L'effroi

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Je tombe à la renverse.

Les étoiles filent devant mes yeux pour former une constellation grossière ; manifestation panique de mon incompréhension la plus totale.

Un nouvel afflux d’interrogations insensées dévale mes pensées.

Quelqu’un serait venu me dérober l’ensemble des clichés que j’avais d’elle ?

Serais-je le responsable d’un méfait passé dont ma mémoire aurait fait fi ?

Suis-je sujet à une investigation ?

Mon regard se fixe successivement sur toutes les photographies, vérifiant une nouvelle fois pour en être absolument certain. J’énumère chacun des clichés avec une célérité ahurissante. Mais rien n’y fait, je ne parviens pas à trouver ce dont je me suis mis en quête.

Maintenant, j’en suis sûr. Il n’y a rien. Pas la moindre trace de Magda.

Tous les clichés de chacun de mes étés passés sont présents. La moindre rencontre estivale demeure immortalisée sur du papier photographique, plantée dans ce cadre en liège…

Toutes, sauf elle.

Un sentiment étrange me gagne. Tout va si vite en ma pensée que mon corps ne semble plus même prendre la peine de somatiser le moindre des mes effrois. Ma respiration est épouvantablement paisible, et plus aucune partie de moi-même n’est entravée d’un quelconque engourdissement.

Est-ce là le semblant d’une raison inconsciente qui me gagne ?

Après tout, comment se fait-il que des clichés gisant en lambeaux jusqu’alors se soient rassemblés afin de redevenir intacts ? Qui d’ailleurs aurait pris la peine d’ordonner ainsi le désastre qu’était devenu ma chambre ? Cela ne tient pas. Rien de tout cela n’est logique, ni ne devrait arriver.

Je regarde mes mains. Lisses. Vigoureuses. Résolues ; elles ne tremblent pas.

Je me retourne vers mon lit afin d’y river mon œil. Mes sourcils se froncent alors seuls.

À l’heure où mon corps tombait en décrépitude il y a quelques minutes encore, me voilà chargé d’une énergie nouvelle, plongé dans un environnement si familier, pourtant si lointain.

Je serai presque tenté de me délester d’un sourire, me sentant comblé d’un sentiment proche d’une nostalgie aussi curieuse que passagère, mais dont j’ignore tout de l’origine.

Je me relève délicatement tandis que les questions ne cessent de chuter sur mon esprit en un fracas tonitruant, cultivant une migraine des plus effroyables. Mes mains s’apposent sur mes tempes en parfaite symétrie, serrant ma tête comme s’il fallait empêcher la fente de mon crâne en deux ; duquel ne s’échapperait d’ailleurs rien de moins que l’abîme de mon incompréhension.

Je commence à sentir à l’intérieur de ma tête ce qui s’apparente à une petite bille roulant toujours plus furieusement jusqu’à voir céder la cage qui l’abrite. Je ne parviens plus à me poser davantage de questions quant à la nature logique de tout cela ; ma pensée sature alors que l’inquiétante impression de faire face à quelque concept surpassant totalement ma compréhension me subjugue.

Je ressens alors le besoin tant subit que mécanique de me passer de l’eau sur le visage. Comme s’il s’agissait là de l’une des clés à l’ouverture d’une voie vers la paix intérieure.

En silence, je me dirige vers la sortie de la pièce, les mains toujours posées sur la tête afin de prévenir toute éventuelle ouverture de ma boîte crânienne. Presque tenté de me déplacer sur la pointe des pieds afin de ne pas m’attirer les foudres parentales ; pensant que ma présence même en ces lieux leur est indésirable, je finis par atteindre la porte. Ma main gauche quitte ma tempe afin de se poser délicatement sur la poignée, que j’enclenche aussi discrètement que possible, redoublant de délicatesse afin de ne produire que le plus moindre bruit.

Un couloir très familier s’ouvre à mes pas. Le sol y est couvert tout du long d’un parquet clair, mais qui a toujours eu ce bienfait si particulier de ne jamais grincer, même en y pressant le pas.

Quatre voies m’y sont proposées.

Une première, à droite, rendant l’accès à une cage d’escaliers ; douze marches vers l’étage inférieur.

Une seconde, me faisant face, mène à la chambre de mes parents, dont toute entrée m’est strictement proscrite ; cela n’a jamais été décrété par qui que ce soit, mais j’en détiens le principe.

Et deux sur ma gauche, la première étant un placard dont le contenu ; que je méconnais, n’a jamais su éveiller ma curiosité, et ma destination : la salle de bain.

La main gauche de retour sur ma tête, je glisse dans ce couloir d’une démarche des plus molles sur le plancher luisant de la lumière du matin ; les mains plantées ridiculement sur les tempes, me donnant l’impression d’incarner un étrange demi-cervidé au sein d’une pièce de théâtre à la mise en scène douteuse. J’atteins la pièce en trois grandes foulées, puis je franchis, de mon sabot nu surveillé attentivement par mon œil averti, le seuil de la pièce dénuée de sa porte en une quatrième.

La plante de mon pied vient épouser le sol, d’un blanc immaculé.

L’atmosphère se gèle.

Un froid mordant s’empare de mon corps, partant de la base de mon pied à peine posé jusqu’au sommet de mon crâne dont les mains se détachent immédiatement. Ma mâchoire se serre et mes dents se crissent tant cette sensation de gel intérieur m’est insupportable.

Pourtant, je décide de faire face à cette nouvelle agression, physique cette fois-ci.

Dans un élan de courage, je pose le second pied sur le sol, sans chercher à comprendre davantage la nature de ce froid hostile. La deuxième voûte plantaire effectue son atterrissage forcé.

J’y suis parvenu.

Mais le regret ne se fit pas prier.

Mon corps est désormais de glace, et mon échine frissonne autant que lorsque j’entends le crissement intolérable du fer sur un tableau noir. J’observe dans ma peine un moment de silence afin de constater l’horripilation manifeste de mon corps face à tel froid, et tente dans la foulée de déterminer s’il s’agit d’une vue de mon esprit ou si mes pieds sont bels et bien en train de virer au bleu sur ce carrelage pâle. Mais c’est au constat de la présence de ce sol damé de céramique que la source du froid me devient alors limpide : il n’est nul autre responsable de ce harassement glacial que l’argile sur laquelle je me tiens.

Malgré tout, je relève la tête, et décide de – Mes yeux. Oh, mes yeux. Quelle douleur insoutenable.

La pièce est inondée d’une clarté scandaleuse, et dont l’agressivité est sans pareille pour des yeux ayant à peine échappé à la torpeur du sommeil.

Les murs, le plafond, le sol, la baignoire, le lavabo, les meubles, les étagères, le bac pour le linge.

Absolument tout le mobilier de la salle d’eau est plaqué d’un blanc outrageusement éclatant.

Mon corps est de glace, et mes yeux de feu.

Aveuglé par l’œuvre immaculée d’un décorateur dont l’expertise m’est douteuse, je tente de trouver mon chemin dans la lumière. Ma vue s’acclimate lentement, non sans peine, à mesure que je progresse dans cette pièce, dont la luminosité me permet d’évaluer sa superficie entre dix mètres carré et l’infini.

Ma connaissance vraisemblable des lieux me permet de parvenir à la vasque du lavabo. Et de ma pupille déchirée, je contemple une silhouette au travers du miroir surmontant le robinet d’eau.

Ce que j’y vois provoque en moi une réaction allant bien au-delà de la simple surprise.

Le reflet gisant dans le miroir… Ce n’est pas le mien.

Il ne m’appartient pas.

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