Chapitre 2.1 - Au commencement

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 D'aussi loin qu'il se souvienne, Yvonig avait toujours aimé la forêt. Enfant déjà il courait les sentiers et les pistes qui sillonnaient les bois à la recherche des traces de passage d'un chevreuil, écoutant le chant des oiseaux ou suivant la course d'un lapin. Il se plaisait à s'imaginer chevalier ou héros fantastique, armé d'un arc et d'une épée de bois. Il vivait alors mille aventures en quête d'un trésor à retrouver, d'un dragon à pourfendre ou d'une belle à sauver. Les chemins n'avaient plus de secrets pour lui et la forêt était son domaine, son royaume imaginaire.

 Il faut dire qu'habiter près d'une des forêts les plus mystérieuses du pays n'avait fait qu'abonder dans le sens de ses histoires. Ses parents n'avaient pu contenir le flot d'imagination qui débordait de leur fils et y avaient même contribué en le nourrissant de contes et de légendes dès sa plus tendre enfance. Sa chambre était devenue un amoncellement de livres de toutes sortes, de dessins, de jouets divers et de trésors rapportés de ses escapades. Il y poursuivait ses aventures les jours de pluie et les soirs d'école.

 En grandissant cette soif d'imaginaire ne le quitta pas, mais il masqua un peu son côté rêveur pour échapper aux quolibets de ses camarades. Cela ne l'empêcha pas d'avoir une adolescence plutôt solitaire puisqu'il ne partageait pas les mêmes intérêts que les garçons de son âge. Il profitait des week-ends pour filer dans les bois, son épée factice dans le dos et une paire de jumelles à la main, pendant que ses congénères allaient jouer au foot ou danser en boîte de nuit.

 Lorsqu'il dut songer à faire des choix d'orientation, son coeur vacilla entre sa passion pour la nature et celle pour les légendes. Il aurait voulu écrire, coucher sur le papier les milliers d'histoires qu'il gardait précieusement dans sa tête mais dans le même temps il voulait s'investir pour la protection de ce qui l'entourait.

 Il n'eut pas l'occasion de trancher car une rencontre allait bouleverser sa vie...

*****

 Un matin d'automne, Yvonig fut réveillé de bonne heure par les rayons du soleil perçant à travers les vitres de la fenêtre de sa chambre. La journée s'annonçait magnifique et il ne lui fallut pas longtemps pour être debout, il était hors de question de gâcher un si beau jour de congé.

 Il s'habilla en toute hâte, prit un petit déjeuner succinct et prépara son sac à dos usé, vieux compagnon de ses randonnées. Y fourrant ses habituelles jumelles, couteau, guides naturalistes et autres objets plus insolites, il le passa sur ses épaules avant de franchir le seuil de la maison, laissant un mot à ses parents encore sous la couette.

 L'air était frais et son souffle créait un petit nuage de vapeur devant sa bouche. Le ciel était d'un bleu impeccable et la lumière embrasait les arbres qui avaient revêtu leurs couleurs d'automne. Quittant le jardin familial, il s'engagea sur une sente qu'il connaissait parfaitement et fut rapidement sous le couvert des arbres majestueux de la forêt des légendes.

 Les bois bruissaient de toutes parts et les animaux profitaient de l'heure matinale pour vaquer à leurs affaires avant que les sous-bois ne se remplissent de promeneurs et autres chercheurs de champignons. Yvonig était le premier à franchir la frontière de ce petit univers et eut l'honneur d'apercevoir cette vie grouillante. Lapins, hérissons, geais, renards et autres sangliers filaient à l'approche du jeune garçon qui s'extasiait devant leurs courses précipitées.

 Il se laissa ainsi guider au gré des rencontres filant tantôt un merle tantôt un écureuil. Il finit par suivre la piste d'une petite hermine qui semblait jouer à cache-cache avec lui. A pas de loup il espérait pouvoir la surprendre derrière une souche mais elle réapparaissait quelques mètres plus loin sur un bloc de pierre, pour plonger à nouveau dans les fougères. Le jeu dura ainsi un petit moment, jusqu'à ce qu'elle finisse par disparaître totalement dans un terrier, au pied d'un grand chêne.

 L'arbre était splendide, majestueux il dominait ses congénères par sa circonférence et sa stature. Ses branches se perdaient dans la canopée de la forêt et ses immenses racines dépassaient de terre. L'écorce noueuse formait des spirales et des volutes qu'Yvonig ne put s'empêcher de venir contempler de plus près. Il en caressa la surface, explora les contours du bout des doigts et finit par venir y coller sa joue. C'est alors seulement qu'il se rendit compte qu'il ne connaissait pas cet ancêtre. Depuis sa prime jeunesse il explorait tous les recoins de ces bois et jamais il n'avait vu un tel arbre.

