Chapitre 3 : L'expérience

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Triche, trichons, trichez... Hum... Je vais me faire passer pour Vic auprès des détachés du Gouvernement. Après tout, jouer les grandes et imiter mon artiste de frangine, je m’en sens tout à fait capable. Quant à reproduire sa signature « VBradbury » en écriture penchée avec ce « y » final qui redescend comme la queue de Pipoune lorsqu’il est effrayé, c’est aussi dans mes cordes. Pour m’y être déjà essayée en faisant ce si particulier mouvement de poignée, j’ai pour ainsi dire... la copie parfaite de son paraphe. La tricherie, d’ordinaire, ce n’est pas mon truc. Je déteste les menteurs et les falsificateurs, mais je n'ai pas le choix. Je ne peux pas ne pas ne pas être prise et louper cette expérience révolutionnaire.

Sans trembler, j’écris sur une feuille blanche.

Madame, Monsieur...

Suite à la réunion d'information sur le projet « Écho » et la question du clonage thérapeutique, moi, Victoria Bradbury, tutrice légale d'Elély Bradbury, j'autorise cette dernière à prendre part à l’expérience.

Merci de votre attention,

Cordialement

Victoria Bradbury

Voilà ! C'est fait ! Je pense avoir mis l’essentiel. Pas besoin d’en rajouter davantage. Je suis satisfaite de cet écrit, mais en le relisant, une crainte s’empare de moi. J'ai l'impression d’être une criminelle que le FBI va venir menotter, puis enfermer dans une cellule blindée jusqu'à la fin de ses jours. Je transpire. Je me fais des films. Transgresser, tromper ou faire des choses que les autres réprouvent ne m’est pas naturel. Contrairement à Vic, qui malgré ses airs de jeune fille sage, a donné du fil à retordre à nos parents, moi j'ai toujours écouté et très exceptionnellement désobéi.

Ma sœur a longtemps été une teigne. Probablement, son côté artiste qui s’exprimait dans la rébellion, favorisant l’envie de faire ce qui lui plaisait plutôt que se soumettre aux règles de la maison. Je me souviens d’une fête qu’elle avait organisée à l’insu de nos parents en voyage à l’étranger. Sa charmante petite sauterie avait tourné au fiasco. Les invités avaient invité, qui eux-mêmes avaient invité de vagues connaissances. Résultat, l’appartement avait été envahi par une horde de gens déchaînés, inconnus de ma sœur et uniquement venus pour profiter et mettre le bazar.

Le constat fin de soirée avait été catastrophique. Le beau canapé cuir était brûlé de trous de cigarettes, de la vaisselle avait été cassé, le parquet était tâché par on ne sait quelle substance impossible à enlever et les rideaux du salon avait fini en lambeaux. Vic avait bien tenté de dissimuler les dégâts, mais sans succès. À leur retour, mes parents avaient découvert leur intérieur saccagé. Forcément, ils étaient furieux. Ils se sentaient trahis dans la confiance qu’ils avaient envers ma sœur et elle l’avait payé cher. Suppression de l’argent de poche et interdiction de sortie pendant des mois. La punition de Vic était sévère, mais elle l’avait cherché. Cela ne l’avait pas pour autant dissuader de recommencer ses bêtises. Une autre fois, ma sœur avait piqué la voiture de papa pour aller voir son petit copain de l’époque. Le risque était inconsidéré. Non seulement, elle n'avait pas le permis, mais elle commençait à peine la conduite accompagnée et savait tout juste magner un volant. Elle n’avait heureusement pas provoqué d’accident, mais les parents l’avaient su et elle avait passé un sale quart d’heure. À cause de toutes ses frasques, tous les deux la surveillait comme le lait sur le feu et l’avaient privé de sorties. Ça ne l’empêchait pas de trouver des moyens pour enfreindre l’interdiction. À chaque fois qu’elle décidait de faire le mur, elle me demandait de la couvrir et me promettait des cadeaux en échange de mon silence. Ainsi, j’ai eu droit à un téléphone dernier cri en remplacement du mien qui était cassé, à des places de cinéma, etc. C’était donnant, donnant. Normal. Être payée pour mon silence, j’estimais cela normal. Ça ne me posait pas de souci de conscience. En revanche, me retrouver dans la peau de celle qui fraude, me fait me sentir mal. Je culpabilise à mort. J’angoisse. Je spécule sur les conséquences de mon acte délictueux. Que m’arrivera-t-il si Vic ou quelqu’un d’autre découvre le subterfuge ? J’ai des sueurs froides et le cœur qui palpite. Vivement demain, que je sois enfin débarrassé de cet écrit que j’hésite à déchirer. Une fois que je l’aurai donné au Proviseur, j’arrêterais de me poser dix mille questions. Ce sera fait et advienne que pourra !

