• Le corbeau 2/2 ‎•

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Astal était partagée entre la fierté d’avoir battu cet elfe sans utiliser ses dons de naïades et la colère de se sentir toujours autant étrangère à son pays. Mais pour le moment, elle était préoccupée par l’état de son cousin. Terendul avait fui l’auberge comme si la peste s’y trouvait, et depuis, impossible de mettre la main sur lui. Pourtant, le village d’Ulenas n’était pas bien grand, il ne devait pas être très loin.

Les rues de la petite ville étaient déjà bien vivantes, animées par les échopp

Astal était partagée entre la fierté d’avoir battu cet elfe sans utiliser ses dons de naïades et la colère de se sentir toujours autant étrangère à son pays. Mais pour le moment, elle était préoccupée par l’état de son cousin. Terendul avait fui l’auberge comme si la peste s’y trouvait, et depuis, impossible de mettre la main sur lui. Pourtant, le village d’Ulenas n’était pas bien grand, il ne devait pas être très loin.

Les rues de la petite ville étaient déjà bien vivantes, animées par les échoppes des marchands et les étals des vendeurs du marché. Préférant éviter une nouvelle scène comme celle de l’auberge, la jeune fille avait soigneusement caché ses cheveux sous une capuche, qui retombait sur son visage et couvrait ainsi les pupilles océans qui trahissaient ses origines. Elle déambulait entre les éventaires sans prêter attention aux marchandises qui s’y vendaient, et scrutait chaque villageois dans l’espoir de reconnaître Terendul. Mais force était de constater que le ténébreux garçon ne se trouvait pas ici. Agacée, elle s’arrêta un instant et observa finalement les bancs du marché. Des nains, pas plus hauts que trois pommes, exposaient fièrement le fruit de leur labeur. Cela allait des petites lames aiguisées aux lourdes épées décorées, en passant par les armures rutilantes et aux boucliers étincelants. Mais bien que la guerre et les armées représentaient le plus gros de leur gain, les nains étaient également connus pour la délicatesse de leurs bijoux d’apparats. Une vieille forgeronne exhibait ses créations, tout en surveillant les mains de ses clients, craignant de voir un elfe un peu trop agile s’emparer de l’un de ses bijoux. Un peu plus loin, des faunes marchandaient leurs tissus et proposaient à certaines belles dames de magnifiques robes brodées. D’autres faunes vendaient, quant à eux, des herbes médicinales et autres remèdes de leur création. Il y avait également quelques étals elfiques, mais cela n’intéressait pas la jeune fille plus que cela. Elle avait vu assez d’elfes aujourd’hui et ne voulait pas s’embarquer dans une nouvelle bagarre inutile.

Poliment, elle s’adressa à l’un des marchands nains et lui demanda s’il n’avait pas aperçu son cousin, mais la réponse fut négative. Patiente, elle s’adressa à tous les marchands étrangers, qui lui répondirent tous la même chose : Terendul n’était pas passé par là.

La situation l’énervait plus que ce qu’elle aurait imaginé. Ils avaient déjà pris du retard dans le voyage en s’arrêtant à l’auberge, et perdre du temps à chercher Terendul faisait bien partie des dernières choses qu’elle aurait voulu faire. Un instant, elle envisagea la possibilité de revenir près de sa monture et d’attendre qu’il revienne de lui-même, mais connaissant le garçon, elle était certaine qu’il lui faudrait une journée entière pour réapparaître. Et si ce n’était pas elle qui partait à sa recherche, personne ne le ferait. Fainéant, Méliel devait probablement attendre au coin d’un arbre que ses compagnons revinssent. L’idée de venir aider Astal à chercher Terendul ne pouvait pas lui avoir traversé l’esprit.

Alors qu’elle ruminait son exaspération, Astal crut apercevoir les longs cheveux d’ébène de son cousin et se précipita vers lui, s’excusant sans réellement le penser auprès des habitants qu’elle poussait pour passer. Lorsqu’elle arriva auprès de ce qui lui avait paru être Terendul, l’homme se retourna vers elle avec un regard interrogateur. Ce n’était pas lui.

