Chapitre 5.1 - La ronde

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C’était une nuit de pleine lune.

Une brume légère s’était levée et flottait docilement à quelques dizaines de centimètres du sol, se faufilant entre les hautes herbes et les pierres levées. La lande était silencieuse et seul le son de sa propre respiration parvenait au oreilles d’Yvonig. Caché derrière un menhir, il observait les environs, baignés dans la clarté lunaire. Il attendait. Au bout de longues minutes, il se rendit compte qu’il tremblait. Il n’aurait pu dire si cela était dû au froid ou à l’appréhension. Car, oui, il avait peur. Peur de ceux qui allaient peut-être faire leur apparition. Mais également peur qu’ils ne viennent pas. Ils étaient son seul espoir mais ils n’étaient qu’un mythe, une vieille légende que l’on se raconte le soir à la veillée.

Il y avait réfléchi pendant de longues semaines. Si ce qu’il avait vu était réel, alors son monde n’était pas tel qu’il l’avait toujours cru. Les contes disaient peut-être vrai…

Il s’était installé avant la tombée de la nuit, pour être certain d’être là au bon moment, et se remémorait chaque mot des histoires qu’il connaissait. La lande, le champ de pierres levées, la lune, les paroles de la chanson… L’attente lui parue interminable. Il finit par s’adosser contre la pierre et contempla le ciel nocturne où des bancs de nuages défilaient, masquant par intermittence les étoiles. Il songea encore une fois à l’archère, revit ses yeux et ses cheveux cuivrés, entendit à nouveau le son de sa voix…

Un grondement sourd, comme venu des profondeurs de la Terre, fit sursauter Yvoni Il s’était finalement assoupi en s’affaissant contre le menhir. Il se redressa vivement en entendant des rires semblant se rapprocher. Des dizaines de rires. Il se mit à genoux et regarda par-delà la pierre dressée. Il vit alors une étrange procession, défiler entre les autres roches. Elle était constituée d’êtres appartenant aux légendes les plus anciennes. Pas plus haut qu’un tout jeune enfant, ils se tenaient sur deux pattes caprines et arboraient sur leur front une paire de cornes aux formes diverses et variées. Il s’agissait de korrigans, et pas n’importe lesquels : ceux des landes, les Korrils. De nombreuses histoires y faisaient référence, rarement en bien. Ils étaient réputés pour leur espièglerie, leur cruauté et leur force peu commune.

Un long frisson parcouru le jeune garçon.

Ainsi donc ils existaient bel et bien.

Il observa le groupe, constitué d’une trentaine de créatures, se chamailler, se bousculer et ricaner bêtement. Au bout d’un petit moment, l’un d’eux sauta sur le sommet d’un menhir. Il s’y installa et sortit d’une grande besace de peau un antique instrument, ressemblant vaguement à une harpe mais ne possédant que sept cordes : une lyre. Ses camarades cessèrent immédiatement leurs joutes et formèrent d’instinct une grande ronde. Des notes cristallines s’égrenèrent dans la nuit et le chant du korril s’éleva alors. Le cercle s’ébroua.

« Dilun, dimeurzh, dimerc’her

Ha yao ‘ta, ha yao ‘ta, ha yao ‘ta, ha yao ‘ta !

Dilun, dimeurzh, dimerc’her

Ha yao ‘ta, ha yao ‘ta, ha yao ‘ta, ha yao ‘ta !»

L’atmosphère, jusqu’alors pesante, devint légère et les rires joyeux. La voix du korrigan diffusait sur la lande une douce euphorie et Yvonig se surprit à sourire en voyant ces petits êtres danser gaiement l’an-dro.

Cela dura plusieurs minutes, les paroles de la chanson revenant sans cesse « Lundi, mardi, mercredi… Lundi, mardi, mercredi,… ». Le jeune humain savait ce qu’il devait faire, mais il lui fallait braver sa crainte. Il finit pourtant par se redresser lentement et se glissa hors de sa cachette. Pris par leur danse, les lutins ne le remarquèrent pas tout de suite et c’est le musicien qui vit en premier le jeune garçon, immobile et pataud, entre les menhirs.

« Un humain ! »

La musique avait soudainement cessé et le korril à la lyre pointait du doigt en direction d’Yvonig. Une trentaine de paires d’yeux fixait maintenant le jeune garçon avec, au fond du regard, une lueur mi-mauvaise mi-amusée.

« Voilà bien longtemps que tes semblables ne traversent plus les landes les soirs de pleines lunes. »

Du haut de sa pierre dressée, le korrigan sonneur toisait le garçon.

« Avec vos charettes-de-feu crachant bruits et fumée sur des chemins bien tracés, vous ne prenez plus les sentiers tortueux. Plus personne ne se perd. Plus personne ne rejoint notre ronde. Avec qui pouvons-nous nous amuser ? »

Une sueur froide coula dans le dos d’Yvonig en voyant le sourire entendu sur la face du nain. Il n’eut aucun mal à interpréter le gloussement d’une trentaine de gorges qui lui répondirent.

« Mais te voilà. Les contes sont oubliés, les légendes ignorées. Tu vas donc subir notre loi et payer le prix de ton ignorance. Prépare-toi à danser jeune imprudent ! »

Les danseurs se précipitèrent alors sur Yvonig pour le prendre par la main et l’entrainer dans leur ronde, jubilant du tour qu’ils allaient lui jouer. Le musicien allait reprendre sa mélodie quand un cri l’arrêta net.

« Stop ! Ça suffit ! »

Le jeune humain dévisageait le nain, l’air furibond. Il tentait en vain de se défaire de la poigne de ses cavaliers.

« Rien n’est oublié ! Et votre loi, je la connais.

_ Tiens donc ? Alors tu sais que si un humain vient à nous surprendre dans nos joyeuses farandoles, il devra danser jusqu’à l’aube ou périr de fatigue.

_ A moins que je ne connaisse la fin de votre chanson. »

L’expression des korrigans changea du tout au tout. La joie sadique que l’on pouvait lire sur leur visage s’effaça pour un sourire d’intérêt et d’espoir. Les danseurs se mirent à murmurer entre eux, l’excitation brillant dans leurs yeux.

« Je sais également que vous devrez alors m’octroyer un souhait.

_ Nous y voilà… Cela est vrai. Si tu termines notre chanson, tu pourras repartir en vie et couvert de richesses.

_ Des richesses, je n’ai que faire.

_ Alors que souhaites-tu ? Si c’est en notre pouvoir, tu l’auras.

_ Je souhaite obtenir le moyen de rejoindre l’Autre-Monde. »

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