17-18

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Chapitre 17

Comme j’arrivais, Sarah s’est quand même détachée de lui, parce que bon … Non, j’aime bien Sarah, elle est ce qu’elle est mais fiable, je pense. Puis Mathieu, elle l’a un peu scanné ! Je veux dire, moi, comme elle m’a déjà pas mal bousculé – son idée de l’amitié, je pense – à part qu’elle m’a cadré aussi, je ne suis quand même pas son genre, alors lui, tout fragile et sensible …

Ou alors je ne comprends rien aux filles, ce qui est très possible, aussi.

- Et mon coca zéro ?

- Mais t’as rien demandé.

- Bien sûr que si ! Tu me déçois beaucoup, Jérémie !

- Quoi ? Mais je te jure …

- Merde ! Les mecs, quoi !

Je fais des grands yeux à Mathieu pendant qu’elle s’éloigne.

- Non mais vraiment, elle n’avait rien demandé.

- C’est Sarah …

- Oui mais quand même.

Il me regarde avec son petit sourire discret, et il est tellement mignon que mon incompréhension s’envole. Même si un petit doute reste bien présent.

- Vous parliez d’un truc … mais bon, ça avait l’air intime, je demande pas, non plus.

- Mais tu peux. Demander.

- Mmm ?

- Oui, bon … Sarah a l’air de penser … qu’on pourrait bien s’entendre.

- …

- Enfin, c’est ce qu’elle pense, ajoute-t-il précipitamment.

- Mais c’est ce que je pense aussi ! Je veux dire … faut voir, toi. Mais moi, déjà, hier, c’était

bien.

- Oui, c’était bien… j’étais bien.

Et là, je me sens plus léger d’une tonne, parce que j’ai flippé, un peu, je peux bien le dire maintenant parce que bon, je l’ai embrassé deux fois quand même, sauf que je ne sais pas qui a embrassé qui, ou je ne veux pas trop savoir, peut-être. Mais il me rassure, c’était pas un geste trop abusé vu que pour lui … c’était bien.

- On doit parler de ça, je pense, mais ailleurs, dis-je en regardant par terre.

Il a posé deux doigts sous mon menton et a relevé mon visage vers lui.

- Non, ici, c’est bon, Sarah ne va pas revenir tout de suite.

- Le distributeur de boissons est à trente mètres.

- Elle ne va pas revenir tout de suite, elle me l’a dit. Comme elle a aussi dit qu’il fallait qu’on parle, c’est pour ça, l’histoire du Coca.

- Parler ?

- De ça, de nous.

- Elle sait ?

Il refait son sourire un peu gêné, et m’explique que notre co-auteure sait plein de trucs qu’on ne lui dit pas. Puis qu’elle l’avait analysé sans qu’il s’en rende compte. Et aussi qu’elle lui avait conseillé de me parler, déjà mercredi, mais ça, c’était juste pas trop possible pour lui. Et que vu sa timidité, elle lui avait soufflé le truc du message dans mon sac ... Puis aussi qu’il a dû l’empêcher de me mettre une baffe quand j’ai cru que c’était Hadrien.

- Je l’aurais méritée … Je suis tellement désolé, si tu savais, je me sens con, j’aurais dû savoir …

Mais non, même pour ça, il ne m’en veut pas ! Et je me dis qu’il est le garçon le plus gentil du monde. Et surtout, je me dis que je vais passer les soixante ans qui viennent à me faire pardonner … Sauf que je ne sais pas du tout s’il voudrait, genre éventuellement, faute d’autre chose de mieux, les passer avec moi.

Sarah … Pourquoi je pense à elle, là ? C’est bizarre, non ? Sauf qu’au final, c’est pour la remercier. Elle a vu ce qu’on ne savait peut-être pas trop clairement tous les deux, elle m’a glissé des insinuations, puis à Mathieu aussi … Et rien qu’à l’idée qu’elle ne l’ait pas fait, puis qu’on n’ait pas plus parlé que ça, j’imagine le vide de ma petite vie continuer à l’infini, ce serait juste trop moche.

