Chapitre 4 – Mon clonage

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Il est maintenant temps de quitter le bus. Ceux qui sont placés au fond se lèvent en premier. Assises devant, Aline et moi attendons sagement que tout le monde soit sorti. Puis, sous l’ordre de Monsieur Quimpar, notre adulte référent, nous descendons à notre tour. À l’extérieur, il fait frais. Je frissonne. On nous distribue des polaires. Selon les groupes, les couleurs différentes. Les nôtres sont rouges. Aline et moi, nous rassemblons autour de Monsieur Quimpar qui baille derrière son masque. Je m’étonne. Je me dis qu’il est soit très fatigué, soit pas très motivé par ce qu’il fait. D’un mouvement de bras, il nous fait nous ranger les uns derrière les autres. C’est étrange. À cet instant, j’ai l’impression d’être un soldat en mission pour sauver sa planète et combattre la maladie qui la consume. Enfin, heureusement pour moi et ma copine, nous ne sommes pas vraiment des militaires partis faire la guerre. Je nous vois mal toutes les deux, courir pour esquiver les balles et devoir tirer sur l’ennemi.

Une voix me sort de mes pensées. C’est Monsieur Snoutch qui donne les directives au micro.

— Groupe de Madame Mitch, vous pouvez y aller !

À la queue leu leu, marchant docilement derrière une femme au chignon banane et à la jupe serrée, les élèves sur ma droite s’avancent vers l’entrée du bâtiment. En attendant notre tour, je regarde ce laboratoire géant, sinistre et imposant. On dirait un vieux silo à grain qui s’érige sommairement au milieu de nulle part. Remarquant le peu de fenêtres par rapport à la hauteur de l’édifice, je me dis que l’intérieur doit être très sombre ou éclairé de lumières artificielles. Tout ça ne me rassure pas. Je suis légèrement claustrophobe et j’appréhende de me sentir emmurée. J’ai une boule dans la gorge et déjà une sensation d’étouffement. Pas de panique. Je dois me reprendre. Je souris à Aline, mais ne lui dis rien de mes inquiétudes. Inutile de lui rajouter du stress. Je la sens déjà suffisamment tendue.

Dans mon groupe, personne ne parle. Nous patientons dans le silence en grelottant dans nos polaires. Le temps me semble long. J’ai hâte d’entrer et de me mettre au chaud. Deux autres groupes nous passent devant. J’enrage. Nous sommes quasiment les derniers. Je fatigue. J’ai mal aux pieds d’attendre debout. Cette attente me pèse.

— Groupe de Monsieur Quimpar, allez-y ! dit Monsieur Snoutch.

Ça y est, c’est à nous. Notre adulte référent nous place en file indienne, et nous le suivons à pas cadencé. Plus nous approchons de ce lieu lugubre, plus j’angoisse. Je ne suis pas la seule apparemment. Aline qui marche devant moi, a les épaules qui tressautent. Je me demande si c’est la peur ou le froid qui la font trembler, pour penser qu’il s’agit probablement des deux. J’ai mal au ventre. Des gouttes de sueur perlent sur mon front et ma respiration devient irrégulière. Nous voilà devant l’entrée avec le passage au contrôle obligatoire. Rien n’est détecté. Tous ceux de mon groupe sont sains et peuvent rejoindre Monsieur Quimpar qui nous demande de retirer nos polaires et de les accrocher au vestiaire sur roulettes noté de la lettre Q.

Il fait chaud à l’intérieur et les lumières sont douces. Comme une poule rassemblant ses poussins, Monsieur Quimpar nous compte, nous range deux par deux, puis se replace en tête de file. Bien entendu, j’ai choisi Aline comme partenaire de route. Nous avançons sagement sans dire un mot et traversons de longs couloirs blancs au sol carrelé, reluisant de propreté. Je suis agréablement surprise par l’atmosphère. Des plantes et des tableaux de couleur égayent les coursives et une petite musique d'ambiance se diffuse à un volume agréable. Je ne me sens nullement oppressée et c’est tant mieux. Je suis même plutôt joyeuse, quoiqu’un peu stressée. Ce n’est pas le cas d’Aline. Elle transpire tellement qu’il y a de la buée sur ses lunettes.

— Je peux te tenir le bras, me demande-t-elle tout bas. Je ne me sens pas très bien.

— Bien sûr, je réponds en lui souriant.

