De Grandes Espérances

7 minutes de lecture

Le 9 avril 2020

 Guidé par une intuition qu'aujourd'hui, je peux qualifier de géniale, j'ai acquis, il y a quelques mois, une édition en trois volumes du célèbre roman de Dickens "De Grandes Espérances". Bien sûr, je ne me suis pas engagé dans cette dépense sans raison. Je connaissais l'auteur et la qualité de ses œuvres et quelques commentaires dithyrambiques collectés ici où là sur ce roman en particulier ont fini de me convaincre. Je ne prenais donc pas un grand risque en investissant dans cette belle reliure d'André Sauret illustrée par les superbes aquarelles de Dignimont. Je m'attendais à un bon moment de lecture, en vérité le choc s'est avéré bien supérieur à mes "espérances".

 J'ai découvert Dickens, comme beaucoup de personnes de ma génération, par les adaptations télévisées de ses œuvres réalisées par Claude Santelli dans le cadre du théâtre de la jeunesse. J'ai pu retrouver les références exactes de ces diffusions grâce à un document introuvable aujourd'hui "Les fictions françaises à la télévision 1945-1996" recensant plus de 15 500 œuvres en plus de 900 pages. Oliver Twist a été diffusé pour la première fois sur la 1re chaine RTF le six mai 1962 et David Copperfield le 1er janvier 1965. J'en ai toujours gardé un excellent souvenir et pourtant c'est en lisant, il y a quelques mois, l'excellente biographie de Dickens de Fred Kaplan, que je me suis enfin décidé à m'intéresser à la production littéraire de cet auteur majeur. J'ai d'abord lu "Temps difficiles", un roman engagé sur la révolution industrielle et l'exploitation du prolétariat, et j'ai eu envie de poursuivre. Mais d'abord quelques mots sur l'auteur.

 Charles Dickens (1812-1870) est l'un des plus grands romanciers britanniques de l'époque victorienne.

 Pour faire face à des problèmes d'endettement, ses parents l'arrachent de l'école vers l'âge de 10 ans et l'obligent à travailler dans une entreprise de cirage.

 Suite à des malversations, son père est incarcéré en 1824 pendant trois mois. Charles Dickens restera marqué à vie par cette période et son œuvre en gardera les traces : la nostalgie de l'enfance, l'obsession de la faim et de la pauvreté, la fascination exercée par les quartiers les plus sordides de Londres, l'indignation contre les gens de lois et les injustices, l'univers carcéral.

 En 1825, Charles cesse de travailler à l’usine et reprend enfin l’école pendant deux ans. À l’âge de 15 ans, il se met à travailler comme clerc dans un cabinet d’avocats.

 En décembre 1833, il publie quelques pages remarquées dans le Monthly Magazine sous le pseudonyme Boz. La maison d’édition Chapman and Hall lui propose une série de vingt épisodes intitulée "Les papiers posthumes du Pickwick Club". Le succès est immédiat.

 Ces œuvres sont universellement connues : Oliver Twist, David Copperfield, Les papiers de Monsieur Picwik, La petite Dorrit (diffusée en plusieurs épisodes à partir du 27 novembre 2014 sur Arte) et Les Grandes Espérances (adapté au cinéma par Mike Newell, film sorti en 2012).

 Charles Dickens était un homme généreux, bon, altruiste, fidèle en amitié, défenseur des opprimés et travailleur acharné. Sa popularité était déjà immense à son époque et son œuvre touche toutes les générations et tous les milieux.

 J'ai donc rencontré Dickens deux fois, dans mon adolescence, grâce à Claude Santelli, et dans la maturité (pour ne pas dire plus) par la lecture directe de ses textes. J'estime être un privilégié d'avoir découvert ce magistral roman "Les Grandes Espérances" dans des conditions de lectures optimum. Un découpage en trois volumes reliés avec un papier de qualité, un vélin très épais doré sur la tranche supérieure. J'apprécie particulièrement le fait qu'il s'agit d'une édition non massicotée, le bord des tranches reste filandreux, vivant pourrait-on dire. Les illustrations sont nombreuses et toutes remarquables, elles m'ont permis à chaque début de chapitre de me plonger littéralement dans l'univers de Dickens, les aquarelles de Dignimont accompagnent le texte de manière à la fois fidèle et complémentaire. Je recommande fortement de lire de tels monuments littéraire dans des éditions illustrées de qualité, c'est un vrai bonheur. L'envoûtement est pratiquement immédiat, dès le premier dessin, dès la première ligne.

