Lui, qui me demandait plus tôt où est-ce que j’ai la tête, moi je sais où est la sienne.

Il fait parler la tête comme une marionnette. Cette fois, je vois bien bouger les lèvres de Bill, il n’est pas doué pour la ventriloquie.

Avec une voix approximative de bébé, tout en agitant la tête de Barney il nous dit.

- Oh Lapin, je te jure, jamais je ne t’aurais trahi. Je ne suis pas un menteur, je t’avais prévenu qu’il était très très méchant.

Je pense que Lucy a perçu cette scène désopilante comme un signal.

Elle attrape une pinte de bière sur le comptoir, se jette sur Bill et la lui casse sur le crâne.

Il tombe à terre.

La foule panique, ça me rassure. Ce qui veut dire que la salle n’est pas seulement remplie d’agents mais aussi de clients.

Le barman tente de m’étrangler de derrière le comptoir. Je lui file un coup de coude clouté dans son front. Je reste coincé, je tire sec pour me dégager, un petit jet sanglant arrose le manteau de Lucy.

Je savais que le blanc c’était salissant mais ça lui va tellement bien.

Des gens courent de partout, se demandant surement ce qui se passe.

Un Jean-Clone sort un flingue et tire en notre direction. On se baisse.

- Mélange-toi à la foule, je gueule à Lucy.

Je fais de même.

Bill se relève, je reviendrais m’occuper de lui plus tard. Quoique… je reviens en arrière, sors ma batte de mon sac et lui dévisse la tête.

Ce qui est fait n’est plus à faire.

Il retourne par terre mais cette fois, le crâne ouvert en deux.

Son bras gauche continue de bouger. Kermit est toujours vivant, comme si Bill et lui étaient deux personnes à part entière.

- Chopez-moi cette salope ! hurle Kermit à ses lieutenants.

La « salope » sort une hachette et lui tranche sa main qui se met à rouler pour finir sa course sous un tabouret du bar. Lucy, fière de son coup, déguerpit illico au milieu de la masse humaine.

Je la rejoins dans la foulée.

Le Jean-Clone avec le flingue regarde son chef et, furieux, tire à nouveau vers nous sans se soucier des clients.

Les balles fusent et se perdent.

Un type s’en prend une dans le ventre, un autre dans la jambe et trébuche. On est en perpétuel mouvement, il continue de tirer sur les clients qui tombent comme des mouches.

On arrive à quatre pattes au fond de la salle. Il ne pourra pas nous atteindre.

Je me relève et tombe nez à nez avec le Jean-Clone à perruque qui se faisait tringler par... un autre lui.

Ça va être compliqué cette histoire. Lui aussi est armé et me pointe son flingue sur le bout du nez.

Je ferme les yeux. J’entends un « fliiich ».

Il n’a pas tiré ?

Je rouvre et vois la moitié de son visage tomber. Lucy postée sur le côté, vient de réaliser que je ne plaisantais pas quand je disais que ses hachettes étaient super aiguisées.

Pas le temps de souffler.

Je me retourne et me fais bousculer par une fille hurlant à la mort en se tenant le visage. Il n’est pas coupé en deux comme le Jean-Clone travelo mais en train de se dissoudre.

Je comprends pourquoi. Le petit gros barbu, un des lieutenants de Kermit, fonce dans la foule en leur gerbant dessus.

Putain, c’est horrible. Je dirais même acide.

Le type avance, se met les doigts au fond de la gorge et gerbe sur un couple se tenant devant moi. Les deux tourtereaux se dissolvent comme une aspirine dans un verre d’eau.

Il gerbe de l’acide ou quoi ? Comme dans Alien !

C’est quoi ces pouvoirs chelou ? Les gars du labo qui ont créé ces super-agents ont dû gober de drôles de cachetons avant.

Le barbu s’avance, s’essuie la bouche. Il doit être immunisé contre son vomi.

Derrière lui, quatre Jean-Clone. Je recule mais suis bloqué au fond de la salle contre la cabine du DJ.

Lucy se tient à coté de moi. Le vomito doit être à sec car il s’arrête un instant, chope une pinte de bière et la vide cul sec.

Je crois qu’on va se prendre une putain de douche.

Lucy rentre dans la cabine du DJ et le vire d’un plat du pied. Elle trifouille l’ordi du gars et clique sur un titre.

Elle met le son à bloc.

Au rythme de la basse de « Are you gonna be my girl » du groupe Jet, Lucy sort de la cabine et fait danser ses hachettes.

Vomito a fini sa pinte, il a le ventre rempli. Il le serre à deux mains pour faire remonter tout ça. Il sourit car il commence à avoir des petits renvois.

Lucy me hurle.

- Retourne vers le comptoir et baisse-toi !

Elle se jette sur le barbu et d’un coup sec, lui tranche la tête qui tombe dans un seau à champagne.

Elle l’attrape par le col, un geyser de gerbe acide sort de sa gorge avec une pression de malade.

Je cours comme un taré vers le bar.

Lucy, au centre de la piste, fait tourner le type et arrose tous ceux et celles qui l’entourent.