 Il s'écarta alors doucement de l'arbre et regarda autour de lui. Il tourna autour du tronc et scruta les alentours. Ses pas ne faisaient aucun bruit sur la mousse entourant les racines du chêne et il régnait une atmosphère de calme et de sérénité dans les bois. Chaque son était comme étouffé, le moindre chant d'oiseau, le plus petit bruissement de feuilles. Les rayons du soleil matinal filtraient à travers les feuilles dorées du maître des lieux et la lumière douce qui baignait alors la forêt lui donnait un aspect presque irréel. Les arbres semblaient plus grands et plus beaux, chaque bruit sonnait comme dans un rêve, à la fois plus doux et plus clair, Yvonig se laissa aller à la contemplation émue des lieux. Il dut bien se rendre à l'évidence: Il ne reconnaissait rien de ce qui l'entourait.

 Perdu, Il s'éloigna à regret de l'arbre et tendit l'oreille. Le bruit d'un ruisseau tintant dans le lointain attira son attention. Il connaissait parfaitement les différents cours d'eau de la forêt pour les avoir tous remontés maintes et maintes fois. Il pourrait s'orienter sans problème à partir de celui-ci.

 Il prit donc la direction du son cristallin, traversant un petit bois de pins. Plusieurs fois il eut l'impression d'être observé et se surprit même à se retourner... Pour ne rien voir. Alors qu'il s'était toujours senti chez lui dans cette forêt, il était pourtant étranger à cet endroit. Il avait même l'impression, malgré l'apparent calme, de ne pas y être le bienvenu. Un picotement désagréable le suivit sur son trajet, même lorsqu'il sortit des pins pour s'approcher de grandes pierres recouvertes de mousse entre lesquelles des arbres tordus se battaient pour se faire une place.

 C'est entre ces pierres que s'écoulait un petit ruisseau, glissant sur l'une d'elle à demi-immergée, contournant une autre. De nombreuses fougères et mousses parsemaient la rocaille alentour. Le garçon fit une halte et se rendit compte que son cœur battait la chamade. Il hésitait entre l'excitation due à la découverte de ce lieu enchanteur et l'angoisse de ne pas retrouver son chemin. Angoisse accentuée par le fait qu'il dût admettre, une nouvelle fois, ne pas reconnaître le ru s'écoulant à ses pieds.

 Il s'assit sur une pierre plate et sortit de quoi grignoter: quelques gâteaux secs et un peu d'eau. L'inquiétude commençait à sérieusement se faire une place dans l'esprit d'Yvonig, jouant des coudes avec l'incompréhension. Il n'arrivait pas à comprendre comment il avait pu se perdre dans un bois qu'il connaissait si bien. Il sortit une carte de la forêt et commença à retracer son chemin depuis son départ matinal. Il n'avait marché que quelques heures et ne pouvait pas être arrivé bien loin. Il arriva à suivre son parcours jusqu'au moment où il avait rencontré l'hermine... Ensuite tout était flou.

 Un son étrange vint le tirer de ses réflexions, celui d'une clochette ou de quelque chose de similaire. Il releva la tête et dirigea son regard de l'autre côté du cours d'eau, vers un rocher moussu surplombant la rivière. Cela ne dura qu'une fraction de seconde, mais il aperçut quelque chose à son sommet. Ce quelque chose était en train de l'observer mais avait filé au moment où le garçon avait tourné la tête. Il passa en revue les animaux forestiers qu'il connaissait, mais rien dans ses connaissances ne voulait coller à ce qu'il avait brièvement aperçu. Il avait l'impression d'avoir vu une forme vaguement humanoïde mais bien plus petite, de la taille d'un écureuil.

 Intrigué, il se releva avec précautions et remballa son encas. Il observa le ruisseau pour trouver un endroit où traverser sans risque. Même si le cours d'eau n'était pas large, les pierres tapissées de mousse semblaient glissantes. Il longea donc la berge sur quelques mètres avant de trouver le passage idéal: un arbre couché donc le tronc formait un pont entre les deux rives. Le garçon se hissa sur celui-ci et s'apprêtait à entamer sa traversée lorsqu'un claquement discret retentit. Une flèche vint alors se ficher dans le bois, juste devant le pied qu'Yvonig venait de poser.

  « Pas un pas de plus! »

 La voix impérieuse avait claqué dans l'air, résonnant entre les blocs de pierre, déchirant le silence serein de la forêt. Une voix féminine.

 Yvonig avait le coeur qui battait la chamade et il resta un moment, interdit, à observer le projectile qui ne s'était planté qu'à quelques centimètres de son pied. Une flèche de bois à la pointe d'acier, terminée par d'éclatantes plumes blanches. Il se tourna lentement vers celle qui l'avait immobilisé, levant les yeux vers une roche plus haute que les autres. Sur celle-ci se tenait une jeune fille, armée d'un arc où une flèche était à nouveau encochée. Le soleil baignait la roche de lumière et le garçon eut l'impression, un instant, que cette fille n'était pas tout à fait réelle. De longs cheveux couleur miel dégringolaient sur ses épaules, encadrant un visage fin où de splendides yeux bleus étaient fixés sur le garçon, imperturbables. Il baissa lentement les yeux, à regret, et remarqua que la demoiselle était vêtue d'habits d'un autre temps: une robe de toile claire surmontée de pièces de cuir brun ou vert, une cape sombre retenue par des broches dorées, de hautes bottes de cuir brun... Une apparition, un être féérique, à la fois belle et terrifiante. Il fallut à Yvonig de longues secondes pour reprendre ses esprits, son regard ne pouvant se détacher de celle qui, pourtant, le menaçait. Elle était l'image même qu'Yvonig s'était fait des dames elfiques rencontrées dans ses lectures.

