Chapitre 1.1 - Le Conteur

6 minutes de lecture

 Le soleil se couchait et le chant lointain d'un merle résonna entre les grands pins. Un petit groupe d'elfes s'enfonçait déjà dans les bois tout en saluant les voyageurs...

 Thom agitait frénétiquement la main dans leur direction mais leurs images ainsi que celle de la forêt se dissipaient petit à petit. En quelques secondes il fut de nouveau à l'auberge, au chaud, dans les bras de sa mère qu'il n'avait jamais quitté. La pièce n'avait pas bougé, les auditeurs semblaient figés. Une bûche s'affaissa dans l'âtre et le vieux Tammig tira sur sa pipe en murmurant quelques paroles incompréhensibles.

 Yvonig se leva de son fauteuil et salua l'assemblée.

  « Ainsi s'achève mon histoire... »

 Le jeune conteur s'empressa de ranger ses affaires dans sa besace de cuir et d'enfiler son long manteau. Tammig l'observait d'un coin de l'oeil tandis que les autres personnes présentes semblaient s'éveiller une à une. Timidement au départ, puis de bon coeur pour finir, ils se mirent à applaudir le conteur et à le féliciter. Ils ne savaient comment il avait réussi à les faire voyager dans une histoire aussi passionnante mais ils lui en étaient tous reconnaissants. Certains clamaient ne jamais avoir été autant emportés par un conte, d'autres avaient l'impression de sortir d'un rêve...

 Yvonig les remerciait et leur adressait des sourires gênés. Il se dirigea vers la porte de l'auberge tout en leur souhaitant le bonsoir mais, au moment de franchir le seuil, il sentit une main noueuse se poser sur son épaule.

 Le vieux Tammig avait un regard étrange, une flamme brillant au fond de ses yeux. Avec le sourire d'un enfant il murmura, de façon à ce que seul le conteur puisse l'entendre:

   « Sorser marvailher... »

 Yvonig lui rendit son sourire et, avec un petit clin d'oeil, quitta la salle.

 L'ancien souriait toujours en regardant le jeune homme s'enfoncer dans la nuit... Ainsi donc ils existaient encore...

*****

 La nuit était froide et humide. Yvonig dut resserrer les pans de son manteau pour ne pas être trempé par la pluie fine qui tombait depuis plusieurs jours. Il remit son chapeau et, s'appuyant sur son bâton, se dirigea vers la route qui traversait le village pour s'éloigner de la petite auberge tenant lieu de salle des fêtes.

 Les rues du petit bourg étaient désertes, les quelques lampadaires éclairant les pavés donnaient au village un air lugubre. Le conteur pressa le pas et se dirigea vers la sortie pour retrouver la campagne environnante. Il s'engagea sur une route disparaissant dans l'obscurité et s'éloigna petit à petit des lumières grésillantes de la bourgade pour retrouver le silence oppressant de la nuit. Le jeune homme ne semblait pas s'en soucier et avançait d'un pas sûr vers une destination que lui seul paraissait connaître.

  « Tu aurais pu coucher dans le village, les gens auraient été heureux de t'y accueillir! »

 Yvonig se retourna brusquement, surpris par la voix nasillarde qui l'avait interpellé. Du haut d'un poteau téléphonique une chouette chevêche l'observait de ses yeux d'or. Le conteur détourna la tête et reprit sa route en marmonnant.

  « Tu sais très bien que cela m'est impossible... »

 La chouette prit son envol et quitta le poteau pour se percher à nouveau sur la clôture longeant la route. Par petits bonds, elle accompagnait Yvonig sans quitter son nouveau perchoir.

  « Je le sais bien... Mais je suis sûr que tu as été tenté! N'est-ce pas? »

 Le garçon se renfrogna et fit un geste brusque de la main, comme pour chasser de noires pensées.

  « Non... Et puis il y avait ce vieux... Il savait qui je suis! Il a déjà dû traverser...

  _ Quoi? Il reste des humains qui croient? »

 L'oiseau hulula de plaisir et sautilla d'une patte sur l'autre sur le fil barbelé. Yvonig se tourna vers lui et fit un signe de tête.

  « Mais en fait... Que fais-tu ici, si près de la civilisation?

  _ J'avais envie de voir du monde et puis je me suis dit que tu voudrais un peu de compagnie sur ta route... N'ai-je pas eu raison?

  _ Tu ne serais pas plutôt venu me surveiller? »

 La chouette esquissa un geste qui aurait pu être un haussement d'épaules avant de prendre son envol.

  « Qui sait? »

 Elle tourna autour d'Yvonig en hululant.

