Padma

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Comme prévu, le jour suivant, Daniel se glissa à l'heure dite, dans la délégation de visiteurs attendant la visite guidée des laboratoires du Louvre. L’apothéose de la visite consistant dans la présentation de l’accélérateur de particules utilisée par les équipes scientifiques du Louvre à des fins d’analyse élémentaire et de datation. Alors que le docteur Joseph Zeligman achevait son discours passionné, avec une glorieuse emphase digne d’un vendeur d’élixir miracles du Wild West, le lorgnon tremblant sur le bout de son nez sous l'effet de l’enthousiasme qui s'emparait de lui chaque fois qu'il dissertait sur son sujet favori, une figure asiatique, mince et athlétique aux traits élégants, hiératiques, les yeux plissés légèrement en un discret sourire, s'approcha de Daniel et déclara en tendant la main:

"Commandant" Lambert, "Padma Ling", "heureuse de vous revoir dans des circonstances moins dramatiques !".

"Votre charme n’a d’égal que votre culot!" Lui répondit Daniel avec un sourire ostensiblement diplomatique, quelque peu figé "Vous devez être le marionnettiste qui m’a convoqué ce meeting, en parlant par la bouche de ce musicien de rue! Comment une telle chose peut-elle même être possible?"

"Nous avions besoin d’un canal sécurisé pour vous contacter, le pho-wa semblait une solution appropriée pour communiquer avec vous en toute confidentialité"

"Pho-wa?"

"Une ancienne pratique tibétaine qui s’est avérée utile étant donné les circonstances. Mais nous verrons cela plus en détail par la suite, car le temps presse"

"Vous aviez mentionné un meeting qui ne saurait attendre, je crois que nous pourrions nous passer des amabilités d'usage et aborder le vif du sujet" (dans son fort intérieur, il ne pouvait pas s'empêcher de penser à la phrase fétiche du personnage de James Bond "Name’s Bond, James Bond !") puis il sourit franchement à ce cliché.

"Par ici, commandant Lambert" continua Padma Ling désignant la porte de l'ascenseur par lequel la délégation des visiteurs étrangers avait accédé au niveau des laboratoires souterrains du Louvre auquel se situe l'accélérateur de particules, objet de leur visite.

Padma Ling produit un badge magnétique qu'elle appuya contre le panneau de contrôle de l'ascenseur. Au lieu de choisir un étage donné, elle pressa les boutons d'accès aux étages dans une rapide séquence prédéterminée, puis entra une commande vocale : "Amphithéâtre Rohan", dit-elle en articulant aussi distinctement que possible, s'appliquant à imiter fidèlement accent français, faisant un effort conscient pour gommer ses inflexions naturelles.

"La reconnaissance vocale de l’ascenseur a quelques problèmes avec l’accent tibétain" dit-elle avec un sérieux feint, démenti par le sourire que trahissait le plis malicieux de ses yeux. L’ascenseur cessa sa descente, et un corridor gris, s'étendait devant eux flanqué de portes métalliques de la même couleur de vaisseau de marine militaire. Daniel Suivi Padma dans le corridor puis dans une série de corridor plus larges puis pris deux fois sur sa gauche, nota Daniel instinctivement. Padma progressait d’un pas rapide dénotant sa connaissance des lieux. Bientôt, ils se retrouvèrent face à un mur métallique d'apparence plus moderne d'une matière noire et luisante ressemblant à de L’acier anodisé aux reflets bleus métalliques, apparaissant légèrement irisé sous certains angles.

"Est-ce que vous avez des appareils électroniques sur vous, montre, smartphone, pacemaker … ?" Demanda Padma? Réprimant un soupir naissant, Daniel tendit à Padma son bracelet montre, puis son téléphone mobile.

