19-20 (fin)

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Chapitre 19

Mais il n’a pas l’air choqué, dégoûté ou mal à l’aise … les expressions que j’ai déjà vues chez des gens. Même pas étonné. Non, il remonte son regard dans le mien, puis il sourit, aussi. Et c’est nouveau. Puis bien, aussi.

- Oui, ben quoi ? Tu es parfait, murmure-t-il.

- Pas trop, non.

- C’est un détail, ça. Moi, je suis bien né sans estomac, c’est pour ça que je suis tout maigre.

- Vraiment ?

- Non, je rigole ! Enfin … faudrait vérifier.

- T’es bête.

- Non, c’est toi qui l’es, de croire que ça pourrait faire une différence pour moi. Mais alors, c’est pour ça que tu parlais d’hôpital ? Puis vraiment, ça te complexe tant ?

Une différence pour lui ? Ça voudrait dire qu’il imagine un scenario où il le verrait tous les jours ? Tous les soirs ? Puis tous les matins, aussi ?

Alors, j’ai aussi expliqué pour les cours d’EPS pendant douze ans, le regard des autres … Puis j’ai aussi dit vite fait, pour la cloche aspirante qui devait un peu arranger le creux, sauf que ça ne marchait pas trop, puis l’opération proposée mais que là, j’en avais vraiment trop marre des messieurs en blanc.

- Ca faisait mal ?

- Maintenant, avec le recul, tout ça, je ne sais plus trop si c’était physique ou dans ma tête mais voilà, quoi.

- Je suis désolé.

- Tu n’y es pour rien, puis c’est pas vraiment ton problème, si ?

Je grimace, je m’en veux d’avoir dit ça, c’était inutilement agressif.

- Excuse-moi, je ne voulais pas dire ça. Pas comme ça, quoi.

- Non, c’est vrai, mais ça pourrait un peu être mon problème … de t’aider à l’oublier.

Et il a dit ça tout naturellement, puis gentiment, comme une évidence pour lui ! J’ai fait ma tête de débile, je le sentais, celle d’avant les larmes, mes lèvres serrées dans un sourire forcé, mais trahi par mes paupières qui tombent à l’extérieur, puis mes yeux de Saint-Bernard.

- Oh ! Je … c’est pas …

- Ca va, tu sais. Je ne voulais pas te mettre mal à l’aise, juste … ça ira.

Comme je veux le croire, ça ! Et en fait, je commence déjà à imaginer que oui, tout pourrait aller bien, et surtout à me dire que là, ce serait beaucoup grâce à lui.

A côté, on entend quelques applaudissements, le premier groupe a joué sa scène, et Madame Tibbet annonce le nôtre. Enfin, ce qu’il en reste …

- Le deuxième groupe est réduit. Des problèmes sur un élément de squelette et une pièce de moteur, que je suis également incapable de situer, les empêchent d’être présents, mais j’appelle les survivants à nous rejoindre.

Elle regarde sa fiche et explique le contexte, un couple de garçons amoureux, les insultes, mais aussi la présence fidèle et rassurante de leurs meilleurs amis respectifs, qui parlent d’eux.

- Mathieu et Jérémie !

Bon, quand il faut … Puis c’est étrange, je n’ai plus peur, plus la moindre crainte d’être ridicule parce que … ben oui, je me sens fort avec lui ! Ou alors, il est fort pour deux, et je l’admire pour ça. Le petit mec discret et timide a pris vingt centimètres, tellement il parait sûr de lui, et c’est contagieux, on dirait.

Alors, on a récité le dialogue, et c’était même facile, je me suis calé dans ses yeux et c’était comme s’il n’y avait plus que nous deux dans la salle, on était en mode conversation naturelle, sans gêne et sans tabous.

A la fin, on s’est un peu figés, tous les deux, d’un coup très conscients de ce qu’on venait de faire, mais il m’a souri, puis j’ai soulevé le coin de mes lèvres et plus rien n’avait d’importance.

Devant le public silencieux, Madame Tibbet a toussé discrètement pour s’éclaircir la voix.

- C’est un sujet difficile, je le conçois, mais je les ai encouragés à le développer. Le théâtre est le miroir de la société, il doit lui mettre la réalité … les réalités du monde actuel devant les yeux, et vous serez d’accord avec moi pour dire que le sujet courageux de ce texte peut et doit faire réfléchir.

Les gens ont commencé à applaudir, même maman en mode discret, puis ma marraine, un peu moins, elle était debout et mimait des lèvres les voyelles de mon prénom ‘…é…é..ie…é…é…ie...’ Elle est un peu foldingue mais je l’adore.

Alors, j’ai fait le truc juste évident, je pense. Non, je suis sûr ! Le truc que je n’aurais jamais cru faire un jour, mais bon … J’ai pris la main de Mathieu dans la mienne, devant tout le monde, puis j’ai modifié ma prise pour que nos doigts soient mêlés, et j’ai tiré le bras vers le haut, en tirant le sien. Il m’a regardé un peu étonné, puis il a souri, et il était encore plus beau, puis plus heureux, je pense. Ses doigts ont serré les miens. Je lui ai murmuré ‘‘je te lâche plus, tu le sais, ça ?’’ et il a soufflé ‘‘je te lâche plus non plus’’. Et le monde est devenu un endroit paisible.

**********

Chapitre 20

C’était surement grâce au blabla de Madame Tibbet, mais on dirait qu’on a plus d’applaudissements que le premier groupe. Ou j’imagine, vu que la réalité semble tellement lointaine. Tellement que je me penche vers Mathieu … moment d’hésitation, puis je le rejoins et je dépose un mickey sur ses lèvres. Et c’est doux.

