CHAPITRE 4 : LA PIECE MANQUANTE

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Surpris, les six amis dévisagent la jeune femme un court instant avant qu’Aurore fasse disparaître la prison de bois. En un claquement de doigts les lianes s’en retournent sous la terre, ne laissant pour seules preuves de leur existence que quelques traces dans la neige.

Mathieu retire sa combinaison de ski et la donne à Lucie, tremblant comme une feuille dans le vent glacial, puis les deux garçons se retournent pudiquement tandis que Sarah l’aide à enfiler ce vêtement qu’elle ne connaît pas. Normalement petite, elle semble minuscule dans cette tenue beaucoup trop grande pour elle.

Ses oreilles et ses doigts rougis font pitié à Thomas qui lui prête alors son bonnet et ses gants. Pour compléter cet accoutrement, Mathieu consent à lui confier ses bottes de neige pour réchauffer ses pieds déjà bleuis par le froid. De toute façon il n’est sensible ni aux hautes ni aux basses températures, son pouvoir l’immunise contre tout cela, s’il s’habille comme les autres c’est uniquement pour ne pas éveiller les soupçons des passants.

Ils retournent rapidement au gîte où Aurore fait couler un bon bain chaud à leur invitée. Lucie se laisse charmer par la chaleur envoutante, par les odeurs florales qui se dégagent de l’eau, par la douce caresse de l’onde sur sa peau. En silence, Aurore lui masse les cheveux, les lave, les démêle. Lucie s’apaise, ferme les yeux, fredonne une mélodie de son enfance.

Quand l’eau commence à tiédir, Lucie met fin à sa toilette. L’instant de sérénité est passé. Elle revêt des affaires de la jeune femme aux cheveux blonds et rejoint le groupe dans le salon. Elle s’installe en tailleur sur le tapis devant la table basse et prend la tasse de thé que lui sert Gérard avant de commencer à raconter son histoire.

Après avoir passé plusieurs années à chercher l’étoile de sa grand-mère, elle avait fini par la retrouver, dans un sanctuaire dédié à Edomon, la dernière demeure de sa grand-mère. Eliane s’était enfuie loin de son peuple afin de protéger sa famille de la menace que représentaient alors les Mariquais. Elle avait été abattue par un ermite, dans les Montagnes de l’Est, chassant pour se nourrir. L’homme avait tiré sur le faucon gerfaut, espérant avoir de la viande pour son dîner. Quelle n’avait pas été sa surprise quand Eliane avait repris sa forme humaine pour lui demander grâce. Malgré toute la bonne volonté du monde pour l’aider à guérir, Eliane avait succombé à ses blessures quelques jours plus tard et il l’avait enterrée dans le sanctuaire de son ancêtre, à quelques kilomètres. La tombe ne portait aucune inscription, seule une petite sculpture en bois permettait de l’identifier : une statuette représentant une femme avec d’immenses ailes dans le dos et une tête de rapace était posée sobrement sur un tas de terre, à côté d’un bouquet de fleurs séchées.

L’ermite ignore qui elle était mais depuis cet événement, dix-huit ans auparavant, il vient régulièrement se repentir et fleurir la tombe de la dernière des Sept de cette génération.

Lucie avait eu beaucoup de mal à le retrouver. Elle savait enfin ce qui était arrivé à sa grand-mère et, au nom de son peuple et de sa famille, elle avait accordé le pardon au vieil homme.

De plus, cette découverte lui a apporté la certitude que c’est elle qui a hérité des pouvoirs de sa grand-mère, que c’est elle et non sa sœur qui est dotée de pouvoirs magiques.

Une fois l’étoile récupérée, elle avait fermé les yeux et avait pensé aux autres descendants d’Edomon. Une sensation étrange l’avait alors envahie. Elle était partie du creux de son ventre et s’était répandue dans sa poitrine, ses jambes, ses bras, puis s’était arrachée de son corps soudainement. Lucie avait alors ouvert les yeux et s’était retrouvée face à un portail magique dans lequel elle s’était engouffrée sans réfléchir.