Padma expliqua: "Nous allons nous rendre à la salle de réunion par une entrée sécurisée, les appareils électroniques doivent transiter séparément, sinon ils sont incapacités par une série rapides de pulses électromagnétiques qui les incinère littéralement (c'est comme si vous mettiez votre smartphone dans un four à micro-ondes industriel)". Sur ce elle frappa à deux reprises dans ces mains et donna un ordre dans une langue sonnant comme du chinois ("sans doute du tibétain" pensa Daniel).

"La reconnaissance de la parole à l'intérieur des locaux du BIO est infiniment plus sophistiquée que celle dont dispose les parties publiques des laboratoires du Louvre" dit Padma, "mais cette version sophistiquée est restreinte au BIO afin de ne pas attirer l'attention".

Deux rectangles lumineux bleutés, semblant palpiter imperceptiblement, apparurent dans le mur noir, faisant songer respectivement à l'encadrement d'une porte et une fenêtre, comme si une main imaginaire les avait dessinés sur un tableau noir avec de la craie fluorescente. Padma tendit sa main contenant les objets remis par Daniel vers le plus petit des cadres et lorsque sa main entra en contact avec la surface du mur celle-ci à la grande surprise de Daniel, qui eut de la peine à réprimer une exclamation de surprise, disparut dans le mur telle la main du magicien dans le chapeau proverbial. Lorsque Padma retira sa main, la montre et le smartphone de Daniel avaient disparu à leur tour, comme escamotés par prestidigitation. Daniel ne fit aucun commentaire et la surprise ne se marqua pas outre mesure sur ses traits. Padma apprécia cette manifestation de self-contrôle qu'elle nota au passage, favorablement impressionnée.

Anticipant ce qui allait inévitablement suivre, Daniel dit, un sourire complice aux lèvres: "Après vous, je vous en prie !".

"Le protocole dicte que les invités doivent passer d’abord", répliqua Padma un léger sourire narquois s'affichant sur son visage impassible de sphinx. Daniel resta interdit l'espace d'un instant, puis sentit une soudaine poussée dans le dos, Padma l'ayant soudainement poussé des deux bras avec une sorte de joie enfantine, telle une écolière jouant un tour pendable à un de ses camarades. Alors qu'il se vit poussé vers le mur, Daniel sentit soudainement une forte aspiration, comme un objet métallique attiré par un puissant aimant, il lui sembla entendre simultanément le rire juvénile de Padma. Avant qu’il n’ait eu la moindre opportunité de réagir, Daniel se retrouva dans une pièce différente, dépourvue de fenêtres. Il se retourna brusquement et heurta un mur solide. Alors qu'il essayait de comprendre quel phénomène physique pouvait bien permettre un tel tour de passe-passe, une voix de synthèse retentit l'enjoignant à prendre place sur un banc situé à proximité du mur opposé à celui par lequel il avait pénétré dans la pièce. Ne voyant pas quel autre action entreprendre Daniel obtempéra. Il se dirigea vers le banc, prit place … et se retrouva paralysé dans la position assise.

Alors que la panique d'emparait de lui, il vit un cadre lumineux, fluorescent, de couleur jaune cette fois-ci, apparaitre sur le mur par lequel il était littéralement passé. Un instant plus tard, Padma fit à son tour apparition dans la pièce, franchissant à son tour le cadre lumineux encadrant le portail invisible à l'oeil nu, un franc sourire sur les lèvres, puis éclata d’un rire un bref mais franc, puis s’excusa :

"vous devriez voir votre tête c’est impayable. C'est chaque fois la même chose lorsqu'une nouvelle recrue fait l'expérience de fenêtres virtuelles du nano-mur pour la première fois", puis elle repartit brièvement du même rire à la vue de l'expression s'affichant sur le visage de Daniel, un mélange de perplexité et de fureur naissante. Daniel éclata soudain de rire à son tour, le rire franc et chaleureux de Padma étant contagieux, pour le moins.

Il déclara: "C'est pire que mon premier saut en parachute de nuit !", puis s’enquit "Est-ce que j’ai rêvé ou est-ce que j'étais scotché sur le siège juste avant ?".