 L'archère ne sembla pas remarquer le trouble du garçon et dardait sur lui son regard azuré et menaçant.

  « Je t'interdis de franchir ce pont. Tu n'as rien à faire ici! »

 Elle ne devait pas être plus âgée que lui mais Yvonig décelait chez elle une assurance et une détermination qui le firent frémir. Il tenta de bafouiller de vagues et inaudibles excuses avant de faire un pas en arrière.

  « Je... Je suis désolé... Je ne voulais pas...

  _ Tu ne voulais pas quoi? Traverser? Tu avais l'air bien parti pour... »

 La moquerie piqua le garçon au vif et il sentit ses joues rosir soudainement. Il sauta du tronc et retomba dans la mousse au pied de celui-ci. La jeune fille était toujours sur son perchoir et ne le quittait pas des yeux, ce qui n'aidait pas Yvonig à reprendre contenance.

  « Je ne pensais pas être rentré sur la propriété de quelqu'un... Je me suis simplement égaré et, ayant cru voir quelque chose de l'autre côté du ruisseau... J'étais juste curieux.

  _ Tu n'as rien vu. Mais... Tu dis t'être perdu... Tu ne sais donc pas où tu te trouves?

  _ Je crois en effet que c'est cela qui s'appelle « être perdu ». »

 Malgré la petite pique vengeresse du jeune homme, l'archère sembla subitement se détendre. Elle abaissa son arme et observa Yvonig des pieds à la tête. Elle finit même par retirer sa flèche et la remettre au carquois en secouant la tête. Elle passa son arc en bandoulière, s'approcha du bord de son perchoir et se laissa tomber au sol avec une grâce féline. Elle se redressa et prit la direction du bois de pin, passant devant le garçon sans même le regarder.

  « Suis-moi, je te ramène chez toi. »

 Yvonig emboîta le pas à la jeune fille sans un mot et la suivit entre les roches et les fougères. Elle se déplaçait sans faire le moindre bruit, d'un pas assuré mais élégant. Le garçon se sentait pataud et ridicule, il ne pouvait détacher son regard de sa guide. Il aurait voulu dire quelque chose, engager la conversation, mais rien ne venait.

 Il trébucha sur une pierre qu'il n'avait pas vue et se reprit aussitôt en grommelant.

  « Tu ferais mieux de regarder où tu mets les pieds. »

 Il sentit son visage s'empourprer au son de la voix de l'archère. Il baissa immédiatement les yeux et reprit sa marche. Il inspira néanmoins et réussit à prononcer quelques mots.

  « Yvonig... Je m'appelle Yvonig. »

 Il n'eut cependant pas de réponse.

 Ils traversèrent le bois de pins en silence et atteignirent le chêne majestueux où l'hermine avait conduit Yvonig quelques heures plus tôt. La jeune fille s'approcha de l'arbre et sembla lui murmurer quelque chose en caressant son écorce noueuse avec une douceur extrême. Le garçon n'osait s'approcher et regardait la scène avec émotion. Elle finit par se retourner vers lui, le visage plus doux que ce à quoi elle l'avait habitué depuis leur rencontre.

  « Voilà... Tu es presque chez toi, continue dans cette direction pendant une dizaine de mètres sans te retourner et tu retrouveras un chemin familier. »

 Elle pointait du doigt une sente à peine visible. Yvonig eut un pincement au cœur et aurait souhaité faire plus ample connaissance, lui poser des tas de questions et comprendre... Au moment où il ouvrait la bouche pour protester, elle reprit la parole d'une voix ferme.

  « Tu dois y aller maintenant. Tu ne peux rester ici, et je ne peux te suivre. N'oublie pas de ne pas te retourner... Adieu Yvonig... »

 Il sentit quelque chose d'étrange sur ces derniers mots... Peut-être une pointe de regret, une légère tristesse. Cependant il fit ce qu'elle lui avait demandé et s'engagea sur la piste sans regarder derrière lui. Il sentait le regard de l'archère peser sur lui mais il résista à la tentation de se retourner pour voir à nouveau son visage. Au bout de quelques mètres il se rendit compte qu'il reconnaissait le sentier et la forêt environnante. Il se retourna alors mais vit, sans grande surprise, que sa guide avait disparu... Ce qui le surprit pourtant, ce fut la disparition du chêne gigantesque. Il était de retour dans la forêt qu'il avait toujours connu et il n'y avait plus une seule trace de cet arbre majestueux. L'atmosphère même était redevenue « normale ». Il revint sur ses pas, mais il n'y avait plus rien, ni chêne, ni bois de pin, ni rochers moussus.

 Abattu mais émerveillé par le prodige qu'il venait de vivre, il reprit la direction de la maison, avec en mémoire le visage de l'archère.

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