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Chapitre 3

Après, il faut dire, la séance d’écriture a été productive, on avait notre scénario : un groupe de quatre potes, une histoire qui commence entre deux d’entre eux, l’amie de l’un qui a un peu capté le truc et le best de l’autre pas du tout, des quiproquos, des sous-entendus … mais toujours sans trop distribuer les rôles ! Pas encore, quoi. Puis on a ri, aussi. Même beaucoup.

Et assez vite, je me suis dit qu’on formait un bon groupe, on se comprenait plutôt bien et les idées venaient naturellement. Hadrien toujours un peu obsédé par son idée de suicide club à la fin, Sarah en mode toujours un peu méfiante, le petit Mathieu très pro qui relativisait, puis moi qui sortais les répliques que je rêvais de dire à Hadrien, parce que bon, qui d’autre que moi, puis à qui d’autre que lui …

Madame Tibbet a annoncé la fin du cours puis a demandé à chaque groupe de prévoir, comme le petit Mathieu l’avait fait, de prendre un PC portable pour y transcrire nos textes, qu’elle puisse transférer sur clé usb et les lire ensuite.

Oui mais justement, les groupes … enfin, notre groupe allait-il survivre à cette première journée ? La communication, c’est pas mon truc, mais voilà, alors que j’étais venu avec beaucoup de méfiance envers l’idée de maman, là, bizarrement, je sentais un truc qui naissait et qui me faisait chaud dans le ventre, et même s’il faudrait beaucoup de patience envers Hadrien et surtout freiner ses idées délirantes, même s’il faudrait motiver le petit Mathieu à s’investir dans le texte, et même si la pièce, je m’en foutais un peu … il y avait Sarah/Faith, avec ses secrets et ses non-dits. Puis ses contradictions, aussi.

En montant sur sa moto, avant d’enfiler son casque, elle a demandé où nous habitions. C’était le bus pour nous, vers le sud-est pour Hadrien, nord-ouest pour le petit Mathieu et moi, mais à quinze km l’un de l’autre. Par contre, elle habite à deux km de chez moi, de l’autre côté de la rivière …

- Même direction, c’est marrant. Bon, demain, je prendrai un deuxième casque, je pourrai ramener l’un de vous deux, vous vous battrez comme les chrétiens dans le Colisée …

J’ai vite regardé le petit Mathieu et même moi, je l’assommerais facile, mais très vite j’ai regretté cette pensée, d’abord parce que taillé comme je suis, c’est même pas sûr, puis surtout c’est très con, il est gentil, lui …Non, bon, je ne l’aurais jamais fait, évidemment !

On a marché jusqu’à la gare des bus, avec Hadrien qui parlait pour trois, le blondinet tout dans la discrétion, puis moi qui pensais à un paquet de trucs trop bizarres où il y avait le corps d’Hadrien assez déshabillé, puis le mien tout collé, et lui qui murmurait tout ce qu’il n’avait pas osé dire pendant le stage … Et c’était timide, mais juste beau, quoi, pas les bêtises qu’on mettait dans les dialogues de la pièce, mais en mode vraiment sincère.

Puis notre bus est arrivé – Bye, Hadrien – et on s’est assis ensemble, mais soudain, tout était dit et un silence embarrassant s’est installé, mais bon, c’est le petit Mathieu, puis c’est moi, on aurait parlé de quoi ? Parfois, il tournait le visage vers moi en silence, sourire, sourire puis voilà …

Il est descendu à Ans en me faisant un drôle de petit signe de la main, avec un coin de bouche relevé, j’ai dit ‘À demain’ puis j’ai pensé que demain justement, je reverrais notre empereur, et rien que ça, ben, j’ai souri, bêtement, tout seul.