La pauvre. Son inquiétude est telle que sa peau moite colle à la mienne. Je la regarde furtivement en pensant à son tourment et à son courage d’affronter cet inconnu qui la panique. Monsieur Quimpar nous introduit dans une pièce aux murs bleu pastel. Des sièges aux formes cocoonings sont en nombre suffisant pour chacun et une bibliothèque chargée de livres est à notre disposition.

— Installez-vous où vous le souhaitez, précise Monsieur Quimpar. Nous viendrons vous chercher pour la suite.

Sans lâcher mon bras, Aline m’entraîne dans un coin éloigné des autres, approche deux fauteuils et m’invite à m’asseoir tout près d’elle. Collées l’une à l’autre, nous nous lovons dans les accueillants fauteuils et restons là sans dire un mot.

— Mademoiselle Bradbury !

Je sursaute. Une dame en blouse blanche a ouvert la porte en donnant mon nom. Elle a un carnet dans la main et scrute la salle d’un air sévère.

— Heu... c'est moi, je dis en levant une main fébrile.

— Allons-y ! me commande-t-elle.

Je suis surprise d’être appelée la première. Puis, je me dis que si nous passons par ordre alphabétique, alors le « B » de Bradbury est effectivement en début de liste. Sans un regard pour Aline qui a resserré ses doigts autour de mon bras, je me détache de son étreinte et je me concentre pour me lever sans défaillir.

— Bon courage, murmure Aline d’une voix larmoyante.

Je ne réponds pas. Ne regardant ni à droite ni à gauche, je tente de marcher dignement jusqu’à la dame qui griffonne sur son carnet et me devance pour sortir de la salle. La porte se referme sur nous deux dans un bruit sourd. À pas rapides, j’avance derrière elle dans un couloir interminable. Elle s’arrête devant une épaisse porte blanche surmontée d’un panneau « 123 - salle de test sujet A », et débloque l’accès avec son badge. Elle entre et je la suis. Dans cette nouvelle pièce, un homme assis à un bureau. Le dos courbé et le visage à quelques centimètres d’un écran d’ordinateur, il tape sur le clavier. Sa position et ses yeux plissés, démontrent de gros problèmes de vue. Son masque cache une grande partie de son visage, mais à son front ridé, j’imagine un homme âgé de plus de soixante-dix ans. Je me dis que ce doit être un scientifique quand j’entends la porte se refermer dans un cliquetis. Mon accompagnatrice vient de sortir. Me voilà seule avec cet homme qui tourne la tête vers moi, et me jauge de haut en bas en fronçant les sourcils.

— Bonjour mademoiselle ! Bienvenue ! me dit-il en désignant une chaise tournante en cuir. Asseyez-vous, je vous prie !

La peur me gagne. Je regarde le siège avec appréhension. L’homme continue de me fixer. Finalement, je le remercie en bégayant et je m’installe. Me voilà face à lui. Je ne suis pas du tout à l’aise. Je m’attarde sur son bureau. Il est bien rangé. Un peu trop à mon goût. Les crayons sont classés par tailles et par couleurs dans des pots différents, et le plateau de verre du bureau est impeccable. Pas le moindre grain de poussière. Il est si propre, si rutilant que j’y vois mon reflet en m’avançant légèrement. Son ordinateur et son clavier sont entourés d’un film plastique. Tout semble aseptisé dans cette pièce. Tout est parfaitement nettoyé, sauf moi qui suis vêtue de mon jean sale d’il y a trois jours et de mes baskets dégueulasses... Je me dis que cet homme doit être extrêmement maniaque et que s’il voyait le bazar de ma chambre, il serait choqué.

Il ouvre un tiroir duquel il sort une feuille qu'il place devant lui.

— Bien, mademoiselle...Heu.... Bradbury, me dit-il en regardant sa liste, je vais vous poser quelques questions.

Je dodeline de la tête pour acquiescer.

— Quel est votre signe astrologique ?

Je suis déroutée par cette question. Quel est l’intérêt de savoir mon signe du zodiaque et comment ne le sait-il pas déjà ? Pour moi, il est clair qu’ici, le bureau administratif possédait déjà une fiche d’identité avec la date de naissance des sélectionnés, ainsi que des renseignements de base les concernant.

— Heu... Verseau...

— Ah ! Très bien ! dit-il, joyeux. Cette demande ne fait pas partie du questionnaire, mais j'aime connaître le signe astrologique de mes patients, et étant Bélier, j’ai un peu plus de mal avec les Cancers et Capricornes ! Vous aimez l'astrologie, mademoiselle ?

— Un peu... je réponds sans conviction.