Vic n'est pas rentrée avant deux heures du matin. Je l'ai entendu parce que je n’arrivais pas à dormir. J’étais trop stressée pour trouver le sommeil, alors j’ai veillé une bonne partie de la nuit devant une énième série sur les zombies. Casque sur les oreilles, emmitouflée dans mon plaid tout doux, je ne l’ai pas appelé pour qu’elle vienne m’embrasser comme je le fais d’habitude. Non, je n’ai pas voulu prendre le risque qu’elle voit sur mon visage que je préparais quelque chose de pas net. Vic me connaît tellement bien... Et puis, je lui fais encore la gueule. Je n’ai toujours pas digéré son comportement de l’après-midi et j’ai encore besoin d’un peu temps pour pardonner ce qu’elle m’a fait. Pas dix ans, bien sûr. Je ne suis pas du genre rancunière et je l'aime ma sœur...

La cloche sonne. Je sors du bureau du Proviseur. Ça y est, il a ma note entre les mains. Une bonne chose de faite ! Maintenant, plus qu’à croiser les doigts que tout se passe bien. J'arrive à ma salle de classe, et je vois Monsieur Quimpar qui se tient devant l’entrée. Il est entouré de quelques élèves et regarde sa montre. Monsieur Snoutch n’est pas présent. Seulement Madame Nabine qui est à coté de lui et tient des fiches dans sa main.

— Il manque deux élèves, dit l’enseignante à Monsieur Quimpar.

Elle me voit m’approcher d’eux.

— Ah ! Voilà Élely Bradbury, ajoute-t-elle en me désignant du menton. Ne manque plus que Nathan Finnigan.

Monsieur Quimpar hoche du bonnet. Il me regarde venir vers lui avec un air sévère. Je ravale ma salive et je tremble sur mes jambes.

— Avez-vous l'attestation curatelle, mademoiselle ? me demande Madame Nabine.

Je ne réponds pas immédiatement. Je suis gênée, prise au dépourvu.

— Sans cette autorisation, je ne peux vous laisser partir avec Monsieur Quimpar.

Ainsi, c’est le jour du départ. Je ne pensais pas que les choses iraient si vite. Je suis à la fois surprise, heureuse et en panique.

— Oui ! Oui ! Je l’ai ! Je viens juste de le donner au Proviseur !

— Ah... Bien... dit-elle avec une moue agacée. Je vais donc la récupérer à son bureau.

L’enseignante part en trottinant, me laissant face à l’agent du Gouvernement. Bras croisés, celui-ci me toise sans me décrocher un seul mot. Je suis à deux doigts de m’évanouir. Je me détourne de lui et je me joins aux autres élèves regroupés devant l’entrée. Nous sommes dix. Dix de la classe à être sélectionnés. Aline fait partie des élus. Tant mieux !

— C’est déjà le grand jour... je lui dis à voix basse. Si j'avais su...

— Je ne m’étais pas non plus préparée à ce que ça se fasse aujourd'hui, me répond elle en tordant nerveusement ses doigts et en serrant les genoux.

La pauvre. Elle a l’air encore plus affolé que moi. Je la rassure en lui caressant le dos :

— T’inquiète pas. Reste calme et sourit, ça va être super génial.

Je me mets à rire en sourdine et Aline fait pareil. Pas question de laisser la peur prendre le dessus. C’est un jour de chance et je dois être heureuse. Pour me détendre, je jette un œil dans la salle de classe. Les élèves lisent religieusement leur manuel de science. Jodie est assise à notre table. Elle est seule puisque ma place est vide. Elle ne semble pas m'avoir vue. Soudain, des bruits de talons résonnent dans le couloir. C’est Madame Nabine qui revient vers nous et me confirme que tout est en ordre. J’ai le droit de participer à l’expérience. C’est aussi simple que ça. Je suis la reine du bluff. Je souris intérieurement et je souffle.

— Monsieur Finnigan n'est toujours pas là ! s’énerve Monsieur Quimpar en regardant encore sa montre. Le temps presse !

Madame Nabine s’apprête à lui répondre, quand depuis sa place, Jodie renseigne :

— Nathan vient de m’envoyer un message ! Il ne viendra pas en cours aujourd'hui, il ne se sent pas bien.