"En effet" répliqua Padma, "mais je suis sure que votre esprit analytique forme déjà une conjecture quand à la raison d’être de ce désagrément temporaire, mais nécessaire".

"Pour que je me tienne tranquille ?" rétorqua Daniel avec une pointe de sarcasme.

"En effet, dit Padma", Padma fournit alors l’explication à la question qui se peignait sur le visage de Daniel: "Imaginez un instant ce qui se passerait si la personne franchissant le nano-mur entrait en contact avec une autre personne ou un objet présent dans la pièce".

"Je vois" dit Daniel, pour ne pas passer pour un parfait béotien (il se doutait qu'il n'en résulterait probablement rien de très joyeux, mais ne pouvait pas vraiment visualiser en détail les conséquences, faute de comprendre le phénomène physique sous-jacent).

"Dans les grandes lignes", expliqua Padma, ne se départissent pas du ton docte, mais dénué de pédantisme, qui était son mode naturel d’expression, "Lorsqu’une personne ou un objet franchit le nano-mur, la personne et le nano-mur sont temporairement hors de phase avec notre dimension ne sont re-synchronisés que lorsque la transition est achevée. Tout contact avec un corps étranger résulterait dans des interférences aux conséquences aussi imprédictibles que funestes." "Imprédictibles ?" dit Daniel.

"Fusion partielle au niveau subatomique, désintégration par perte de cohérence, délocalisation dans un autre lieu de l'espace-temps (totale ou partielle), dégradation génétique … pour ne citer que les cas les moins déconcertants".

"Qu'est ce qui pourrai être pire ? demanda Daniel" ?

"Un de nos collaborateurs a survécu à un accident de ce genre sans dommages apparents. Il a gardé toute sa cohérence interne physiquement, mais il est resté déphasé temporellement par rapport à notre ligne de temps".

"C'est à dire ?"

"Il possède une vie normale quand il est isolé, mais il a besoin d'aide pour des tâches simples, comme traverser la rue, se déplacer en voiture et il doit faire preuve de patience et de concentration quand il communique verbalement, en général il préfère communiquer par mail."

"De quoi souffre-t-il exactement ?", demanda Daniel.

"Il voit notre univers avec un décalage variable allant de quelques secondes à quelques minutes, en direction de notre futur".

"Ça peut être un avantage stratégique considérable" dit Daniel.

"Pas quand on veut traverser la rue et qu’une automobile qui n’est plus là, dans votre référentiel propre, est présente en réalité et vous fonce dessus à votre insu. En revanche, il gagne tous les tournois d’échec…

Il a une vie a peu près normale lorsqu’il porte des lunettes video qui lui affichent une image de notre présent en enregistrant celui-ci dans un ‘buffer’ et en le lui restituant avec le décalage nécessaire. Ce décalage doit être re-calibré au moins une fois par jour pour être suffisamment précis. Le son doit subir le même traitement que l'image et lui est également fourni par lesdites lunettes".

"A tout prendre, je préfère le saut en parachute de nuit, tout feux éteints, en territoire ennemi", dit Daniel.

"Où est passé votre goût pour l'aventure ?" dit Padma sur un ton moqueur.

"Vos effets personnels" continua Padma, un tiroir automatisé situé sous le banc s’ouvrit à sa commande vocale, présentant la montre et le téléphone de Daniel.

Sur un autre ordre de Padma une porte automatique ordinaire située à côté du banc, à l'opposé du nano-mur s'ouvrit, telle une porte d'ascenseur leur ouvrant le passage vers les quartiers secrets des laboratoires du Louvre.

"Prêt à rencontrer l’équipe du BIO ?" demanda rhétoriquement Padma, d’un ton en apparence neutre derrière lequel pointait une subtile nuance d’ironie, tout en s'engageant dans le corridor, invitant implicitement Daniel à la suivre.

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