À vrai dire, ce n'est pas du tout ma tasse de thé. L'astrologie, les cartes, la voyance, je n'y crois pas du tout. Pour ne pas le froisser et me faire bien voir, je m’adapte à ses goûts.

— Bon, passons aux choses sérieuses. Avez-vous des antécédents criminels ? Un casier judiciaire ?

Je m’étonne à nouveau. Comment ne le sait-il pas ? Apparemment, il n’y a eu aucune enquête préliminaire sur nous. Je trouve cela très léger. Sur quelles bases, alors, nous ont-ils choisis ?

— Non, je l’informe.

— Êtes-vous colérique ?

— Pas vraiment

— Que pensez-vous de nos travaux sur le clonage ?

— Je dirai que c’est un grand pas pour la science.

— Avez-vous des tatouages ?

— Non.

L’interrogatoire dure environ dix minutes. Je réponds sans difficulté quand arrive cette demande :

— Quelle émotion ressentez-vous à cet instant ? Est-ce de la peur ?

La question me semble piège. Que dois-je dire ? Bien sûr que j’ai peur. Qui ne serait pas effrayé en pareille situation ? Et si le fait d’avouer ma peur m’écartait de l’expérience ?

— Disons que j'appréhende un peu... je murmure.

L’enquêteur me regarde sans dire un mot. À ses yeux, je vois qu’il réfléchit. Son silence me trouble. Pourquoi ne dit-il rien ? Est-ce que j’ai répondu à côté ?

— Ça ira ! s’exclame-t-il soudain, alors que j’essaie de ne pas trembler. Je vous déclare apte au programme de clonage ! Signez ici, je vous prie en rajoutant la mention « lu et approuvée » juste au-dessus.

Il me tend sa feuille et je relis partiellement les termes du contrat. Je ne comprends pas tout, mais d’une main moite, j’écris mon nom au bas de la page.

— Très bien ! confirme-t-il en reprenant sa feuille. J’en ai terminé avec vous. Ma collègue est derrière la porte. Elle va vous diriger vers le Bloc. Bon courage et encore merci pour votre participation.

— Merci monsieur... dis-je à l’homme qui me montre la sortie.

Je sors de la salle en refermant doucement la porte. La dame est effectivement là. Assise sur un tabouret dans le couloir, elle se lève et me fait signe de la suivre. Nous prenons l'ascenseur jusqu’au cinquième étage et accédons à un couloir sombre. À ce niveau, l’ambiance est différente. Ici, il n'y a pas de musique douce ni aucune plante pour égayer. C’est un long corridor, vide et froid, rythmé par un grand nombre de portes avec accès sécurisé. Sur l’une d’elles, est inscrit « Entrepôt Sujet B » et je me dis que c’est certainement là que les clones sont stockés. Nous arrivons devant une porte vitrée. La dame la pousse et nous entrons dans un petit hall. Il y a deux portes. L’une est à double battant avec l’inscription « Bloc opératoire » et l’autre est notée « Vestiaire ». La dame me dirige vers celle-ci en me donnant des consignes :

— Vous vous déshabillerez entièrement, puis vous mettrez la blouse, les chaussons et les sous-vêtements que nous vous avons préparés. Vous retirerez aussi votre masque. Pour la suite, vous n’en aurez plus l’utilité.

J’entre seule dans la pièce. C’est minuscule. Il y a un porte manteau et une petite banquette transparente et thermo moulée. Dessus, un sac plastique avec des vêtements semblables à ceux des hôpitaux. Je me déshabille et me rhabille avec leurs tenues désinfectées. Bonjour l’allure ! Il n’y a pas de miroir, mais j’imagine que je ne suis pas super sexy habillée de la sorte. J’espère ne pas croiser de mec mignon. La honte...

Mal à l’aise, je retourne vers la dame qui a été rejointe par un couple d’âge moyen. Ils n’ont pas de masque et m’accueillent en souriant.

— Bonjour Elély, me dit la femme brune, à la queue-de-cheval haute. Comment te sens-tu ?

— Heu... ça va... je suppose...

— Ton appréhension est normale, me rassure-t-elle. Tu es tout de même bien courageuse d’arriver à ce stade sans avoir fait machine arrière. Je suis le docteur Clarins et voici le docteur Hofnick. C'est nous qui nous occuperons de toi et de ton clone, et c’est dans cette même salle d'opération que tout va se faire.

Je me mords les lèvres et je jette un coup d’œil inquiet vers le Bloc désigné.