La demi-elfe se remémora les événements de l’auberge. Peut-être cela allait-il l’aider à retrouver le jeune homme ?

Quand le gros balourd de sylvestre avait évoqué le nom de Craban, Teren’ avait semblé profondément affecté, et s’était aussitôt enfui. Astal n’avait jamais entendu ce nom avant ce jour, pourtant, il avait suffi à lui seul pour ébranler la confiance de son cousin. Qu’est-ce que le garçon lui cachait ?

Tandis qu’elle essayait de sortir de la rue marchande, elle continuait à chercher une raison quant au bouleversement qui avait secoué Terendul. Mais ne comprenant pas pourquoi l’elfe l’avait renommé le Corbeau, elle ne trouvait rien de concluant. Certes, Terendul ne s’habillait que de noir, et ses yeux d’ébènes ne correspondaient pas aux critères de pureté de son espèce, mais il était bon et généreux. Elle refusait de croire qu’une simple histoire de couleur d’iris pouvait avoir autant d’importance.

Lorsque le brouha du marché fut derrière elle, Astal releva la tête et observa l’échoppe devant laquelle elle se trouvait. C’était une bâtisse à colombage semblable à toutes celles du village, vieillie par le temps qui en avait noirci le hourdage et les fenêtres. Aucune enseigne suspendue ne renseignait les passants et aucune lumière à l’intérieur de la boutique ne laissait présager qu’elle était encore ouverte. Astal s’apprêtait à continuer sa route lorsqu’un courant d’air fit retomber sa capuche dans son dos, libérant ses longs cheveux ondulés. Aussitôt, la porte de l’échoppe s’ouvrit avec un grincement sinistre, et la jeune fille crut apercevoir quelques bougies allumées derrière le verre sali des fenêtres. Curieuse, la jeune fille s’avança timidement jusqu’aux carreaux, espérant réussir à entrevoir l’intérieur du magasin. Mais comme elle s’en doutait un peu, les vitres étaient trop sales pour distinguer quoi que ce soit.

L’estomac noué par l’appréhension, la demi-elfe se décida finalement à entrer dans l’échoppe, avec la furieuse impression de commettre une bêtise.

De grosses étagères en bois de sucupira supportaient le poids de dizaines de bocaux divers et variés, ainsi que de gros livres poussiéreux et des fioles aux liquides d’une couleur trop vive pour être totalement naturelle.

Astal regarda de plus près les bocaux en verres qui trônaient à hauteur de ses yeux, et retint un haut-le-cœur lorsqu’elle réalisa qu’elle lorgnait des bouts de corps de créatures inconnues depuis de longues minutes. Des yeux vitreux flottants dans un liquide grisâtre, des doigts asséchés par le temps, des orteils de toute taille, et même des oreilles d’elfes et de fées ! Elle s’éloigna de l’étagère en reculant d’un pas et porta son regard sur une marchandise on ne peut plus normale, dont la poussière recouvrait sa tranche. Astal attrapa le vieux livre et souffla un bon coup pour en dégager la saleté. Alors qu’elle s’apprêtait à ouvrir le manuscrit pour lire la première page, une voix rauque et éraillée la mit en garde.

― Je n’ouvrirais pas ce grimoire si j’étais vous. Ce n’est pas un ouvrage de magie élémentaire, indiqua une vieille femme aveugle. Seuls les mages les plus puissants ont réussi à dompter son pouvoir, et bien que votre courage égale votre réputation, une jeune princesse elfique ne devrait pas se frotter aux maléfices des djinns.

Surprise par la vieille faune qui venait d’apparaître, Astal failli laisser échapper le livre de ses mains. Elle fixa son vis-à-vis de longues secondes, intriguée par le personnage, et finit par reposer l’objet à côté des autres grimoires.

