L'éveil

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Le dos planté et enraciné dans un matelas, mes yeux s’éclosent. L’aube est levée.

Déboussolé par la brutalité des hurlements du réveil, je tente malgré tout d’analyser la situation.

Le réveil est à bâbord, et la pièce dans laquelle je me trouve m’est familière. Bien.

Ces informations à ma disposition, mon bras droit sort naturellement mais non moins rapidement de la couette, comme une tige poussant hors de terre, afin de cogner sèchement de ma main la cime de l’agent du chaos sonore. La sonnerie abasourdissante s’estompe sans se faire prier, faisant naître en moi un profond soulagement.

Je range mon bras sous la couette, puis m’y blottis ; comme un bourgeon retournant antinaturellement sous l’humus. Mes yeux se closent à nouveau.

Enfoui au fond de mon lit, jamais ce piège ensommeillant à mon échine n’aura été aussi confortable. Je ne puis m’empêcher d’esquisser un sourire comblé trahissant mon ravissement.

Un sourire ?

De la satisfaction ?

Une douleur d’une vivacité indicible m’heurte le crâne. J’ouvre les yeux aussi grand que permis avant de me redresser nerveusement dans mon lit, faisant fi du moindre confort pourtant fraîchement acquis. Mes mains se posent mécaniquement sur ma tête, sûrement dans un espoir d’apaisement d’une douleur se présentant déjà comme un calvaire.

Le jour passé me revient alors subitement en un afflux d’informations des plus véhéments. Tous mes souvenirs reprennent leur juste place au cours d’un processus absolument inouï me rendant l’illusion d’un état de conscience supérieur où toutes les vérités du monde semblent se dévoiler à mes sens. En un instant, j’ai l’impression de vivre mille vies. Le temps lui-même prend corps pour se déformer sous mes yeux, plié à une autorité dont la nature m’échappe totalement.

Mais malgré la richesse astronomique de la connaissance qui se présente à moi, je ne parviens pas à assimiler quoi que ce soit.

Tout cela ne dure qu’un instant, et ce qui se révèle à moi sous l’apparat du savoir illimité s’évapore presque aussitôt qu’il est apparu, plongeant à nouveau ma compréhension dans sa ténèbre caractéristique, humaine, effaçant de ma mémoire ce que je crois avoir vu ou même compris ; à la manière de l’éveil après le rêve. Le souvenir déjà incertain de cette expérience d’ubiquité s’estompe, emportant avec lui la peine qui frappait alors, ne me laissant qu’un inexprimable sentiment d’inscience.

L’ouragan mémoriel n’est plus, et le calme plane à nouveau sur mon esprit.

Je n’ai aucune idée de ce qu’il vient de m’arriver.

La journée d’hier… Est-ce réel ?

Par bribes, ma raison se déchire à mesure que mes souvenirs s’assemblent.

Ma chute. Ma vision de tous les étages de l’immeuble parcourus en sens inverse, sans ascenseur.

L’atterrissage. La vie quittant son enveloppe disloquée…

Un vertige terrible m’envahit à cette pensée ; tout cela me semble si réel.

Ma respiration s’emballe, je sens mes yeux s’ouvrir si grands qu’ils pourraient s’enfuir.

Une angoisse invasive m’emplit et infecte ma raison.

Si tout cela n’était qu’un rêve, pourquoi suis-je si terrifié ?

Rien ne me prouve la véracité de ces visions. Je dois me calmer.

Haletant, je décide de me lever afin de retrouver mon souffle. Mon buste léger se gonfle afin de trouver une posture droite et stable. Ma raison reprend le dessus. Fièrement dressé, j’observe à l’instar d’un projecteur sur un mirador la pièce au sein de laquelle je m’éveille.

Un sifflement vient rencontrer mes oreilles, frappant le tambour de mes tympans en un crescendo inquiétant, mutant rapidement en un bourdonnement dissonant.

Je découvre de mes pupilles exorbitées la chambre de mon éveil, et comprend que cet acouphène distordu à la régularité inhumaine ne fait en réalité que caresser mes craintes dans le sens de leur confirmation.

Quel est ce désordre ?

Jamais le sol bleuté de cette chambre n’a autant eu l’allure d’un ciel d’été, tant celui-ci est nu de tout cumulus de papier. L’enfer documentaire n’existe pas, et mon bureau désormais immaculé n’accueille plus qu’un tableau de liège orné de quelques clichés de vacances, prenant toute mon attention au piège. Mon désarroi est immense, mais l’attraction que m’évoque ce tableau m’est irrésistible. Je quitte énergiquement mon lit pour traverser la pièce, vide de tout vestige d’un désordre physique et mental. D’un pas ruant et inquiet, j’atteins les clichés accrochés au liège.

Quelque chose ne va pas.

J’observe les photographies. Elles sont récentes, et aucune n’est déchirée ni ne semble avoir été recollée : le reflet de l’aube sur celles-ci ne révèle aucun défaut.

Un murmure commence à se répéter dans mon esprit :

C’est sûrement un rêve.

Tout porte à croire qu’il ne s’agit-là que d’un songe. Les clichés ne présentent que des souvenirs de vacances d’été passées au bord d’un lac, entouré de ceux qui furent jadis mes amis.

C’est sûrement un rêve.

Cette pensée se fait toujours plus présente dans mon esprit, presque écrasante. Et pourtant jamais je n’ai autant ressenti la réalité. Le poids des vêtements sur mon corps, mes pieds s’appuyant sur le sol, la lumière presque éblouissante du matin… Mais cela ne se peut.

Le choc du changement s’estompe malgré tout, mais un doute demeure. Bien que tout semble en ordre, j’ai le sentiment que quelque chose n’est pas à sa place.

Je ne devrai pas être là.

Mon sang se glace à cette réalisation, et mon regard quitte les clichés du tableau pour se jeter à la fenêtre. Un frisson parcourt mon corps de bas en haut.

Je suis sorti par là.

Tremblant, je m’approche de cette fenêtre pour y contempler la rue en contrebas. Mais avant même de l’atteindre, l’idée d’y voir ma dépouille me transperce.

Je ne peux pas y aller. Je m’y refuse.

Mes vertiges reprennent de plus belle. Je prends appui sur mon bureau afin de ne pas m’effondrer. Mes paupières se ferment seules. Je sens mon pouls s’accélérer.

Faites que ça s’arrête.

Je dois m’éveiller !

Pourquoi ?

Mes vertiges disparaissent. Mes yeux s’ouvrent. Ma respiration s’arrête net.

Le silence règne.

Cette voix. Ces sanglots.

Mon regard se fixe inexplicablement sur les clichés de vacances.

L’effroi ne tarde pas à m’envahir totalement.

La fille… Magda…

Elle n’est plus là.

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