En arrivant dans une forêt verglacée elle s’était changée en loup pour avoir chaud et être plus à même de se défendre en cas de danger. Quelque chose était différent dans l’air, quelque chose qui la stressait. Elle n’était pas chez elle, elle n’avait pas sa place ici et cela l’angoissait.

Quand elle s’était retrouvée face à Aurore elle avait senti l’odeur des Elfes sur elle. Les Elfes étant l’ennemi juré de son peuple, elle l’avait attaquée avant de comprendre qu’elle avait affaire aux Sept, qu’elle avait trouvé ceux qu’elle cherchait. La suite, ils la connaissaient tous.

- Tu as senti l’odeur des Elfes sur moi ?

- Bien sûr Aurore, le sang des Elfes coule en toi, c’est normal que tu ais leur odeur. Mais tu n’as pas grandi en Inckya, tu n’as rien à voir avec ce conflit. Il n’y a aucune raison pour qu’il y ait une quelconque animosité entre nous.

- Cela fait bien longtemps que nous n’avons pas eu de nouvelles du continent, comment se porte le monde Lucie ?

- Oh, cela n’est pas très réjouissant Gérard…

Lucie prend le temps d’avaler une longue gorgée de sa boisson et commence à dépeindre un triste portrait de son monde. Elle a beaucoup voyagé pour retrouver l’étoile de sa grand-mère, elle a vu tellement de pauvreté, de misère, d’horreurs que les larmes lui montent aux yeux tandis qu’elle parle.

La Forêt Enchantée dépérit. Ses habitants fuient vers les villes où ils espèrent trouver à manger, où ils ne trouvent que des contre-maîtres pour les réduire en esclavage. Les oiseaux ne chantent plus, les enfants ne jouent plus, les jeunes ne rient plus, les vieux ne content plus. Tous tentent de survivre comme ils le peuvent, tous rêvent de revoir un jour la joie, les fleurs éclore sans pourtant savoir s’ils verront le Soleil se lever le lendemain, tous attendent les sauveurs qui rendront sa magie à la Forêt pour qu’un jour elle redevienne Enchantée.

En dehors ce n’est pas mieux. Les paysans se tuent au travail ou meurent de faim en tentant de cultiver leurs champs qui se désertifient à vue d’œil. C’est comme si la terre elle-même refusait de nourrir ses enfants, comme si la terre refusait cette situation, refusait de contribuer à la prospérité de l’oppresseur.

Les rats fuient les champs pour se réfugier dans les villes où ils apportent des maladies, où ils vident les stocks de nourriture et, quand il n’y a plus rien à manger, où ils s’attaquent aux habitants. Beaucoup de nourrissons et de personnes âgées périssent quotidiennement sous les dents de ces rongeurs aussi affamés que la population. Dans certaines régions, la situation est tellement catastrophique que les peuples ont mis en place du cannibalisme organisé : toutes les semaines ils pratiquent un rituel lors duquel est sacrifié un membre de la communauté afin que sa chair permette aux autres de vivre.

Partout la misère et la famine sont reines. Il n’est plus question de vivre mais de survivre. Et comme si cela ne suffisait pas, les Mariquais oppriment le peuple. Ils prélèvent toutes les maigres ressources qu’ils peuvent trouver sous prétexte de devoir nourrir leur infâme armée, cette milice qui passe son temps à piller les habitants, à torturer ceux qui osent les regarder dans les yeux, à égorger les fils des familles qui ne sont pas assez rentables, à violer les jeunes filles la veille de leur mariage.

Pour échapper à cela, il arrive que des caravanes entières quittent des villages pour tenter de traverser la barrière des Montagnes de l’Est. Aucune n’en est jamais revenu et il est courant de croiser des cadavres au bord des routes. Ces pauvres voyageurs ne mesurent pas le danger que représente un tel voyage et, généralement, ils n’arrivent pas à survivre plus de quelques jours dans le désert. Les rares chanceux qui ressortent vivants de cette épreuve et atteignent les montagnes s’y perdent et disparaissent à jamais avant même d’avoir réussi à atteindre la moitié de la barrière.

