Chapitre 3.2 - Le monde souterrain

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 Comme à chaque fois qu'il revenait chez lui, la descente lui parut interminable. Les premiers couloirs, creusés à même la roche et la terre, n'étaient éclairés que par quelques bouquets de champignons phosphorescents. L'air était lourd d'humidité et d'odeurs de renfermé et de terre. L'espace était exigu, même pour un korrigan et le sol en pente glissait en maints endroits.

 Il finit par déboucher, au bout de quelques heures, dans une caverne tellement gigantesque qu'elle aurait pu contenir une ville humaine. Il était sur le bord d'une paroi, au pied d'un escalier suspendu dans le vide. Une luminosité surnaturelle baignait l'immense salle mais le fond de la grotte disparaissait dans une brume permanente et malsaine. L'escalier qui s'étendait devant lui, montait en pente douce, sur plusieurs kilomètres, vers une colonne rocheuse tombant du plafond, et disparaissant dans la brume du fond. La colonne en question semblait, tout comme une fourmilière, percée de milliers de petits trous éclairés de l'intérieur...

 Louarn s'engagea sur les marches de pierres, non sans jeter un regard inquiet à la brume en contre-bas. Celle-ci semblait se mouvoir par moment, comme si elle cachait quelques créatures immenses en son sein.

 Il était épuisé et l'ascension fut encore longue, aussi fut-il ravi d'atteindre enfin le haut de l'escalier qui s'arrêtait au milieu de la colonne, au pied d'une grande porte de chêne surmontée de deux gargouilles de pierre aux allures de dragons menaçants. Les trous éclairés que l'on voyait depuis l'entrée de la grotte, étaient autant de petites fenêtres aux formes diverses et variées qui perçaient cette ville creusée au cœur même du pilier.

 Le korrigan resta quelques secondes à observer l'édifice avant d'empoigner le heurtoir de bronze pendant de la gueule d'un loup et de frapper trois grands coups sourds. Une petite fenêtre coulissante, protégée par une grille, s’ouvrit et deux yeux globuleux apparurent pour observer l'arrivant. Une voix grinçante résonna :

  « Qu'est-ce que c'est ?

  - C'est moi, Louarn, ouvre... »

 La fenêtre se referma brusquement et divers bruits métalliques se succédèrent, comme autant de serrures à déverrouiller, avant que la porte ne grince sur ses gonds et ne s'ouvre lentement, laissant ainsi filtrer la lumière provenant de l'intérieur du pilier. Louarn se glissa dans l'ouverture et tomba nez à nez avec le gardien de la porte, un korrigan bien plus grand que lui à la mine renfrognée. Quelques touffes de cheveux gras et filasses tombaient du haut de son crâne jusque sur ses épaules larges et nues. Sa poitrine, elle aussi nue, laissait voir la carrure impressionnante du bonhomme et son pantalon en lambeaux avait du mal à cacher des pattes identiques à celles des crapauds.

  « T'es attendu microbe. L'Ancien veut t'voir. »

 Louarn hésita à lui renvoyer une pique bien sentie, mais il savait qu'elle s'ajouterait à la liste des raisons que le gardien avait de ne pas l'aimer. Aussi se retint-il.

  « Dans ce cas, laisse-moi passer Tosseg. »

 Le colosse s'écarta, révélant alors la rue se trouvant derrière lui. Elle était creusée directement dans la roche, pavée et bordée de bâtisses de pierres, de terre et de bois et le plafond servait de toit à certaines d'entre-elles. Des centaines de torches et de lanternes pendaient aux murs en compagnie d'enseignes et de gargouilles aux formes multiples. De nombreux korrigans, d'ethnies diverses, allaient et venaient, transportant des liasses de parchemins, des piles de crêpes, des fûts de bière ou des objets plus étranges les uns que les autres. La vie grouillait au cœur même du pilier de pierre.

 Louarn s'engagea sans hésiter dans cette rue débordante d'activité et zigzagua entre ses congénères, évitant de se faire bousculer par les plus grands de son espèce et enjambant les plus petits. Il suivit l'axe principal, sans dévier dans la multitude de petites ruelles attenantes, et finit par atteindre un grand escalier sculpté dans la roche et montant en colimaçon dans la paroi vers les salles supérieures. De nombreux individus montaient et descendaient l'escalier et deux korrigans, ressemblant globalement à Louarn mais équipés et armés comme des soldats, contrôlaient l'accès aux étages. Ce dernier s'engagea directement dans l'escalier en adressant un signe de la main et un « Salut les gars ! » aux gardes qui lui répondirent par un hochement de tête.

 Les marches de l'escalier étaient couvertes d'un tapis rouge sombre et les murs étaient entièrement peints de fresques retraçant l'histoire du peuple korrigan. Louarn ne prit cependant pas le temps de les contempler et, malgré la fatigue, escalada les marches quatre à quatre. Il laissa passer plusieurs étages et continua sa longue ascension pour finalement atteindre le dernier palier, celui où se prenaient les grandes décisions, celui où se trouvait la demeure de l'Ancien.

 Ici, la lumière semblait provenir du plafond lui-même et il régnait une ambiance plus sereine. Les bâtisses, blanchies à la chaux, s'étalaient le long d'une rue serpentant en pente douce vers un bâtiment bien plus majestueux situé sur une hauteur, la salle du Conseil. La plupart des korrigans circulant dans les rues étaient des korrils, le peuple de Louarn, mais ces derniers étaient vêtus de tenues chatoyantes et guindées. Cet étage rassemblait la noblesse et la bourgeoisie korriganes et regorgeait d'arrivistes et de politiciens de tous poils. Louarn ne put s'empêcher de grommeler en voyant cette foule hautaine mais fut rapidement coupé par un toussotement gêné.

 Un jeune korrigan au faciès de rat, arrivant à peine au-dessus de la ceinture de Louarn réajusta ses lunettes lorsqu'il réussit à capter son attention. Il tenait dans les mains un morceau de parchemin qu'il déroula lentement avant de le lire d'un ton monocorde.

  « Monsieur Louarn,

  Suite à de récents évènements concernant le strobineller, vous êtes attendu à la demeure de l'Ancien pour faire votre rapport. »

 Il enroula à nouveau le parchemin avec soin et retira ses lunettes.

  « Veuillez me suivre s'il-vous-plait. »

 Sans attendre de réponse, il tourna les talons et s'engagea dans la rue principale. Louarn secoua la tête avec un sourire amusé et le suivit à son tour.

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