Louis

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Immobilisé sur son lit, Louis se réfugie dans ses souvenirs.

Ses pensées remontent le temps comme une fiction qui s'écrit à l'envers. Les images passent à toute vitesse sous ses yeux mi-clos. Mille éclats s'échouent dans sa mémoire démontée. Projectionniste distrait, il laisse la pellicule s'interrompre. Arrêt sur image sur l'écran de sa vie. Louis se retrouve vingt-cinq ans plus tôt, le jour de sa rencontre avec Pierre.

Pierre, c'est la pierre qui soutient l'édifice de sa vie. Il se souvient des circonstances, une conjonction de hasards, de hasards heureux extirpés au quotidien. À cette époque, Louis voyageait fréquemment dans le cadre de sa profession entre Paris et les capitales européennes, une vie sans attache, conforme à ses ambitions d'homme libre.

Le jeune homme n'aimait guère ces temps de transit, d'immobilité forcée entre deux lieux. Seule la destination importait à ses yeux. Concentré sur le but de son voyage, il ne se laissait jamais distraire. Sa pensée calculait machinalement les aléas prévisibles qui auraient pu contrarier la réussite de ses futures négociations. L'incertitude excitait sa force créatrice comme le piment sur l'appétit.

Un même jour, une même destination, un même vol, des numéros de siège côte à côte attribués par la seule volonté d'un logiciel, autant d'éléments concrets avaient surgi de l'invisible. Il entend les protestations des membres d'une famille éparpillés aux quatre coins de l'avion, l'assurance du chef de cabine déclarant qu'il n'était pas possible d'échanger les places attribuées. « Le choix des sièges est un service payant » avait-il rétorqué à haute voix pour couper court à toute nouvelle réclamation.

Les sensations ressenties lorsque cet inconnu avait pris place sur le siège mitoyen : ses formes modérément sculptées, son regard amusé, le son enveloppant de sa voix, le naturel de leur conversation, le désir né de leurs effleurements au-dessus d'une mer de nuages, le firent à nouveau frissonner.

Un accès douloureux paroxystique le rappela à son corps saisi par un coup de lance. Les pics, chaque fois plus rapprochés, menaçaient son corps comme les grondements d'un volcan prêt à incendier la terre.

Les résultats encourageants d'une première ligne de chimiothérapie avaient laissé place à la désespérance des premières métastases. Même s'il se refusait à toute supposition, la recrudescence des douleurs l'effrayait. Louis finit par actionner le bouton poussoir pour s'auto-administrer un bolus antalgique.

L'image de Pierre revint entre deux déferlantes. Pourquoi s'était-il éloigné ? Comment lutter contre le mal et l'absence ?

Harcelé de questions, Louis luttait contre l'engourdissement qui s'emparait de sa vigilance. Vingt-cinq années de vie commune pouvaient-elles s'évaporer comme des écharpes de brume d'une forêt ?

Ses chairs prises en étau s'imbibaient d'une angoisse plus oppressante à l'approche de la nuit. L'angoisse l'étouffait. Ne pas s'endormir... Ne pas s'endormir de peur de mourir.

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