— Ne t’inquiète pas. Nous ne te ferons rien de bien méchant et ça sera très rapide.

— Allons-y ! nous engage l’homme aux tempes grisonnantes.

La dame qui m’avait accompagnée jusqu’ici nous laisse devant l’entrée du Bloc. Je pénètre dans la salle blanche, immaculée. Il y a beaucoup d’appareils qui font des BIP ou des ClAC. Ce mélange de bruits électroniques me donne des sueurs froides. J’angoisse. Mon regard est attiré par une grosse machine ouverte au milieu de la pièce virginale. Semblable à un solarium d’institut de beauté, mais bien plus sophistiquée, j’appréhende de devoir entrer dans cette boite en forme de cercueil.

Et Bingo ! Ce que j’appréhendais, m’arrive.

— Il va te falloir t’allonger ici, m’indique justement la dame.

— Heu... d'accord...

Je n'aime pas l'idée d’être bloquée dans ce truc fermé et exigu. Ma légère claustrophobie se rappelle à moi. Je ne suis pas encore dedans que je commence déjà à suffoquer. Je m’affole, je tremble, puis je me dis que je ne dois pas me défiler, tout arrêter là et faire échouer l’expérience. Je suis la première du groupe à passer et si les autres apprennent que j’ai flanché, certains risquent d’abandonner. Je pense d’abord et surtout à Aline. Par solidarité, mais aussi par orgueil, j’inspire profondément et je prends le dessus sur mes peurs. Docile, je m’installe dans la machine. C’est plutôt confortable. J’ai la sensation d’être étendue sur du coton.

Avant de refermer le couvercle, le docteur Hofnick m’informe :

— Tu n’y resteras pas plus de dix minutes. Détends-toi. Un film va t’être projeté.

Ça y est, me voilà enfermée. Heureusement, je ne suis pas dans le noir complet. Une lumière bleue me permet de voir le reste de mon corps. Pour ne pas céder à la panique, je me persuade que tout est OK. Je m’oblige à penser à des choses agréables et ma pression se relâche. Au-dessus de ma tête, un petit écran s'allume. Le visage d’un homme d’une quarantaine d’années en costume sur-mesure et sans masque, apparaît.

— Bonjour Élély, me dit-il avec un beau sourire dents blanches. Si vous voyez cette vidéo, c'est que vous participez au projet « A647O », plus communément appelé projet « Écho » et vous vous apprêtez à devenir un « sujet A ». N’ayez crainte, tout va bien se passer. Je vous le garantis. Je me présente. Je suis James RB Wilson, le concepteur du « Projet Clonage ». Je tiens à vous remercier pour ce dévouement dans le but de sauver l'humanité et éradiquer ANDROMEDE. Peut-être allez-vous penser que j’exagère, mais pour moi vous êtes une héroïne.

Ce compliment me touche. Il me donne des ailes. Je me sens forte.

— Ne vous crispez pas, poursuit James RB Wilson. Nous allons vous scanner entièrement en démarrant par vos pieds. Pendant que nous vous numériserons, ne fermez pas les yeux. Ceci, afin d’enregistrer vos pupilles et l’intégralité de votre vision. Soyez tranquillisée, chère Élély, nos rayons n’abîmerons pas votre rétine. Pendant ce processus qui sera rapide, vous aurez droit à un petit film d'animation. Gardez bien les yeux fixés sur l’écran. Avez-vous bien compris ?

Je réponds par un oui timide.

— Encore merci, rajoute-t-il. Et comme dirait Dark Vador « Que la force soit avec vous ».

L’homme disparaît et fait place à un dessin animé. Bugs-Bunny est poursuivi par un chasseur. Ça me plaît bien. Et dire que je me faisais tout un plat d’être coincé là-dedans. Finalement, c’est sympa. Je suis bien. Un faisceau rouge apparaît en bas et frôle mes orteils. Je ne ressens strictement rien. Je m’attache à Bugs-Bunny et j’oublie la lumière qui remonte doucement le long de mon corps. Rapidement, quelques secondes me semble-t-il, le faisceau s’éteint alors que le film continue. Je me demande ce qui se passe, mais je ne bouge pas. Je garde les yeux rivés sur le mangeur de carottes. Soudain, je sens une petite douleur sur mon avant-bras droit. Par curiosité, je me détache de l’écran et je regarde là où j’ai mal. Je vois une aiguille plantée dans ma chair et mon sang aspiré au travers d'un tuyau.