L’aveugle, qui semblait être la propriétaire de ces lieux, restait immobile, le visage tourné vers la Demi. Ses longues dreadlocks grises tombaient dans son dos jusqu’à ses hanches, ornées de perles dorées et bordeaux. Un fard de la même teinte sanglante intensifiait la blancheur de son regard, et elle portait un rouge à lèvre grenat sur sa lèvre inférieure. De lourdes créoles en or pendaient à ses oreilles, et son cou d’apparence frêle était couvert de chaînes et autres pendentifs en métal. Deux petites cornes noires marquées de minces filets dorés trahissaient sa nature de faune, et ses grandes pattes poilues étaient cachées sous une imposante robe noire et bordeaux, usée par le temps.

La jeune demi-elfe ne pipait mot, interdite. Comment la vieille femme avait-elle deviné sa présence ?

― Mes yeux me font peut-être défaut, mais cela ne m’empêche nullement de voir ce qu’il se passe dans mon commerce, expliqua la marchande de sa voix éraillée, comme si elle lisait le trouble qui habitait l’esprit d’Astal. Une essence aussi particulière que la vôtre ne se loupe pas, Votre Altesse.

― Comment faites-vous cela ? demanda la curieuse.

La faune afficha un petit sourire, mais ne répondit pas pour autant à la question. Effrayée et consciente de ne pas se trouver dans un endroit très approprié, Astal se retourna vivement vers la sortie. Au moment où sa main effleura la porte de la boutique, l’étrange femme murmura quelques mots.

― C’est un voyage bien périlleux que vous avez entamé avec vos compagnons.

La jeune fille se figea, parcourue d’un frisson glacé et d’une soudaine envie de se terrer six pieds sous terre. La vieille marchande spéculait, elle ne pouvait pas connaître la vraie nature de leur expédition. Personne n’était au courant, hormis bien sûr sa famille et quelques fidèles du Roi. Il était donc impossible qu’une villageoise d’Ulenas, aussi pythonisse fût-elle, eut percé les secrets de leur aventure.

― Peu de Demi sont revenus du Sahir après avoir quémandé la purification du Zaeim, et ce n’est pas pour rien que l’on parle de cet exploit avec autant de crainte, ajouta la vieille dame.

Astal referma la porte en soupirant, et se retourna face à son interlocutrice. Un instant, elle voulut lui demander comment elle pouvait bien être au courant de son projet, mais elle se doutait bien que sa question resterait sans réponse.

― Que savez-vous du Demi purifié ? murmura-t-elle finalement en se rapprochant de son vis-à-vis.

L’étrange faune eut un sourire énigmatique et d’un geste de la main, elle invita la princesse à la suivre dans l’arrière-boutique. Peu rassurée et mal à l’aise face à la marchande, la demi-elfe resta immobile. Une chaude lumière se dégageait de la vieille porte de la réserve, différente de celle que les bougies diffusaient dans la boutique, mais cela ne décida pas Astal. Elle se trouvait face à une faune des temps anciens, l’une des rares sibylles encore vivantes sur cette terre, et la suivre candidement dans son gourbi n’aurait pas été très prudent.

Voyant que la jeune fille ne bougerait pas d’un iota, la vieille femme entra seule dans l’arrière-magasin.

― Le peuple des djinns n’est pas aussi uni que ce que leur dirigeant veut bien faire croire au reste du Royaume, marmonna-t-elle en farfouillant les étagères pour trouver ce qu’elle cherchait. Ah, je l’ai !

Elle ressortit de la pièce et s’approcha lentement d’Astal, un air grave collé sur son curieux visage.

― Ceci, dit-elle en révélant ce qu’elle tenait dans sa main droite, est un talisman des premiers Âges, fabriqué dans les montagnes interdites des Terres Brûlées et enchanté par l’un des plus grands Zaeim d’Elgerim.

Le talisman en question se composait d’une chaîne d’argent et d’un pendentif forgé. Une petite pierre de diamant brillait en son centre, et si l’on y regardait de plus près, on pouvait apercevoir de minces filets iridescents, dévoilant l’énergie magique qu’il contenait.

― Ce talisman protège son porteur contre toute tentative de possession, qu’elle soit mentale ou physique, lui expliqua la sorcière en lui montrant le collier.