J’ai eu quinze km pour supprimer le sourire débile de ma bouche avant de rentrer. Parce que bon, ce stage, ma mère me l’avait un peu imposé, je ne devais pas avoir l’air trop heureux tout de suite non plus, en mode leçon d’humilité pour elle, juste pour lui monter que toutes ses idées bizarres n’étaient pas forcément bonnes. Alors j’ai repris mon déguisement facial d’ado grognon avant d’entrer à la maison. On dira ce qu’on veut mais un peu de préparation fait des miracles …

- Bonsoir, mon bonhomme ! Alors, raconte, c’était comment ?

- Oh, ben, c’est … Je sais pas. Déjà, la femme qui anime le stage, c’est celle qu’on a vue à l’inscription et bon … Elle a fait des groupes … Enfin, c’est genre, d’après son analyse de nos caractères mais bon …

- Oui, et quoi, ton groupe ?

- Ben, une fille et deux garçons, un qui fait encore moins de bruit que moi, puis un agité …

Mais là, je dis pas trop parce que tu vois, soit il devient ton beau-fils, soit il va tant me faire pleurer que tu voudras le tuer.

Sauf que je me fais sûrement un bon gros film, là ! Il n’est pas comme ça, Hadrien. Ou peut-être que oui, on peut rêver …

- Non mais bon, tu t’amuses tout de même ?

- Tu voulais que j’y participe.

- C’est pour toi, bonhomme. Je … je ne sais vraiment plus ce qui te plairait, j’avais pensé …

- Non mais c’est bien, m’man, t’inquiète, c’est bon, tu sais.

- Maintenant, je doute …

- Faut pas, c’est cool, je te jure.

- Ah ! Tant mieux ! Ta marraine a téléphoné tout à l’heure, je lui ai expliqué le principe et elle espère vraiment que vous pourrez jouer votre pièce au terme du stage, elle m’accompagnera.

Euuuh ouiiiii … Sauf que non, tu vois ! Jamais je ne jouerai ce truc devant personne, c’est plié, mais si tu aimes bien l’idée, c’est bon pour moi.

**********

Chapitre 4

Non mais … non, vraiment ! Elle nous fait quoi, Madame Tibbet ? La seule explication, comme on était les seuls à avoir un portable, elle n’avait copié que notre début de dialogue sur sa clé, et comme elle n’a sûrement pas de vie, elle l’a relu quarante fois, donc elle a fini par se persuader qu’il était bon.

Mais elle fume quoi, elle ? Parce que bon, vraiment, j’ai dit OhOui ! pour les idées les plus barrées d’Hadrien, j’ai rajouté des trucs vraiment littérairement puants, puis j’ai un peu honte d’avoir viré certaines bonnes idées du petit Mathieu, tout ça en surveillant Sarah de côté, parce qu’elle continuait à me faire un peu peur. Donc c’était nul !

Oui, d’accord, la pièce, je m’en tapais ! Le but final, c’était de coller mon corps à celui d’Hadrien, qu’il me dévaste et m’envahisse, qu’il me laisse tremblant et brisé, qu’il … Non mais de quoi je parle, moi ? J’ai même jamais …

Je devenais fou. De lui. Mais pourquoi il est si distant, aussi ? Tous les indices qu’il a donnés, son insistance sur l’homosexualité en thème de rejet … Mais crotte, quoi ! Hadrien, dévoile-toi, et je t’aimerai pour toujours, je te consolerai, je te soutiendrai, je t’aimerai, je supporterai tes colères, je serai ta petite chose à dispo … si tu me regardes juste un peu.

Mais qui nous regarde, là ? Madame Tibbet. Et elle est partie dans un trip trop barré où nous avons écrit un texte d’une terriiiiible profondeur psychologique, avec des personnages d’une épaisseur incroyaaaaable …

Ça va pas ! Ça va pas du tout ! J’ai encore relu hier avant que le petit Mathieu ait refermé son portable, et c’était clair, c’est juste une bouse, de la daube de pré-ado, avec des dialogues pourris ! Elle ne peut pas vraiment trouver ça un peu bon …Après, c’était le seul texte qu’elle ait pu copier sans scanner à dispo donc voilà … Mais quand même, je vais devoir encore pousser le truc dans le genre … ben ouais, méga-daube !

