La Belle époque

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Le 5 juin 2020

  Grâce aux archives du cinéma, nous avons tous la possibilité de voir des images des rues de Paris dans les années 1900. Observons la scène.

 Il règne une joyeuse animation sur les grands boulevards et aux abords des esplanades. Chacun vaque à ses occupations ; des couples se promènent ; des enfants traversent la rue en courant, ils sont suivis par un chien ; des artisans ou commerçants poussent leurs chariots chargés de matériels divers ; des cavaliers fièrement campés sur leur palefroi sortent d’un parc. Une grande variété d’attelages s’offre aux regards des consommateurs installés à la terrasse d’un café. Coche, cabriolets, calèches, voitures hippomobiles de toutes dimensions utilisées pour le transport de voyageurs ou de denrées circulent sans règles, au petit bonheur, en long et en travers. Quelques rares automobiles roulent au pas en zigzaguant pour éviter les piétons qui traversent en diagonale sans se soucier du trafic. Tout un peuple déambule dans la gaîté, partout règne une certaine insouciance de vivre dans un respect des traditions où l’amabilité des mœurs a conservé quelque chose du XVIIe siècle.

 Dans les rues commerçantes, des vendeurs poussent leur chariot à la force des bras, des pataches tirées par de robustes percherons transportent des meubles, plus loin une berline arrêtée près d’une boutique encombre la circulation pour effectuer une livraison de bière. Un omnibus surgit dans un carrefour, le conducteur encourage deux vaillants chevaux qui tirent avec peine une quinzaine de passagers repartis sur deux niveaux.

 Les couleurs de ce tableau sont magnifiées par un soleil éclatant. Dans les parcs les femmes sont vêtues d’élégantes toilettes et portent des ombrelles. Des enfants plus légèrement vêtus marchent à leurs côtés, costume marin pour les garçons, robes blanches avec volutes et dentelles pour les filles. Chez les hommes, le costume domine ; les plus coquets portent une lavallière ou un œillet à la boutonnière, presque tous arborent couvre-chef et moustaches ou barbe à la landru. Les personnes âgées n’ont pas le monopole de la canne qui donne à tous les marcheurs élégance et autorité.

 Ce spectacle a été transposé sur la toile par un peintre de talent : Jean Béraud (1849-1935). Jean Béraud est le peintre de la vie parisienne à la belle époque. Il a représenté dans ses tableaux toutes les classes sociales : les bourgeois, le peuple, les intellectuels. Mais aussi les lieux emblématiques de la capitale : les théâtres, les parcs, les jardins, les immeubles haussmanniens, la seine, le vieux Paris. Ses tableaux sont d'un réalisme saisissant et témoignent de la vie foisonnante, colorée et pleine d'espérance de cette période si particulière de notre histoire.

 La Belle Époque désigne la période qui s'étend de la fin du XIXe siècle au début de la Première Guerre mondiale. Elle est un carrefour exceptionnel où convergent tous les progrès et innovations qui vont transformer la société : l'électricité, le cinématographe, l'automobile, l'aviation, le développement de la presse et de l'édition, la culture de masse, les grandes expositions, l'essor du chemin de fer, la création du métro. Dans le monde des arts et spectacles l'imagination est également au pouvoir et les innovations artistiques foisonnent : l'art nouveau avec Guimard à qui est confié la décoration des entrées du métro, le "style nouille" de ses édicules est célèbre dans le monde entier et participent à la légende de la "Ville Lumière", le théâtre avec Sarah Bernhardt, Edmond Rostand et son Cyrano (3 000 représentations entre 1897 et 1913 !), la musique avec Debussy, Fauré, Saint-Saëns, Ravel. La littérature est représentée par Anatole France, Guillaume Apollinaire et Marcel Proust. Sur le plan économique, social et politique la France est également en ébullition. De nombreuses lois tentent d'améliorer le sort des plus démunis et des travailleurs (souvent les mêmes), la loi sur la liberté syndicale de 1884 commence à porter ses fruits, la loi sur le repos hebdomadaire de 1906 accorde à tous les salariés un repos de 24 heures après six jours de travail par semaine , la loi de 1910 organise un système de retraite pour les ouvriers et les paysans.

 Mais ce tableau idyllique ne reflète qu'une partie de la réalité, la France reste un pays très inégalitaire. La société est corsetée dans un carcan de règles archaïques, notamment concernant les femmes qui sont encore sous l'autorité du mari (avant la loi de 1965, une femme ne peut travailler sans l'accord de son mari ni ouvrir de compte en banque à son nom propre). Les enfants ne parlent pas à table, sauf s'ils y sont invités. La condition ouvrière peine à s'améliorer (catastrophe de Courrières en 1906, 1200 mineurs trouvent la mort dans un coup de grisou). L'alcoolisme et la tuberculose sévissent surtout dans les milieux pauvres mais la syphilis est un véritable fléau qui frappe toutes les catégories sociales (Guy de Maupassant devient fou et perd son œil droit avant de mourir à 43 ans). Les lois sur la réduction du temps de travail pour les femmes et les enfants ont pour conséquence des licenciements pour cette catégorie de personnel jugée moins rentable par les employeurs.

 Sur le plan de la politique extérieure le modèle de développement repose encore sur le colonialisme même si des voix commencent à s'élever sur la prétendue supériorité de la race blanche (Clémenceau).

 La montée du nationalisme de l'Action française (Maurice Barrès, Charles Maurras) qui a trouvé son terreau dans l'antisémitisme révèlé par l'affaire Dreyfus, va donner l'élan nécessaire aux revanchards de la guerre de 1870 qui veulent récupérer l'Alsace et la Lorraine. Malgré les efforts pour la paix et le talent oratoire de Jean Jaurès, des jours sombres se profilent à l'horizon.

 Cette époque, marquée par l'optimisme et dont on garde souvent l'image d'un âge heureux, ne s'est pas déroulée sans heurt. Toutefois, pour moi, elle suscite toujours une certaine émotion, car elle correspond à la jeunesse de mes grands-parents. Tout ce qu'ils ont vécu, aimé ou détesté s'est inscrit dans la mémoire transgénérationnelle ; comment expliquer sinon que je puisse éprouver un sentiment de nostalgie pour une époque qui n'est pas la mienne ?

 C'est tout cela qu'évoque ce livre captivant qui aborde tous les aspects de la France d'avant la Première Guerre mondiale. Il est divisé en quatre grandes parties : 1 - Vues générales, 2 - La société, 3 - Familles religieuses et politiques, 4 - Cultures.

 L'ouvrage comporte un index général, une abondante bibliographie classée par thèmes et la liste détaillée des gouvernements de 1899 à 1915.

 Grâce au talent de l'auteur à la fois précis, clair et complet j'ai appris beaucoup de choses en passant un agréable moment de lecture. Cet ouvrage est sans aucun doute l'un des meilleurs livres d'histoire que j'ai pu lire depuis longtemps.

Bibliographie :

- "La Belle Epoque", Michel Winock, Tempus (2011), 429 pages.

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