Astal, fascinée par la beauté du bijou, voulut toucher le métal du pendentif, mais la vieille faune retira le talisman de sa vue.

― Pourquoi me présentez-vous cet artéfact ? demanda alors la demi-elfe en se redressant.

― Je vous le cède pour quarante écus, annonça-t-elle sérieusement.

― Je ne vous ai pas demandé de me vendre quoi que ce soit, vous pouvez remballer votre babiole.

― Se rendre au pays des magiciens sans aucune protection serait une pure folie, surtout venant de la part de l’une des princesses de la famille royale elfique.

La jeune fille ne pouvait pas ignorer le fait que la vieille dame connaissait le motif de son voyage. Et le pendentif était absolument magnifique…

― Je vous le prends pour vingt écus, négocia-t-elle.

― Trente-cinq, contra la marchande.

― Trente, et c’est mon dernier mot. A prendre ou à laisser.

La vieille faune acquiesça avec un sourire et tendit sa main vide pour récupérer les pièces de la demi-elfe.

― Laissez-moi le mettre à votre cou, proposa-t-elle lorsque l’échange fut conclu.

Mal à l’aise, Astal n’osa pas lui refuser cela, et se retourna pour que la pythie accroche le talisman à son cou. Quand la chaîne toucha la peau laiteuse de la jeune fille, des milliers de petits frissons envahirent son corps avant qu’une chaleur diffuse ne s’installe au creux de sa poitrine.

― J’espère de tout cœur que vous n’aurez pas à recourir à la protection de ce talisman, chuchota la femme à son oreille. Mais j’en doute fortement, les signes ne mentent jamais.

Un nouveau frisson parcourut son dos. Celui-ci n’était pourtant pas dû à l’enchantement du collier, mais aux paroles peu rassurantes de la faune.

― Bonne chance dans votre quête, Votre Altesse.

Astal ferma les yeux, réalisant à peine ce qu’il venait de se produire. Lorsqu’elle les rouvrit, l’échoppe avait disparu, et la jeune fille se trouvait devant les chevaux qu’ils avaient laissés à l’auberge.

― Astal ? l’appela quelqu’un derrière-elle. Bon sang, mais on te cherche depuis plus d’une heure !

Elle se retourna et découvrit Terendul et Méliel, côte à côte comme s’il ne s’était jamais rien passé. es des marchands et les étals des vendeurs du marché. Préférant éviter une nouvelle scène comme celle de l’auberge, la jeune fille avait soigneusement caché ses cheveux sous une capuche qui couvrait également les pupilles océans trahissant ses origines. Elle déambulait entre les éventaires sans prêter attention aux marchandises qui s’y vendaient, et scrutait chaque villageois dans l’espoir de reconnaitre Terendul. Mais force était de constater que le ténébreux garçon ne se trouvait pas ici. Agacée, elle s’arrêta un instant et observa finalement les bancs du marché. Des nains, pas plus hauts que trois pommes, exposaient fièrement le fruit de leur labeur. Cela allait des petites lames aiguisées aux lourdes épées décorées, en passant par les armures rutilantes et aux boucliers étincelants. Mais bien que la guerre et les armées représentaient le plus gros de leur gain, les nains étaient également connus pour la délicatesse de leurs bijoux d’apparats. Une vieille forgeronne exhibait ses créations, tout en surveillant les mains de ses clients, craignant de voir un elfe un peu trop agile s’emparer de l’un de ses bijoux. Un peu plus loin, des faunes marchandaient leurs tissus et proposaient à certaines belles dames de magnifiques robes brodées. D’autres faunes vendaient, quant à eux, des herbes médicinales et autres remèdes de leur création. Il y avait également quelques étals elfiques, mais cela n’intéressait pas la jeune fille plus que cela. Elle avait vu assez d’elfe aujourd’hui et ne voulait pas s’embarquer dans une nouvelle bagarre inutile.

Poliment, elle s’adressa à l’un des marchands nains et lui demanda s’il n’avait pas aperçu son cousin, mais la réponse fut négative. Patiente, elle s’adressa à tous les marchands étrangers, qui lui répondirent tous la même chose : Terendul n’était pas passé par là.