— Dans ce cas, inutile d’attendre plus longtemps. Allons-y ! engage Monsieur Quimpar en rassemblant ses troupes d’un mouvement de bras.

Avant de le suivre, je me tourne une dernière fois vers Jodie que j’ai de la peine à laisser seule, même si ce n'est que temporaire. Combien de temps serais-je absente ? Je n’en ai pas la moindre idée. Jodie a compris que je partais, et au vu de mon visage défait, elle me lève un pouce d'encouragement. Je lui retourne son geste et lui adresse un clin d’œil. Nous nous sourions, puis je rattrape le groupe qui avance au pas de charge dans le couloir. Entraînés par Monsieur Quimpar marchant à vive allure, nous arrivons sur le parvis du lycée. Là, sont rassemblés d’autres groupes d’élèves, tous escortés d’hommes et de femmes vêtus de noir et portant des masques de protection hautement plus sophistiqués et techniques que les nôtres. Je présume qu’il s’agit d’agents du Gouvernement et, tandis que nous les rejoignons, je distingue Monsieur Snoutch.

Il y a des têtes connues parmi les élèves qui attendent dehors. Et il y en a beaucoup. Je comprends que toutes les classes du lycée ont été sollicitées et que dans chacune d’elle, un pourcentage identique a répondu positivement et a été choisi. Je suis à la fois déçue et contente. Moi qui pensais être une privilégiée, avoir eu la chance d’être élue, je m’aperçois tristement que je vais être un Sujet parmi quantité d’autres. Simultanément, je me dis qu’il est bon qu’autant de jeunes se soient sentis concernés par l’éradication de ce virus, et que plus il y aura de clones, plus vite le traitement sera mis au point et efficace.

Le bus garé devant l’établissement ouvre ses portes automatiques. Chaque agent du Gouvernement y fait monter son groupe par ordre d’arrivée. Puisque nous sommes les derniers, nous nous plaçons sur les sièges à l’avant. Je m’installe à coté d'Aline et j’attends les directives. Avant que le bus ne démarre, on nous appelle par nos noms, puis on nous répertorie sur des fiches électroniques. Nos ceintures attachées, c’est le moment du départ. Casquette sur la tête, le chauffeur nous emmène vers une destination inconnue.

Ça y est, me voilà au cœur de l’expérimentation. Je n’ai plus la possibilité de reculer. Je ne le montre pas, mais j’appréhende la suite. J’ai le palpite qui tape dans ma poitrine. Aline qui est assise coté fenêtre, se triture encore les ongles. Pour détendre l’atmosphère, j’engage la discussion :

— Dommage que Nathan n’ait pas pu venir. C’aurait été encore mieux s’il avait été là... avec nous.

Aline me regarde. Je vois ses lèvres blêmir et ses mains trembler.

— Ça ne va pas ? j’interroge étonnée. Tu ne te sens pas bien ?

Elle ne me répond pas. Ses yeux s’embuent de larmes et elle baisse la tête.

— Tu regrettes d’être là, c’est ça ? Tu as peur ? Tu ne veux plus participer à l’expérience ?

Aline garde le silence. Mon inquiétude monte en flèche.

— Dis-moi ce qui se passe ? Si tu veux plus le faire, il est peut-être encore possible d’arrêter le bus et te laisser descendre...

— Tu... Tu ne comprends pas ? murmure-t-elle sans relever la tête. Et si... ? Et si Nathan était malade... Contaminé par ANDROMEDE...

Le choc ! Comment n’y avais-je pas songé ? Évidemment, sans vouloir dramatiser et imaginer le pire, que Nathan ait été touché par le virus est une éventualité. Comment le savoir ? Je panique. Sous le coup de l’émotion, les larmes coulent sur mon masque et mon corps tressaute. Tout se mélange dans ma cervelle. Et c’était vrai ? Et s’il allait mourir ? Je le vois à l’agonie, puis je me dis que NON ! Que ce n'est pas possible ! Non, mon ami le plus cher ne peut être infecté par cette saloperie de virus ! Nathan est un garçon prudent et ces jours derniers, je n’ai pas remarqué de symptômes de maladie ou de changements physiques particuliers chez lui. Il y a peu, il allait tout à fait bien. Je me demande si dans le SMS envoyé à Jodie, il a précisé de quoi il souffrait. J’essaie de me rappeler le regard de ma copine avant que je ne m’en aille, mais je ne me souviens pas avoir repéré de signe traduisant une grande détresse dans son attitude ou dans ses yeux. Et ça, c’est une indication de taille ! Jodie est incapable de dissimuler ses émotions. Elle est comme un livre ouvert et si elle avait appris quelque chose de grave, je l’aurais vu. Alors non ! Non, non et non ! Nathan n’est pas atteint par cette pourriture d’ANDROMEDE ! Il a dû simplement s’attraper une grippe ou un truc du genre ! Rien de plus ! J’inspire profondément pour me calmer, puis je rassure Aline :