Il me regarde avec son sourire toujours un peu triste.

- Alors bon, je ne suis pas trop un Hadrien, plutôt tout le contraire mais voilà, quoi. Si tu veux bien …

Je reprends pied dans la réalité sur ce qu’il vient de dire. Mais non, vraiment non, Hadrien n’existe pas, il n’y a plus que lui !

- Je veux ça, Mathieu ! Je veux toi !

C’est juste qu’en public, on est trop coincés tous les deux, sinon, je l’embrasserais bien, mais bon, le show, c’est clairement pas mon truc, et encore moins le sien. Alors je prends sa main, en mode discret, que personne ne le voit, mais c’est bon.

- Et puis, autant te le dire, je ne suis pas trop un Hadrien non plus. Pas du tout, même. Je ne sais pas le prix de l’entrée à l’Acte6, ni celui d’une Vodka RedBull ou d’un paquet de cigarettes.

- Ca, c’est plutôt bien.

- Oui. Ben oui … Puis bon, Aurélien, tu vois …

- Qui ? demande-t-il avec un regard inquiet.

- Non … nooon, dans Zombillenium, la BD, je veux dire ! Qu’il est premier degré et tout, ben … moi aussi, alors parfois je ne comprends pas direct les sous-entendus, tu vois ? Et aussi, ça m’arrive d’angoisser et de voir tout en sombre, tu vois ? Mais sans vraiment trop de raison, aussi. Alors c’est pas forcément toujours très facile, tu vois ?

- Je vois, je vois et je vois, se moque-t-il. ‘‘Non mais on peut essayer de les trouver, les raisons, puis faire qu’elles n’existent plus.’’

C’est presque rien, ce qu’il a dit, mais en même temps, c’est juste énorme ! Il est prêt à essayer de me comprendre, mon moi compliqué, mes contradictions, mes incertitudes … Et si je me suis toujours dit que personne ne ferait l’effort, lui … il le ferait. Comment je pourrais ne pas l’aimer ?

Après, lui, il est compliqué aussi, mais je veux bien passer ma vie à essayer de le comprendre, puis le soutenir quand il ira mal, puis rire avec lui des trucs marrants, puis on aurait des bébés en FIV avec Sarah et sa copine potentielle, et … Sauf que non, je me fais encore un film, là.

Tiens, Sarah, justement elle revient.

- Bon, la mère Tibbet insiste lourdement, là. Hadrien est out, mais on doit quand même faire la scène des bests qui s’expliquent. Je suppose, tu n’es toujours pas tenté de montrer ton corps beau en scène, si ?

- Nevermore, dit le corbeau. Enfin non, never tout court. Mais je veux bien vous faire répéter.

Ils l’ont refaite cinq fois, et même moi, je la connaissais par cœur, là.

- J’ai un truc ce midi, je dois me tirer, à toute, les garçons !

Elle a repris son casque et est partie, sans un mot de plus.

**********

Chapitre 18

On est allés se chercher un sandwich au Croq’En’Bouche. Mathieu a demandé un tartare-crudités. J’avais pas d’idée, j’ai demandé la même chose. Il m’a regardé en levant les sourcils.

- Non mais ce que tu prends, c’est bon pour moi, lui ai-je dit avec un sourire.

Et là, j’ai réalisé que le mec de la sandwicherie, il avait dû trouver ça bizarre. Ou bien il s’en foutait, aussi. Mais moi pas ! Je voulais partager ça avec mon Mathieu, parce que j’imaginais déjà qu’on serait ensemble toute notre vie, et que le soir, on mangerait le même truc, à table, lui en face de moi, ou on serait peut-être du même côté, et ce serait plus facile pour se donner un bisou de bon appétit, comme mes parents. Avant les autres bisous, et moi toujours collé à lui.