La situation l’énervait plus que ce qu’elle aurait imaginé. Ils avaient déjà pris du retard dans le voyage en s’arrêtant à l’auberge, et perdre du temps à chercher Terendul faisait bien partie des dernières choses qu’elle aurait voulu faire. Un instant, elle envisagea la possibilité de revenir près de sa monture et d’attendre qu’il revînt de lui-même, mais connaissant le garçon, elle était certaine qu’il lui faudrait une journée entière pour réapparaitre. Et si ce n’était pas elle qui partait à sa recherche, personne ne le ferait. Fainéant, Méliel devait probablement attendre au coin d’un arbre que ses compagnons revinssent. L’idée de venir aider Astal à chercher Terendul ne pouvait pas lui avoir traversé l’esprit.

Alors qu’elle ruminait son exaspération, Astal crut apercevoir les longs cheveux d’ébène de son cousin et se précipita vers lui, s’excusant sans réellement le penser auprès des habitants qu’elle poussait pour passer. Lorsqu’elle arriva auprès de ce qui lui avait paru être Terendul, l’homme se retourna vers elle avec un regard interrogateur. Ce n’était pas lui.

La demi-elfe se remémora les événements de l’auberge. Peut-être cela allait-il l’aider à retrouver le jeune homme ?

Quand le gros balourd de sylvestre avait évoqué le nom de Craban, Teren’ semblait profondément affecté, et s’était aussitôt enfui. Astal n’avait jamais entendu ce nom avant ce jour, pourtant il avait suffi à lui seul pour ébranler la confiance de son cousin. Qu’est-ce que le garçon lui cachait ?

Tandis qu’elle essayait de sortir de la rue marchande, elle continuait à chercher une raison quant au bouleversement qui avait secoué Terendul. Mais ne comprenant pas pourquoi l’elfe l’avait renommé le Corbeau, elle ne trouvait rien de concluant. Certes, Terendul ne s’habillait que de noir, et ses yeux d’ébènes ne correspondaient pas aux critères de pureté de son espèce, mais il était bon et généreux. Elle refusait de croire qu’une simple histoire de couleur d’iris pouvait avoir autant d’importance.

Lorsque le brouha du marché fut derrière elle, Astal releva la tête et observa l’échoppe devant laquelle elle se trouvait. C’était une bâtisse à colombage semblable à toutes celles du village, vieillie par le temps qui en avait noirci le hourdage et les fenêtres. Aucune enseigne suspendue ne renseignait les passants et aucune lumière à l’intérieur de la boutique ne laissait présager qu’elle était encore ouverte. Astal s’apprêtait à continuer sa route lorsqu’un courant d’air fit retomber sa capuche dans son dos, libérant ses longs cheveux ondulés. Aussitôt, la porte de l’échoppe s’ouvrit avec un grincement sinistre, et la jeune fille crut apercevoir quelques bougies allumées derrière le verre sali des fenêtres. Curieuse, la jeune fille s’avança timidement jusqu’aux carreaux, espérant réussir à entrevoir l’intérieur du magasin. Mais comme elle s’en doutait un peu, les vitres étaient trop sales pour distinguer quoi que ce soit.

L’estomac noué par l’appréhension, la demi-elfe se décida finalement à entrer dans l’échoppe, avec la furieuse impression de commettre une bêtise.

De grosses étagères en bois de sucupira supportaient le poids de dizaines de bocaux divers et variés, ainsi que de gros livres poussiéreux et des fioles aux liquides d’une couleur trop vive pour être totalement naturelle.