— Jodie a juste dit qu’il ne se sentait pas bien. Rien de grave là-dedans. Et puis, je la connais Jodie. Si Nathan l’avait informé qu’il était contaminé, on l’aurait tout de suite remarqué. Tu sais bien comment elle est quand elle va mal. Une vraie diva. Elle en fait des tonnes.

— Probablement... renifle Aline.

— Allez, détends-toi, respire et pense à ce qu’on va vivre. C’est extraordinaire et tu devrais t’en réjouir !

— Oui, tu as raison...

Les joues d’Aline remontent, démontrant qu’elle sourit derrière son masque. Tant mieux. Je la sens soulagée. Nous parlons alors de notre chance d’avoir été sélectionnées, puis, bercées par la route, nous nous endormons tête contre tête. Le trajet en bus dure trois bonnes heures. Lorsque le chauffeur s’arrête devant un immense bâtiment carré d’une cinquantaine d’étages aux allures de blockhaus, il est quasiment treize heures. Les adultes se lèvent et, sur l’ordre de Monsieur Snoutch qui se place à l’avant et parle dans un micro, nous détachons nos ceintures et restons à nos places.

— Rum... Rum... Mesdemoiselles et messieurs, dit-il d’une voix monotone. Avant que vous ne sortiez, je tiens d’abord à vous remercier d’avoir répondu positivement à notre besoin. Vous êtes un exemple pour notre société !

D’un même élan, Monsieur Snoutch et les autres adultes nous applaudissent. Nous sommes tous très fiers à ce moment-là.

— Je vais maintenant vous expliquer ce qui va se passer, rajoute-t-il. À partir du moment où vous serez sortis du bus dans le calme et le silence, bien entendu, chacun se replacera autour de son adulte référent. Les groupes ainsi reformés, partiront à cinq minutes d’intervalle pour éviter toutes confusions vers le bâtiment que vous voyez sur votre droite. À l’entrée, un contrôle d’usage sera effectué. Puis, chacun rejoindra son groupe qui sera conduit vers une salle d'attente où l’on vous a préparé une collation. À la suite, on viendra vous chercher les uns après les autres pour vous faire passer quelques tests rapides confirmant que vous êtes aptes au clonage. Enfin, vous serez emmenés au Bloc où nous effectuerons les prélèvements nécessaires à la reproduction. Une fois cela fait, vous obtiendrez une attestation certifiant de votre contribution, puis vous rejoindrez la salle détente où vous trouverez aussi de quoi vous sustenter. Au vu de votre grand nombre, nos laborantins n’auront vraisemblablement pas terminé les ponctions avant ce soir tard. C’est donc dans la nuit que nous vous ramènerons au lycée où vous attendront des taxis chargés de vous déposer à vos domiciles respectifs. Voilà. Avez-vous des questions ?

J'en avais une, mais un garçon aux cheveux longs lève haut sa main et me devance. Monsieur Snoutch l’autorise à parler :

— Pourriez-vous préciser ce que seront ces tests qu’on va nous faire.

C’est justement ce que je voulais savoir. Ça tombe bien, je n’aurais pas à ouvrir la bouche et me remarquer comme je l’ai fait la dernière fois.

— Rien de bien méchant, répond Monsieur Snoutch. C’est simplement pour savoir si votre clone sera docile.

C'est bien ce que je pensais. Les clones peuvent être de nature agressive selon le Sujet duquel ils ont été dupliqués. Il y a donc des traits de personnalités et des critères de comportement qui peuvent nous exclure de l’expérimentation. Je suis assez confiante. Je me vois comme une fille sympathique et relativement généreuse, et à part peut-être ma fraude à la signature, je ne vois pas ce qu’on pourrait me reprocher. Hum... et si ? Je doute. Je m’interroge. Je me demande si l’on va nous soumettre au détecteur de mensonge. Et si tel est le cas, je crains d’être démasquée et écartée pour mauvaise conduite.


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