Mais la réalité n’est jamais bien loin, elle me pète au visage, la main de Mathieu toujours dans la mienne, les doigts mélangés, devant tout le monde. Enfin non, devant une personne : maman. Puis une deuxième, ma marraine, qui donne un coup de coude à ma mère et lui dit un truc, et je vois son visage, d’abord vide d’expression, la bouche entrouverte, le regard fixe et un peu perdu, ensuite un sourire un peu gêné, puis de plus en plus franc, elle hausse les épaules et me fait un clin d’oeil.

Je me suis perdu un moment dans son regard, et je n’y ai trouvé qu’une approbation bienveillante mais c’est tout elle, ça. Ses petits ne peuvent rien faire de mal, et elle les défendra toujours.

Mathieu a serré ma main. Enfin, genre aussi fort qu’il le pouvait, quoi. Il tournait les yeux à gauche, j’ai suivi son regard et là, qui avançait le long du mur ? Sarah, puis Hadrien, aussi.

Sauf qu’ils ne devraient pas être là ! Pas comme ça, je veux dire. Déjà lui, il devrait être plâtré du menton aux chevilles, puis elle devrait être couverte d’huile de moteur – bon, j’exagère.

- Qu’est-ce que … ?

- Pas ma faute, crie Hadrien, c’est elle, elle m’a forcé, je suis une victime. Déjà que ça m’a privé de mon triomphe sur scène … J’aurais été meilleur que vous !

- Non mais c’est quoi l’histoire, là ? dis-je.

- Sarah m’a persuadé de vous laisser seuls, pour … genre … pousser le truc … vous deux, quoi !

- Mais t’es pas blessé, alors ? Et toi, tu … Oooh ! Trop clair, t’as jamais eu de panne de moto non plus, c’est ça ?

- OK, j’ai un peu arrangé, dit Sarah. ‘‘Mais ça n’a pas été facile de convaincre sa majesté impériale … D’ailleurs, toi, tu notes, je ne t’appellerai plus jamais ainsi. Et le saut du lavabo, j’ai rien trouvé d’autre, mais vraiment, j’ai été étonnée que vous marchiez dans le bobard si facilement’’

- Après, elle n’a pas tout inventé, la position bizarre dans les wc du Déluge, c’est juste je n’étais pas penché sur … euh … le lavabo, vous voyez, dit-il avec un sourire abusé en regardant … ben oui, sa copine.

Elle l’a juste foudroyé du regard, mais en mode assassin, c’était genre, perso, je me serais liquéfié sur le sol, mais pas lui, il lui a encore forcé son sourire. Eeeeet … il s’est pris un coude dans les côtes du genre qui aurait pu provoquer une fracture, mais une vraie, cette fois. Il aime le danger, lui ! J'ai souri à Faith … euh … Sarah … enfin oui, bon, elle est un peu une Faith, mais avec des tonnes de psychologie ! Déjà, elle nous a cadrés, tous : Hadrien, Mathieu et moi. Puis elle a tout mis en place pour arranger les trucs. Puis aussi, les couples, faut dire, et je repense à ma distribution des rôles en cas d’apocalypse zombie, j’avais mal cadré les binômes, mais aussi, je pense que même dans cette configuration, Mathieu et moi, on pourrait quand même compter sur elle pour dézinguer les mangeurs de cerveaux qui nous menaceraient..

Finalement, on s’est assis dans la salle, avec le public disparate, mais un peu éloignés. Je veux dire, il y avait maman et ma marraine, puis une femme qui n’a pas bougé pendant l’heure qui a suivi, ensuite Sarah et Hadrien qui ont vraiment l’air de se disputer tout le temps mais bon, c’est peut-être leur truc, ça.

Et après, il y avait nous, en mode calmes, puis même muets. Mais toujours sa main dans la mienne. Et c’était bien, fallait pas plus. Enfin, il y aurait plus, un jour, on se découvrirait, ce ne serait pas comme Sarah et Hadrien dans les toilettes d’un bar en ville, non ! Ce serait forcément plus timide, plus retenu, plus … nous. Puis tendre, aussi. Mais au final, ce serait un peu la même chose, une relation profonde et sincère, mais sans le mode combat.

On n’a pas trop vu les trois groupes qui suivaient, déjà moi, j’étais ailleurs, dans les yeux de mon copain, un peu.

A la fin, Sarah, toujours en mode Sarah++, a brisé notre bulle en proposant avec un petit sourire ironique de ramener Mathieu en moto.

Je ne sais pas trop si c’est l’idée de faire les trois petits kilomètres accroché à elle sur son engin, mais il a pâli d’un coup, puis il a soufflé un truc à peu près indistinct dans le genre ‘non merci, c’est gentil’

C’est le moment qu’a choisi ma marraine pour me serrer les épaules, en position de défi devant maman, avec un regard qui disait ‘je suis fière de mon filleul’

- Maman, on peut ramener Mathieu steuplé ?

Elle l’a fixé dans les yeux, et je sentais qu’il faiblissait un peu, alors je l’ai collé et j’ai glissé du bout des lèvres ‘‘c’est important pour moi’’ en me disant qu’elle comprendrait.

- Oui, naturellement … Quelque chose me dit qu’on va se voir souvent, non ?

Il a juste soufflé ‘‘j’espère, Madame … j’aimerais vraiment’’.

C’est Mathieu, il a juste murmuré, évidemment, mais je crois que je n’oublierai jamais cette phrase, celle qui m’a rendu le plus heureux de toute ma petite vie.

Fin

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