Astal regarda de plus près les bocaux en verres qui trônaient à hauteur de ses yeux, et retint un haut-le-cœur lorsqu’elle réalisa qu’elle lorgnait des bouts de corps de créatures inconnues depuis de longues minutes. Des yeux vitreux flottants dans un liquide grisâtre, des doigts asséchés par le temps, des orteils de toute taille, et même des oreilles d’elfes et de fées ! Elle s’éloigna de l’étagère en reculant d’un pas et porta son regard sur une marchandise on ne peut plus normale, dont la poussière recouvrait sa tranche. Astal attrapa le vieux livre et souffla un bon coup pour en dégager la saleté. Alors qu’elle s’apprêtait à ouvrir le manuscrit pour lire la première page, une voix rauque et éraillée la mit en garde.

― Je n’ouvrirais pas ce grimoire si j’étais vous. Ce n’est pas un ouvrage de magie élémentaire, indiqua une vieille femme aveugle. Seuls les mages les plus puissants ont réussi à dompter son pouvoir, et bien que votre courage égale votre réputation, une jeune princesse elfique ne devrait pas se frotter aux maléfices des djinns.

Surprise par la vieille faune qui venait d’apparaître, Astal failli laisser échapper le livre de ses mains. Elle fixa son vis-à-vis de longues secondes, intriguée par le personnage, et finit par reposer l’objet à côté des autres grimoires.

L’aveugle, qui semblait être la propriétaire de ces lieux, restait immobile, le visage tourné vers la Demi. Ses longues dreadlocks grises tombaient dans son dos jusqu’à ses hanches, ornées de perles dorées et bordeaux. Un fard de la même teinte sanglante intensifiait la blancheur de son regard, et elle portait un rouge à lèvre grenat sur sa lèvre inférieure. De lourdes créoles en or pendaient à ses oreilles, et son cou d’apparence frêle était couvert de chaînes et autres pendentifs en métal. Deux petites cornes noires marquées de minces filets dorés trahissaient sa nature de faune, et ses grandes pattes poilues étaient cachées sous une imposante robe noire et bordeaux, usée par le temps.

La jeune demi-elfe ne pipait mot, interdite. Comment la vieille femme avait-elle deviné sa présence ?

― Mes yeux me font peut-être défaut, mais cela ne m’empêche nullement de voir ce qu’il se passe dans mon commerce, expliqua la marchande de sa voix éraillée, comme si elle lisait le trouble qui habitait l’esprit d’Astal. Une essence aussi particulière que la vôtre ne se loupe pas, votre Altesse.

― Comment faites-vous cela ? demanda la curieuse.

La faune afficha un petit sourire mais ne répondit pas pour autant à la question. Effrayée et consciente de ne se trouver dans un endroit très approprié, Astal se retourna vivement vers la sortie. Au moment où sa main effleura la porte de la boutique, l’étrange femme murmura quelques mots.

― C’est un voyage bien périlleux que vous avez entamé avec vos compagnons.

La jeune fille se figea, parcourue d’un frisson glacé et d’une soudaine envie de se terrer six pieds sous terre. La vieille marchande spéculait, elle ne pouvait pas connaître la vraie nature de leur expédition. Personne n’était au courant, hormis bien sûr sa famille et quelques fidèles du Roi. Il était donc impossible qu’une villageoise d’Ulenas, aussi pythonisse fût-elle, eut percé les secrets de leur aventure.

― Peu de Demi sont revenus du Sahir après avoir quémander la purification de Zaeim, et ce n’est pas pour rien que l’on parle de cet exploit avec autant de crainte, ajouta la vieille dame.

Astal referma la porte en soupirant, et se retourna face à son interlocutrice. Un instant, elle voulut lui demander comment elle pouvait bien être au courant de son projet, mais elle se doutait bien que sa question resterait en suspens.

― Que savez-vous du Demi purifié ? murmura-t-elle finalement en se rapprochant de son vis-à-vis.

L’étrange faune eut un sourire énigmatique et d’un geste de la main, elle invita la princesse à la suivre dans l’arrière-boutique. Peu rassurée et mal à l’aise face à la marchande, la demi-elfe resta immobile. Une chaude lumière se dégageait de la vieille porte de la réserve, différente de celle que les bougies diffusaient dans la boutique, mais cela ne décida pas Astal. Elle se trouvait face à une faune des temps anciens, l’une des rares sibylles encore vivantes sur cette terre, et la suivre candidement dans son gourbi n’aurait pas été très prudent.

