Cosmos

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Le 27 avril 2020

 Si vous ne savez pas quoi faire pendant les cinq prochaines années, lisez l'œuvre de Michel Onfray, mais lisez aussi les ouvrages de ses critiques, ils sont presque aussi nombreux que ses admirateurs. Auteur de plus de cent livres, Michel Onfray est un phénomène éditorial et médiatique (il publie en moyenne trois livres chaque année.). Il se définit lui-même : "anarchiste, socialiste, libertaire, souverainiste de gauche, philosophe hédoniste et matérialiste, athée". Il enchaîne les livres, les articles, les conférences, les entretiens télé ou radio, les éditoriaux, les déclarations, les prises de position politique, économique, philosophique, sociale sur tous les médias y compris YouTube. C'est un philosophe très populaire en France et dans le monde entier, mais il est aussi vivement critiqué. Considéré comme un génie, un maître, un sage pour certains et comme un simple professeur de lycée reconverti en philosophe de salon, voire un imposteur intellectuel, un falsificateur dogmatique pour d'autres. La charge de ses détracteurs est terrible et ses prises de position déclenchent parfois des réactions violentes. Il est assez rare qu'un philosophe, de son vivant, face l'objet d'aussi virulentes attaques rassemblées dans des livres entièrement consacrés à dénoncer ses "contre-sens philosophique". C'est l'objet par exemple du livre de Michael Paraire "Michel Onfray, une imposture intellectuelle". Parmi ses détracteurs, Raphaël Enthoven (essayiste, animateur de radio et de télévision) résume le travail de Michel Onfray de manière lapidaire « Il enfonce des portes ouvertes avec le sentiment grisant de prendre d'assaut la Bastille ».

 Malgré toutes ses critiques, formulées bien souvent par des intellectuels n'obtenant pas la même audience, il trouve un public nombreux pour acheter ses ouvrages, dont certains ont obtenu d'immenses succès de librairie (notamment le Traité d'athéologie).

 J'ai commencé à m'intéresser à Michel Onfray par le biais de ses conférences audio enregistrées à l'université populaire de Caen (publiées en 26 coffrets, plus de 300 CD ! aux éditions sonores Frémeaux, sous le titre "Contre-histoire de la philosophie"). J'ai emprunté à la bibliothèque municipale chacun de ces coffrets pour les enregistrer sur mon disque dur, à ce jour, je n'ai pas encore fini de les écouter. Entre-temps, j'ai lu "Décadence" le deuxième volume de son compendium "Brève encyclopédie du monde" dont "Cosmos" est le premier opus et "Sagesse" le dernier.

 Dans sa "contre histoire de la philosophie", comme dans beaucoup de ses ouvrages, Michel onfray remet en cause la réalité de Jésus. J'ai fait quelques recherches pour trouver des informations sur Saint-Jean dont Michel Onfray dit qu'il n'a pas connu Jésus, chose qui m'a surpris car j'ai lu des textes qui démontraient le contraire. Dans les différentes réponses que j'ai pu trouver (textes et vidéos) il s'avère que les arguments de Michel Onfray, pour convaincant qu'ils puissent paraître, ne résistent pas eux non plus à une bonne critique s'appuyant à la fois sur des écrits, une argumentation et sur des éléments archéologiques (découverte récente d'un vestige de la ville de Nazareth datant de l'époque de Jésus alors que Michel Onfray pense que Nazareth n'existait pas à l'époque de Jésus mais qu'elle a été fondée deux siècles plus tard.). Conclusion : on ne peut pas plus prouver l'existence de Jésus que sa non existence, en revanche son message, lui, a bien une réalité.

 Le judéo-christianisme est un thème un peu obsessionnel chez Michel Onfray, chacun de ses ouvrages est pour lui l'occasion de développer ses thèses sous un angle différent. Ainsi, dans "Cosmos", il reproche au christianisme d'avoir «remplacé les vérités païennes, qui exprimaient un lien entre l'homme et la nature, par un récit métaphorique et alambiqué construit comme un conte à dormir debout. Il s'agissait de séduire un peuple inculte en lui racontant des histoires.» (page 365).

 Onfray est un philosophe eudémoniste (1), attaché semble-t-il aux philosophes matérialistes antiques pour lesquels il n'y a pas de dualité corps-esprit, mais que le corps et l'âme sont les résultats d'un agencement d'atomes et qu'il n'y a rien au-delà. Dans ses conférences il développe la philosophie de Démocrite qui dit que pour vivre sans tourment il ne faut ni se marier ni avoir d'enfants, ni faire de politique. l II parle d'eudémonisme de l'évitement, il suggère que l'Eudémonisme doit conduire aussi à l'athéisme.