 « On fait la course? Je t'attends à la prochaine pierre! »

 Le rapace s'élança dans la nuit, laissant le jeune homme à nouveau seul dans l'obscurité. Il jeta un regard vers la lande humide qui s'étendait sur sa gauche sans pour autant la voir. Il savait que les portes de l'Enfer n'étaient jamais loin...

 Le ciel se dégagea et une lune pâle apparut derrière le voile des nuages qui s'effilochait. La lumière blafarde qu'elle diffusait et la brume qui flottait sur la lande donnaient aux rares arbres des allures fantomatiques. Lorsque la pluie se fut enfin calmée, Yvonig s'arrêta un instant pour secouer sa veste et son chapeau avant de poursuivre sa route. A un embranchement, le garçon s'engagea sur un chemin boueux escaladant une colline rocailleuse.

 Perchée sur un dolmen qui dominait l'escarpement, la petite chouette observait le conteur escalader la piste détrempée. Ce dernier glissa à plusieurs reprises, tombant à genoux sur le sol gorgé d'eau. Lorsqu'il eut enfin atteint le sommet, il jeta un regard mauvais à l'oiseau qui gloussait sur son rocher puis se glissa sous la table de pierre.

 Se courbant dans cet espace sec bien que trop exigu, il laissa tomber son bâton de marche et retira son chapeau, son sac et sa veste qu'il déposa dans un coin. Il s'assit, dos contre la pierre, et entreprit d'allumer un feu avec les herbes sèches et les quelques branches qui se trouvaient prises au piège entre les pierres. Le briquet avait pris l'humidité et mit plusieurs minutes avant de lancer les quelques étincelles de lumière qui embrasèrent le foyer de fortune.

 Repliant ses genoux contre son torse, Yvonig profita de la chaleur bienfaisante que le petit feu diffusait difficilement. Il sortit de son sac une miche de pain qui commençait à rassir ainsi qu'un morceau de fromage. De son couteau, il se découpa une tranche de chaque et mangea sans appétit.

 Sur le toit de l'abri de pierre, la chouette émettait un bruit étrange, ressemblant à une triste complainte.

  « Que chantes-tu là?

  _ Une chanson de ma composition... Veux-tu l'entendre? »

 Yvonig hésita un instant puis écarta ses affaires pour ménager un peu de place sous la pierre.

  « Pourquoi pas... Mais viens donc la chanter ici et quitte cette apparence! »

 La chouette s'élança de son perchoir et, avant même d'avoir touché le sol, retrouva sa véritable forme. Ce fut un petit être, arrivant à la ceinture du garçon, qui pénétra sous le dolmen. Ses pattes velues, tenant de la chèvre, et ses petites cornes dépassant d'une épaisse chevelure brune, évoquaient la représentation que les gens avaient du diable.

  « Je ne peux malheureusement pas jouer en chantant, tu entendras donc d'abord l'air puis je te chanterai les paroles...

  _ Ne te fais pas prier Louarn, et joue! »

 Le korrigan sortit d'une aumônière un petit instrument de bois ouvragé qu'il porta à la bouche. Le son qui s'en échappa était pur et incroyablement doux. Une mélodie magnifique émana de la table de pierre alors que les notes cristallines s'égrainaient entre les doigts du musicien. Appuyant sa tête contre la roche, les yeux clos, Yvonig se laissa bercer par la musique. Une étrange impression l'envahissait au fur et à mesure que le petit être jouait. Une profonde mélancolie s'empara de lui et il se surprit à verser une larme. Des souvenirs refaisaient surface... Et un visage... Il avait les yeux toujours fermés lorsque Louarn reposa son instrument... C'est alors que sa voix s'éleva dans la nuit.

Ni dans ce monde, ni dans l'autre

Tu ne fais plus partie des tiens, tu n'es pas encore des nôtres

Demi humain, demi merveilleux,

A quoi t'es tu stupidement condamné jeune amoureux?

Va sur les routes, conte tes histoires

Va sur les routes, le coeur plein d'espoir

Va sur les routes, conte tes histoires

Va sur les routes, toujours seul dans le noir...

 Yvonig avait rouvert les yeux et dévisageait le nain, le visage furieux. Il avait attrapé son bâton et ses phalanges avaient blanchi tant il le tenait serré. Sa mâchoire était crispée et il ne réussit qu'à souffler:

  « Va-t'en d'ici tout de suite Bugel en Noz! »

 Louarn avait sur les lèvres un sourire méchant qui remontait jusqu'à ses oreilles pointues.

  « Ma chanson ne t'a pas plu? Etrange... »

 Le korrigan éclata de rire en s'éloignant dans l'obscurité, laissant le jeune homme seul, le regard plongé dans les flammes qui semblaient, elles aussi, se moquer de lui...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Fañch ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0