Que ce soit les Jean-Clone ou des clients lambda, personne n’y échappe. Ça hurle, ça tombe, ça se dissout, ça se marche dessus, on se croirait dans une soirée de lépreux. Des membres tombent sur le sol, certains tentent de les récupérer.

Dernière giclette, puis plus rien.

Ça pue.

Le fond de la salle est désormais vide. Ce qui en reste agonise par terre, les muscles à vif. Leur peau a foutu le camp.

Je manque de glisser, arrive enfin au comptoir. Je remarque un truc bizarre à côté de moi.

Je plisse les yeux, m’approche et aperçois le blondinet avec sa mèche. Il a pris la couleur du comptoir et s’est collé contre pour se camoufler.

Comme une sorte de caméléon, mais d’un mètre soixante-dix.

Pas vraiment convaincant le gars.

Je vois sa main qui essaie d’attraper un couteau posé prés d’un verre.

- Je te vois, je lui dis.

Surpris, il me regarde, se lève et va se plaquer contre un mur. Il ne bouge plus et prend la couleur du mur.

Il est vraiment pas terrible son pouvoir.

Je me retourne et lui balance

- Oh oh, je te vois.

Il hésite et se jette à terre, les bras et les jambes en croix. Super ridicule la pose.

Il prend la couleur du carrelage. Je l’entends ricaner dans sa barbe. Il est fier de lui en plus. Sa main s’approche dangereusement d’un flingue, appartenant jadis à un Jean-Clone, qui n’a surement pas survécu à la douche purificatrice de Lucy.

Bon, je vais pas y passer trois heures.

Je lève ma batte en l’air.

- Je te vois putain, je dis un peu agacé de son tour de passe-passe.

J’abats ma batte tel un pieu dans le corps d’un vampire, mais derrière son crâne. Elle passe à travers, il reprend sa couleur d’origine mais légèrement teinté de rouge sang.

Lucy me rejoint.

La salle se vide peu à peu. Tout le monde se rue vers la sortie.

Tout le monde, sauf un grand costaud qui vient vers nous d’un pas décidé. À contre-courant des clients apeurés, il marche droit vers son objectif…

Jamais ça va s’arrêter un peu ?

- Bon, celui-là on se le fait à deux, ça ira plus vite, je dis à Lucy.

Elle hoche la tête. Prend ses hachettes en main, je lève ma batte.

On se jette sur lui, pressés d’en finir.

Je lui envoie ma batte dans la gueule comme d’hab, sa bouche déformée par le coup, part sur le côté tandis que Lucy abat ses deux hachettes et simultanément coupe les deux bras du gars.

Il recule d’un pas et heurte le mur. Il lève sa tête amochée. Elle reprend sa forme originelle, ses plaies se referment pendant que ses deux bras repoussent à une vitesse fulgurante.

Ah ouais, quand même.

Il retrouve son sourire, fait craquer son cou et avance vers nous.

Ok super, le gars se régénère. En même temps, ils n’allaient pas tous être comme l’autre blaireau de caméléon.

Il me met une droite et sait très bien les mettre. D’ailleurs, il enchaine aussi très très bien les crochets du gauche, combinés à un violent coup de genou dans les côtes.

Je suis à terre. Il m’a séché.

Il m’attrape par mes oreilles de lapin, pour surement me filer le coup de grâce. S’il s’applique bien, je pense que je devrais vivre mes dernières secondes.

Il lève son poing. Prend de l’élan.

Lucy fonce vers lui et lui entaille le torse. Il l’a pas vu venir celle-là. Son ventre s’ouvre en deux.

- Son bras ! me hurle Lucy.

J’attrape son bras. Lucy pointe son doigt en direction du ventre ouvert.

Ça y est je percute. Pas con la petite.

Je prends son bras et lui enfonce au fond de ses entrailles qui commencent à se refermer.

Je le retourne, Lucy entaille son dos avec la même intensité. Il s’ouvre, j’envoie la main à l’intérieur, tire son bras et le fait ressortir par le dos.

Il hurle de douleur. Son corps se régénère alors que son bras le traverse de long en large. Il tombe à genoux, ses organes ne doivent pas pouvoir reprendre leur place ou se reformer comme il faut.

Il s’écroule sur le ventre.

Sa petite main sortant de son dos s’agite. C’est bizarre.

Elle se crispe. Et cesse de bouger. Il est mort.

La salle est sans dessus dessous.

On pourrait même dire, y’a du sang dessus dessous.

Des corps criblés de balles, des corps rongés par l’acide, des corps démembrés.

C’est une boucherie.

Y’a quand même des survivants qui ont réussi à se cacher sous des tables et derrière des banquettes. J’aide les rescapés à se relever tandis que Lucy tente de les rassurer.

Ils sont encore une petite vingtaine dans la boîte.

Parmi eux, Jocelyne, le travesti qui nous a accueillis et même le couple qui nous avait gentiment branchouillés. Un silence de mort règne dans la salle.

La musique s’est arrêtée, mais c’est une autre musique qui prend la relève.

Une mélodie que je n’espérais plus jamais entendre.

-Laaaaaaapppppiinnnnn !

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