 Je réfute une partie de ses thèses mais je suis assez séduit par quelques idées, par exemple, je souscris (avec néanmoins des réserves) à son point de vue sur une certaine forme de décadence de notre civilisation ; le bien le plus précieux, la vie sous toutes ses formes, n'est pas respectée, nos gouvernements ne savent pas tirer d'enseignements de l'histoire, les exemples d'actes de barbarie commis par les hommes ne manquent pas, etc. Cependant, son pessimisme est peut-être exagéré et je suis heureux d'avoir trouvé dans les propos de Han Suyin 1916-2012 écrivain (interviewée par Michel Polac dans l'émission bibliothèque en poche de la fin du 12 juillet 1967) un positivisme qui s'oppose largement au pessimisme de Michel Onfray. Elle déclare être profondément optimiste pour l'avenir de l'humanité en soulignant même si l'on doit évidemment constater toutes les erreurs commises par l'humanité, qu'il faut donner à l'homme sa chance. Il n'est présent sur terre que depuis environ 1 million d'années et il peut certainement changer. Cette approche est typiquement Chinoise dans la mesure ou elle pense en millions d'années là ou les Occidentaux se pressent de tirer des conclusions définitives après avoir étudié quelques milliers d'années d'histoire. Michel Onfray a raison de dénoncer les travers de l'humanité telle que l'on peut les constater aujourd'hui, mais il doit prendre en compte le fait que l'humanité est en devenir et qu'il est encore possible de modifier le cours des choses. Une décadence ne peut se définir que d'après une période antérieure qui aurait représenté l'apogée de la civilisation humaine, il n'est pas démontrable que l'humanité ait atteint à un moment quelconque un haut degré d'évolution.

 En revanche, je trouve absurdes ses diatribes contre Greta Thunberg en particulier lorsqu'il s'attaque à son physique ou à son autisme : « Cette jeune fille arbore un visage de cyborg qui ignore l’émotion. » Il lui reproche de « dramatiser, inquiéter, amplifier, exagérer, faire peur, c’est-à-dire tout le contraire de penser, examiner, réfléchir, débattre. » Il prétend qu'elle est manipulée par des intérêts politiques et économiques qui la dépasse.

 Cette critique est d'autant plus étonnante que Greta Thunberg est en phase avec les thèses de gauche altermondialistes de Michel Onfray qui se bat contre ceux qui s'enrichissent au détriment de la planète. Elle milite pour que l'homme redonne à la nature toute sa place, n'est-ce pas ce même message que nous délivre l'auteur de "Cosmos". Je suis étonné de constater à quel point la sottise peut parfois cohabiter avec l'intelligence. Comment peut-il se fourvoyer à ce point, n'a t-il pas déjà brillamment disserté sur le proverbe chinois : "Quand le sage désigne la lune, l'idiot regarde le doigt."

 Je le rejoins lorsqu'il défend les opprimés, les exploités, les gens du petit peuple (ouvriers, paysans, artisans), "ceux sur lesquels s'exerce le pouvoir", selon sa propre définition du peuple, mais je m'éloigne de lui lorsqu'il rabaisse, dénigre, fustige, dénature, condamne avec un excès de violence ceux qui ne pensent pas comme lui.

 Michel Onfray est donc un homme plein de contradictions qui ne peut pas être pris comme un modèle absolu. Ce que j'aime dans ses livres, et que j'ai retrouvé dans "Cosmos", c'est sa capacité à englober tout l'univers dans chaque concept évoqué ; il convoque les dieux antiques, les forces de la nature, les philosophes de tous horizons, il nous rappelle toute l'histoire des hommes et des idées pour mieux nous faire comprendre sa pensée foisonnante, brillante, enivrante et toujours enrichissante. J'aime quand il cite Virgile "Tout homme peut tirer des leçons sur la marche philosophique du monde en examinant le fonctionnement d'une ruche" (page 64). J'aime quand il critique Sartre qui "haïssait la nature et dit moins vrai et moins juste que Sénèque 2000 ans avant lui" (page 65). J'aime quand il parle des animaux "...Il est évident que les animaux sentent, souffrent, connaissent, échangent, ressentent, qu'ils expérimentent la sensation, l'émotion, l'affection, la perception, qu'ils disposent d'intelligence, de prévoyance...Qu'ils pratiquent l'entraide, qu'ils sont capables de se projeter dans le futur et de conserver une mémoire du passé, puis d'agir en conséquence" (page 231). J'aime son réquisitoire argumenté contre la tauromachie et contre tout ce qui génère la souffrance animale en général. J'aime lorsqu'il nous apprends l'enseignement philosophique que l'on peut tirer de l'observation de la vie des anguilles.