Il est grand temps que les Sept se réunissent et réparent l’équilibre brisé de l’Inckya, qu’ils ramènent la paix et la sérénité dans les foyers.

- Tu penses sincèrement que notre venue pourrait changer les choses ? s’enquiert Thomas.

- Evidemment, nous sommes la clé. J’ai une théorie là-dessus. D’après la légende, sept gouttes du verre de Mélinda sont tombées sur le sol, sur la terre, et la terre a créé sept pierres de pouvoir. Je pense que la terre et la magie se sont liées à ce moment-là. La terre a donné un peu d’elle-même et en échange elle s’est nourrie de la magie. Mais il y a une vingtaine d’années, les pierres ont quitté notre monde et la terre, privée de ses étoiles nourricières, a commencé à périr petit-à-petit. Si les étoiles ne retournent pas rapidement à leur place, il se pourrait que des millions de personnes en meurent.

- C’est bien joli tout ça, mais si c’est vraiment ça le problème, tu penses vraiment que tes dieux tout puissants laisseraient faire cela sans lever le petit doigt ?

- Tu n’es pas obligée de te montrer aussi sarcastique Laura. Les dieux m’ont permis de trouver le vieil ermite qui n’avait revu personne depuis la mort de ma grand-mère, les dieux m’ont permis de venir à vous et de vous ramener là où se trouve votre place pour que nous puissions sauver notre monde et tous ses habitants.

- Bon bon, admettons, je ne voulais pas être méchante, s’excuse Laura. Je dis simplement que parfois les personnes autour de nous meurent et que l’on n’y peut rien, que l’on est impuissant, que c’est juste comme ça et qu’il faut l’accepter. Je ne voulais pas te froisser.

Lucie, furieuse, s’apprête à envoyer une remarque cinglante à Laura quand Gérard l’arrête d’un geste de la main.

- Je suis navré de devoir vous interrompre mais j’ai une question à te poser Laura. Quand nous avons commencé à nous entraîner il y a maintenant un an, n’était-ce point pour arrêter de se morfondre et venir en aide aux plus démunis Laura ? Je vous ai enseigné tout cela pour qu’un jour justement vous soyez capables de retourner dans ce monde qui est le vôtre et que vous y apportiez avec vous l’espoir, pour que vous redonniez le courage au peuple, pour que vous redonniez de la lumière et de la couleur à ce tableau de plus en plus sombre. Et ce même si la cause vous semble perdue d’avance. Je vous ai appris à persévérer, à ne jamais renoncer. Et si tu n’es pas d’accord avec cela, je te demande de prendre un peu de temps pour réfléchir à ce que je viens de te dire, toute la nuit s’il le faut, et de revenir plus tard pour me dire ce que tu en penses.

Laura baisse les yeux, prend quelques gorgées de son infusion et présente ses excuses à Lucie ainsi qu’à Gérard. Elle sait qu’il a raison. Leurs pouvoirs doivent servir à faire le bien de tous dans cet autre monde, dans le monde dont ils sont originaires. C’est ce qui avait été convenu dès le départ.

Au vu de l’urgence de la situation, ils décident d’aller se coucher afin d’être en forme le lendemain : ils partent à l’aube pour un périlleux voyage.

Allongés dans leurs lits respectifs ils observent le plafond en silence. Tous essayent de trouver le sommeil mais l’excitation et l’angoisse les maintiennent éveillés. Seule Lucie parvient à sombrer dans les limbes, roulée en boule, sous sa forme animale, au pied du radiateur.

Bercés par sa respiration lente et régulière, ils parviennent à se détendre et, au fur et à mesure que la nuit avance, ils partent un à un en direction du pays des rêves avant d’entamer un voyage au monde des cauchemars.

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