Ainsi donc, ils ont besoin de mon sang... Ils ne m’avaient pas prévenu de ça, ou alors je n’ai pas bien saisi ce qu’a dit Monsieur Snoutch. Je me demande ce qu’ils vont encore me prélever. Des cheveux ? Des ongles ? De la peau ? Des bouts d’organes ? Oh la la ! Je dois rester sereine. Le Docteur Clarins m’a certifié que je n’aurais pas mal, alors confiance. Ça y est, l’aiguille se retire de mon bras. Tiens... Étrange cette sensation de froid sur mon bras. Ah, c’est un pansement gel qui recouvre le trou dans ma veine. Astucieux... C’est quoi cette petite pince ? Aïe ! Elle m’a arraché une mèche de cheveux ! Oups, ça picote. Heureusement que c’était rapide. J’ai hâte que ça finisse. Je n’arrive plus à me concentrer sur mon lapin qui fait des blagues. Je redoute ce qu’on va me faire. Je suis toute contractée. L’écran devient noir. Le couvercle de la boite se rouvre. C’est fini ? Déjà ?

— Voila, c'est terminé, m’informe le docteur Clarins en m’aidant à me relever. Désolé de n’avoir rien dit pour la piqûre, mais vous vous seriez crispée si vous l’aviez su. Et cela aurait pu compromettre la ponction.

— Ça va, je dis en souriant. Je n’ai quasiment rien senti.

— À la bonne heure ! s’exclame la dame. Eh bien, nous allons pouvoir vous libérer. Nous avons tout ce qu’il nous faut.

— Je pourrais le voir ? je demande à voix-basse.

— Pardon ?

— Mon clone.... J’aimerais beaucoup pouvoir le rencontrer... Croyez-vous cela possible ?

— Malheureusement, non. Du moins, pas dans l’immédiat.

— Quand, alors ?

— Jeune fille, nous avons beaucoup de paramètres à vérifier pour être sûrs que tout est parfait. Cela va prendre du temps. De plus, nous avons eu quelques soucis dernièrement. Les rencontres expérimentales entre des « Sujet A » et des « Sujet B » ont donné lieu à des dysfonctionnements importants. Que ce soit les clones ou les humains, cela a provoqué des chocs et des dérèglements mentaux qui, maintenant nous font prendre d’énormes précautions. Navrée, mais ça ne sera donc pas possible. Pas tant que nous ne serons pas certains que tout est sous contrôle.

Je suis déçue. J'aurais aimé voir mon double, mais je comprends que tout n’est pas aussi simple. Je n’insiste pas et je pars me rhabiller après avoir salué les médecins. Mon accompagnatrice de tout à l’heure patiente dans le hall. Elle me demande si je vais bien. Je lui répons par l’affirmative et me dirige vers le vestiaire. Une fois mes vêtements remis, elle me ramène au rez-de-chaussée dans une nouvelle salle garnie de victuailles. Ça tombe bien, j’avais faim.

— Mangez ce qui vous fait plaisir, me dit la dame en me laissant seule dans la pièce. Ceux de votre groupe vous rejoindront ici.

Je suis affamée. Toutes ces émotions m’ont creusé l’appétit. Je me précipite sur la table et je dévore les canapés au saumon et les pains au fromage. En attendant les autres, je sors mon portable et mon casque de mon sac, et j’attrape une tablette de chocolat que je croque à pleines dents. Instant musique et relaxation. Je ferme les yeux et je somnole un peu. Le temps passe. Je reste seule un long moment, puis ceux de mon groupe commencent à arriver. Nous échangeons nos expériences réciproques. Aline n’est toujours pas là. Je me demande si tout va bien pour elle. Si elle ne s’est rétractée ou évanouie avant de pénétrer dans le Bloc, quand enfin, je la vois. Je me précipite vers elle.

— Aline ! Ça va ?

La pauvre est blanche comme un linge. Je l’aide à s’asseoir, je lui donne un verre d’eau et je lui prépare une assiette pour qu’elle reprenne du tonus. Elle me remercie doucement en picorant des canapés. Deux heures s’additionnent encore avant que le groupe soit au complet. Il est tard. À ma montre, il est vingt-deux heures. Dans la salle, l’atmosphère est curieuse. Certains sont surexcités quand d’autres sont amorphes. C’est bien ! Au moins, les scientifiques auront un panel de clones aux personnalités différentes.