 Dans ce livre l'auteur nous parle aussi de botanique et en particulier de l'intelligence des plantes, d'astronomie, de musique, d'art, de cinéma, de poésie japonaise, de littérature, de vins, de gastronomie, d'agriculture, du peuple Tsigane mais aussi de philosophes et savants d'hier et d'aujourd'hui qui l'ont marqué : Epicure, Nietzsche, Bachelard, Darwin, l'entomologiste Jean-Henri Fabre, Montaigne, le spécialiste de la chronobiologie Michel Siffre, l'astrophysicien Jean-Pierre Luminet. Il nous fait découvrir des auteurs moins connus : l'abbé Meslier auteur d'un mémoire contre la religion, le prête défroqué Prosper Alfaric qui le convertit à l'inexistence historique de Jésus et bien d'autres qu'il est impossible de citer. Il faut se reporter à la bibliographie en fin d'ouvrage qui est plus qu'une bibliographie classique, car il s'agit d'un véritable plaidoyer, un argumentaire pour nous inciter à prendre connaissance d'ouvrages récents ou anciens dont la lecture permettra à chacun de trouver sa place dans la nature, puis dans le Cosmos.

 Cet ouvrage, qui m'a souvent conduit à ouvrir mon dictionnaire et à noter de nombreuses références, est une somme impressionnante de plus de 500 pages sur l'homme et ses liens avec la nature. Michel Onfray ne cesse de m'étonner par son talent d'écrivain, de polémiste, d'essayiste, son érudition, son habileté à dérouler un raisonnement mais aussi de m'agacer, par sa virulence, ses attaques ad hominem, ses contradictions et une assurance qui confine parfois au dogmatisme. On peut donc le critiquer à loisir, ce qui impose au minimum de lire quelques-uns de ses ouvrages et en particulier "Comos" dont Onfray écrit, pour en souligner l'importance, qu'il est "son premier livre".

 Une lecture à faire sans relâcher son esprit critique. Michel Onfray est un habile artisan du langage, et il peut parfois, pour la beauté d'un raisonnement ou pire par manque d'objectivité, ne pas vérifier suffisamment ses informations ou ne montrer qu'un aspect des choses, celui favorable à ses convictions. Son talent, qui lui permet d'écrire des volumes épais sur de nombreux sujets en quelques semaines, peut se transformer en talon d'Achille, trop de facilité pourrait l'entraîner à un manque de rigueur. Compte tenu de ces réserves il n'en reste pas moins que Michel Onfray est un auteur passionnant, la lecture de ses livres est très stimulante pour l'esprit et ouvre de très nombreux thèmes de réflexion.

 Michel Onfray nous invite à trouver le bonheur ici-bas, car selon lui, il n'y a rien outre-tombe. La seule éternité qu'il nous promet est celle des atomes qui composent notre corps. J'ai du mal à admettre ce matérialisme pur et dur. Je ne crois pas non plus tout à fait au Dieu décrit par la Bible qui n'est peut-être qu'un assemblage de mythes païens, de contes et de légendes. Mais derrière cet emballage façonné maladroitement par l'homme se cache sans doute une vérité qui reste à découvrir. Je pense que la mort est une porte qui s'ouvre sur un autre monde, ce qui n'empêche nullement de rechercher le bonheur ici et maintenant et de nourrir son esprit en prévision de l'éternité.

Bibliograhie :

- "Cosmos", Michel Onfray, flammarion (2015) 562 pages.

- "Contre histoire de la philosophie" , Michel Onfray, 26 coffrets (323 CD audios) Editions Frémeaux et associés. (Existe aussi en version papier en livre de poche en 9 volumes).

Vocabulaire :

Turbide (page 160) : adj. agité, troublé, qui n'est pas limpide (des eaux turbides).

Sotériologie (page 192) : L'étude des différentes doctrines religieuses du salut de l'âme. Les théories du salut occupent une place importante dans de nombreuses religions.

Pécamineux : adj. Qui est de l'ordre du péché; relatif au péché.

Verbigération (page 425) : Trouble du langage, logorrhée caractérisée par une abondance de paroles vides de sens, un flot de mots sans suite et de morceaux de mots ou de phrases mal enchaînés n'ayant plus de sens.

note :

(1) L’eudémonisme est une doctrine philosophique posant comme principe que le bonheur est le but de la vie humaine. L’hédonisme, philosophie qui s'en rapproche, prône la recherche du plaisir.

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