Voyant que la jeune fille ne bougerait pas d’un iota, la vieille femme entra seule dans l’arrière-magasin.

― Le peuple des djinns n’est pas aussi uni que ce que leur dirigeant veut bien faire croire au reste du Royaume, marmonna-t-elle en farfouillant les étagères pour trouver ce qu’elle cherchait. Ah, je l’ai trouvé !

Elle ressortit de la pièce et s’approcha lentement d’Astal, un air grave collé sur son curieux visage.

― Ceci, dit-elle en révélant ce qu’elle tenait dans sa main droite, est un talisman des premiers Âges, fabriqué dans les montagnes interdites des Terres Brûlées et enchanté par l’un des plus grands Zaeim d’Elgerim.

Le talisman en question se composait d’une chaîne d’argent et d’un pendentif forgé. Une petite pierre de diamant brillait en son centre, et si l’on y regardait de plus près, on pouvait apercevoir l’énergie magique qu’il contenait.

― Ce talisman protège son porteur contre toute tentative de possession, qu’elle soit mentale ou physique, lui expliqua la sibylle en lui montrant le collier.

Astal, fascinée par la beauté du bijou, voulut toucher le métal du pendentif, mais la vieille faune retira le talisman de sa vue.

― Pourquoi me présentez-vous cet artéfact ? demanda alors la demi-elfe en se redressant.

― Je vous le cède pour quarante écus, annonça-t-elle sérieusement.

― Je ne vous ai pas demandé de me vendre quoi que ce soit, vous pouvez remballer votre babiole.

― Se rendre au pays des magiciens sans aucune protection serait une pure folie, surtout venant de la part de l’une des princesses de la famille royale elfique.

La jeune fille ne pouvait pas ignorer le fait que la vieille dame connaissait le motif de son voyage. Et le pendentif était absolument magnifique…

― Je vous le prends pour vingt écus, négocia-t-elle.

― Trente-cinq, contra la marchande.

― Trente, et c’est mon dernier mot. A prendre où à laisser.

La vieille faune acquiesça avec un sourire et tendit sa main vide pour récupérer les pièces de la demi-elfe.

― Laissez-moi le mettre à votre cou, proposa-t-elle lorsque l’échange fut conclu.

Mal à l’aise, Astal n’osa pas lui refuser cela, et se retourna pour que la pythie accroche le talisman à son cou. Quand la chaîne toucha la peau laiteuse de la jeune fille, des milliers de petits frissons envahirent son corps avant qu’une chaleur diffuse ne s’installât au creux de sa poitrine.

― J’espère de tout cœur que vous n’aurez pas à recourir à la protection de ce talisman, chuchota la femme à son oreille. Mais j’en doute fortement, les signes ne mentent jamais.

Un nouveau frisson parcourut son dos. Celui-ci n’était pourtant pas dû à l’enchantement du collier, mais aux paroles peu rassurantes de la faune.

― Bonne chance dans votre quête, votre Altesse.

Astal ferma les yeux, réalisant à peine ce qu’il venait de se produire. Lorsqu’elle les rouvrit, l’échoppe avait disparue, et la jeune fille se trouvait devant les chevaux qu’ils avaient laissés à l’auberge.

― Astal ? l’appela quelqu’un derrière-elle. Bon sang, mais on te cherche depuis plus d’une heure !

Elle se retourna et découvrit Terendul et Méliel, côte à côte comme s’il ne s’était jamais rien passé.

― Il va nous falloir quatre bonnes journées de route pour rejoindre Navalune, annonça son cousin en agitant une carte sous leur nez. Nous nous sommes sacrément écartés du chemin…

Ignorant la remarque qui le ciblait, Méliel monta innocemment sur son destrier.

― Nous ferions bien de nous remettre en route dans ce cas, marmonna-t-il.

Perturbée par sa rencontre avec la vieille sibylle, Astal acquiesça distraitement et s’installa sur sa monture, suivant machinalement les moindres faits et gestes de Terendul.

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