La dame revient. Elle demande aux premiers arrivés de repartir par deux. Ce sera donc moi et Brian Chandler qui formerons la paire. Nous la suivons jusqu’à l'entrée du bâtiment où l’on nous remet une attestation prouvant notre participation. Je la range au fond de mon sac, renfile mon polaire rouge et rejoint le bus avec Brian qui n’est pas très causant. Je me réinstalle à la même place que tout à l’heure. Le bus est presque vide. Il y a moins de dix élèves que je ne connais pas ou simplement de vue. Casquette sur les yeux, le chauffeur s'est endormi. Il va falloir attendre que le bus se remplisse. J’en peux plus d’attendre et j’ai super envie de pipi. Je me lève pour aller aux toilettes. Flûte, la porte est barrée. Je frappe doucement, pensant que quelqu’un est dedans, mais personne ne répond et n’en sort. J’insiste. Je retoque plusieurs fois pour signaler ma présence, mais rien ne se passe. Je n’en peux plus là. Ça presse ! Je suis à deux doigts de faire dans ma culotte. Je serre les cuisses. Je m’agace sur la poignée pour faire réagir l’occupant quand une fille mâchant un chewing-gum m'explique la situation :

— Y’a un gars à l’intérieur. Il y est depuis presque une demi-heure. J’ai déjà essayé de savoir si ça aller tout à l’heure, et il a dit qu'il se sentait pas bien. J’ai entendu des drôles de bruit dans le WC. Je crois qu'il a dû dégueuler. Ça ne doit pas être beau à voir là-dedans. Ça doit puer le vomi. À mon avis, mieux vaut le laisser tranquille. Si t’as envie de pisser, t’as qu’à faire derrière le bus. C’est ce que j’ai fait.

— Ah... bon...

Poser culotte dehors, pas question ! Si quelqu’un me voit, ce sera la honte intersidérale, et puis ça caille. Non, suggestion débile. Je pourrais essayer de retourner dans le bâtiment et demander les toilettes, mais je crains de me faire rembarrer. Et puis, retraverser tout le terre-plein ne m’enchante pas. Je retourne à ma place sous le regard amusé de la fille au chewing-gum, en espérant que les autres reviennent vite et que mon envie de pipi, passe. À ma place, je crois les jambes. Je remets ma musique sur les oreilles pour ne plus y penser et je pique un roupillon. C’est Aline qui me réveille lorsqu’elle revient prendre place à coté de moi. Je suis contente de la voir. Elle a l’air d’aller mieux. Elle a repris des couleurs. Elle me dit qu’elle est soulagée que tout se soit bien passé. Elle m’apprend qu’un garçon d’un autre groupe a fait un malaise au Bloc, et qu’ils vont le garder pour lui faire des examens complémentaires.

Voilà les adultes qui regagnent le bus à leur tour. Nos référents nous comptent et le chauffeur qui s’est reposé largement nous reconduit au lycée où, normalement des taxis nous attendent. Mon envie pressante revient. J’ai hâte d’arriver chez moi. Il fait nuit. Effectivement, nous rentrons à une heure tardive. Je suis crevée. Nous arrivons à destination. Les phares des taxis s’allument et le bus ouvre ses portes. Les sièges se vident, mais là, ça devient plus qu’urgent. Il faut absolument que j’aille me soulager avant de mouiller ma culotte. Je retourne vers les toilettes en espérant qu’ils sont libres. Tant pis pour l’odeur. Je ne peux plus me retenir. Ouf, l’accès est libre, et, a ma grande surprise le petit coin est parfaitement propre. Pas d’odeur ni de trucs dégueulasses sur la cuvette. Je soupire et je me demande ce que ce mec a bien pu trafiquer aussi longtemps là-dedans. Une fois délesté de mes litres d’urine qui me pesaient sur ma vessie, je quitte le bus et je grimpe dans un taxi. Je partage l’auto avec deux autres filles et un gars qui habitent mon quartier. Lui, je ne le connais pas. Il me colle aux basques depuis que je suis sortie du bus et je le trouve bizarre. Son visage me dit quelque chose, mais je ne savais pas que lui et moi, étions voisins. Il est en face de moi. Je le détaille. Les cheveux roux, il a un visage aux traits fins et un petit nez retroussé. Il porte un tee-shirt blanc, sous son polaire, un jean bleu clair et des baskets blanches. Carré d’épaules. Belle allure, belle gueule, on peut dire qu’il est craquant. Mecs ou filles, il doit faire des ravages dans les deux camps, sauf que moi, il m’inspire surtout de la méfiance. Je ne le sens pas ce gars. Je ne saurais dire quoi exactement, mais il y a quelque chose chez lui de pas très clair.

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