Et … ça va pas être easy, vu que mes co-auteurs ont des étoiles dans les yeux, là ! Hadrien a bien pris un mètre cube d’égo avec les compliments, Mathieu sourit comme il fait tout, discrètement, et Sarah … a l’air heureuse. Je n’aurais pas trop cru que ce genre de truc la ferait kiffer mais oui, elle étire les lèvres, et beaucoup, même.

Tous les autres font la tête évidemment. Mais ça va s’arranger, il y a un portable par groupe, Mme Tibbet aura de la lecture ce soir, on va un peu se faire oublier, je vais y veiller !

Déjà insérer des idées de développement ridicules, puis des dialogues de-la-mort-qui-tue-qui-pue, c’est jouable ! Des années à zoner sur les sites de fanfiction, wattpad ou doctissimo, je vois trop bien les trucs pourraves ! Après, si c’est bien crade, je me gagne déjà Hadrien, il marche trop dans l’abusé. Si on prend une idée du petit Mathieu de temps en temps, il est content. Et Faith … Non ! Sarah ! je vais me tromper un jour … je la cadre pas encore trop mais finalement, elle approuve pas mal de nos idées …

Puis quoi, c’est du théâtre, on va faire en mode hyper théâtral, ce sera bon ! Enfin non, ce sera très mauvais. Mais c’est le but, un peu.

Alors, on a mis un père homophobe et Sarah a un peu phasé. Puis des mecs à l’école un peu très abrutis genre persécuteurs de récré et le petit Mathieu a coincé, là. Ensuite la moitié de la ville qui veut casser du pédé et Hadrien a adoré … C’était juste abusé, et personne d’un minimum intelligent n’aurait marché dans le truc.

Sauf Madame Tibbet, elle faisait presque des bonds sur place …

A croire qu’elle n’avait jamais rien lu d’aussi bon de sa vie. Cette femme est complètement barrée ! On lui montre un caca, elle pense Nutella !

Tout le monde voyait que c’était de la daube ! Les autres groupes étaient juste trop dégoûtés … Ils se cassaient la tête à écrire des textes intelligents, avec de la psychologie, puis des bons sentiments et des histoires solides mais non, elle ne voyait que nous …

Alors, plus trop le choix … j’ai poussé le groupe à adopter l’idée de base d’Hadrien … Non, pas le suicide club pour les quatre, faut pas abuser non plus, mais celui du couple de l’histoire, avec les deux autres qui les pleurent après, avec des déclarations de fidélité éternelle à la mémoire des chers disparus en mode ouin-ouin, et là, je me suis dit que même pourri, si notre texte était choisi, même un Sans-Coeur verserait une larme.

Mais évidemment, c’était dans la probabilité vraiment pas du tout probable où notre truc était retenu, et ça n’arrivera pas.

L’idée de sauter du toit, forcément, ça plaisait à Hadrien, et on n’a même pas dû insister. Il s’est levé, a posé une main sur son cœur, tendu l’autre bras devant lui, a déclamé ‘Adieu, monde cruel’ et s’est jeté à terre …

- C’est nul, a tranché Sarah, et autant je tenais à en faire un truc ridicule, je devais lui donner raison, c’était abusé, là.

- Ouais, bon, c’était juste une idée. Qui sera l’autre amant maudit ? Qui de vous m’aimera tellement qu’il m’accompagnera dans la mort ?

- Finalement, l’idée du suicide me met un peu mal à l’aise, a murmuré le petit Mathieu

- Et je suis hors-jeu, a dit Sarah.

Là, je me suis dit que ce n’était qu’une pièce, qu’on n’interprèterait jamais, quelle importance …

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