Délirer toute une vie future sur un choix de sandwich, faut pas être trop normal … Je dois vraiment sauver le truc avant qu’il commence à avoir peur de moi.

A treize heures, on est revenus vers le local et à dix secondes d’intervalle, on a reçu un SMS de Sarah : [Embrayage niqué ! Je ss à 20 km, c mort, sauvez le truc]

Panique ! On fait quoi ? Rien, déjà, vu que je suis aussi réactif que la salade dans mon sandwich de midi.

- Il faut le dire à Madame Tibbet, souffle Mathieu.

Oui, bon plan ! En même temps, ça m’arrange pas mal. Elle va nous dispenser du truc.

Sauf que non. Elle savait déjà qu’Hadrien ne serait pas là, puis elle a suivi les répètes de ce matin, donc elle sait que je pourrais le faire. Enfin, techniquement …

- Je compte vraiment sur vous ! Vous jouerez la scène que vous avez répétée tout à l’heure, ça se passera très bien.

Elle ne fume plus, elle sniffe à la paille, elle ! Et c’est juste délirant, cette situation, puis vraiment pas possible, je ne peux pas, jamais ! Je vais phaser en mode congelé, pétrifié, pas capable de prononcer un mot …

Puis j’ai senti une main qui touchait la mienne, j’ai attrapé deux doigts, puis j’ai ouvert les yeux … sur Mathieu qui me fixait. Et dans ses yeux, il y avait un paquet de trucs, de l’apaisement, puis un peu l’assurance que ça se passerait bien. Et là, j’ai réalisé que si un garçon comme lui, avec sa timidité, était prêt à jouer la scène avec Sarah, moi, je pouvais bien la remplacer.

- Aussi, j’ai eu l’impression … confirmée par les remarques de certains, que … hmmm … je vous favorisais un peu, donc vous passerez en deuxième position, pas les premier, pas les derniers, ni au milieu.

C’est rien de dire qu’elle a fait du favoritisme, puis qu’elle est vexée que tout le monde s’en soit aperçu. Sa faute, aussi, on n’avait rien demandé, nous.

Puis elle n’est pas trop heureuse que pas grand monde ne vienne comme public extérieur, mais bon, un vendredi, elle croyait quoi, aussi ? Même si c’est les vacances de printemps, il n’y a que les enseignants qui soient libres, les gens … normaux bossent, mais c’est le genre d’argument qui ne la ferait pas sourire, ça.

Il y a quand même une quinzaine de parents, puis des petits frères et sœurs qui ne tiennent déjà pas en place, ça fait grimacer Madame Tibbet. Puis surtout, en mode embarrassant mais prévisible, ma mère et sa sœur, ma marraine, avec des sourires d’une oreille à l’autre … J’ai fait un petit geste discret de la main, la première a fait un clin d’œil, la seconde a presque grimpé sur sa chaise.

Elle prend la parole en commençant par un truc vaguement menaçant pour les chambardeurs, puis présente le premier groupe et un court descriptif du contexte pour situer la scène qu’ils ont choisi d’interpréter.

- Ta maman est là, c’est cool.

- Euh … ouais, bon, je sais pas, je suis pas trop bien, je flippe même à mourir, j’ai juste envie d’être à la place d’Hadrien, là.

- A l’hôpital ? Puis ça doit faire mal, quand même.

- On s’habitue, tu sais …

- Comment ça ?

Les hôpitaux, puis la douleur … non, disons l’inconfort, la gêne … je connais, merci … Mais bon, je lui en parle, ou pas ? Tôt ou tard, il y a une chance que je me retrouve torse nu devant lui, il le verra, alors bon. Je le prends par l’épaule et on file dans un couloir. Je me tourne vers lui, je lui attrape la main puis j’hésite un instant mais je la pose sur un bouton de ma chemise, à hauteur de mon sternum … et il voit ses doigts s’enfoncer de cinq centimètres sous la ligne des pectoraux que je n’ai même pas, de toute manière …

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