Que raconte ce livre ?

 Ce roman écrit à la première personne, et largement inspiré par le vécu de l'auteur, raconte l'histoire du narrateur Pip. Pip est un orphelin élevé par sa sœur plus âgée, mégère acariâtre qui le traite durement. Il est soutenu par l'amitié de Joe, le mari de sa sœur, un brave homme qui subit avec philosophie les vexations quotidiennes de sa femme. Le roman commence par une scène au cimetière où Pip est venu se recueillir sur la tombe de ses parents, il y rencontre un forçat évadé qui le terrifie et auquel il va néanmoins rendre un grand service. Peu de temps après il est sollicité par miss Havisham, une riche et vieille femme au comportement très original dont on découvrira le passé énigmatique progressivement au fil du récit. Pip tombe amoureux d'Estella, la fille adoptive de miss Havisham. Il forme le vœu de devenir un vrai gentleman pour séduire cette jeune fille aux allures de princesse, mais au comportement arrogant et sans tendresse. Quelque temps plus tard un généreux donateur anonyme fait don à Pip d'une rente afin de lui permettre de partir pour Londres pour faire son éducation.

 Confronté à une société qu'il ne connaît pas, il va subir de nombreuses aventures et prendre conscience peu à peu des vraies valeurs de la vie.

 J'ai été séduit par la manière dont est menée l'intrigue, par la qualité des dialogues, j'ai apprécié les descriptions et les patronymes particulièrement originaux des personnages : M. Pumblechook l'oncle de Joe, M. Wopsle le chantre, Sarah Pocket, Biddy et Monsieur Wemmick, l'un des perdonnages centraux dont la description physique est frappante :

"Je regardai monsieur Wemmick tout en marchant pour voir de quoi il avait l'air dans la lumière du jour, et je constatai que c'était un homme sec, de faible stature, nanti d'un visage de bois de forme carrée dont les traits semblaient avoir été taillés avec un ciseau ébréché. On y voyait quelques marques qui auraient pu être des fossettes si la matière avait été plus tendre et l'instrument plus aiguisé, mais qui n'étaient en l'occurrence que des encoches. Le ciseau avait fait trois ou quatre de ces tentatives d'embellissement sur son nez, puis il les avait abandonnées sans se donner la peine de les aplanir." (Volume 2, page 24)

Voici encore une description, celle d'un homme croisé dans un escalier et dont on apprendra, une centaine de pages plus loin, l'importance dans le récit. Il s'agit de Monsieur Jaggers :

"C'était un gros homme au teint excessivement basané, avec une énorme tête et des mains grandes en proportion. Il me saisit le menton de cette immense main et me tourna la tête dans la lumière pour me regarder. Il était prématurément chauve au sommet du crâne, et je remarquai ses sourcils noirs et broussailleux au poil hérissé. Ses yeux, enfoncés très profonds dans sa tête, étaient désagréablement perçants et soupçonneux. Il portait une grande chaîne de montre, et l'on voyait sur son visage des points noirs à l'endroit où se fussent trouvés sa barbe et ses favoris s'il les eût laissés pousser. Je ne le connaissais pas et je ne pouvais prévoir alors que la vie nous réunirait plus tard, mais il se trouva que j'eus ainsi l'occasion de l'observer de près." (Volume 1, page 138)

 L'humour est omniprésent et se mêle au drame, comme dans la vie réelle. Les événements vont crescendo à mesure que l'on s'approche du dénouement et toutes les zones d'ombre trouvent finalement une explication et une justification dans l'histoire.

 Pour ne rien gâter, ce roman est truffé d'imparfait du subjonctif que l'on doit à la traduction de Pierre Leyris (Traduction reprise dans l'édition de La Pléiade).

 Chef-d'œuvre absolu, à la fois émouvant, drôle, édifiant, il décrit magistralement un univers parfois sombre, parfois lumineux et féerique, toujours surprenant. Les descriptions des personnages, des lieux, des scènes sont exceptionnelles de réalisme, un réalisme fortement teinté de romantisme et c'est ce qui rend cette œuvre difficile à circonscrire, car tel un joyau elle présente de multiples facettes.

 Roman d'initiation, d'aventure, histoire d'amour, d'amitié, roman sur l'enfance mais aussi critique sociale, histoire fantasmagorique, histoire policière, tout l'univers semble être contenu dans cette oeuvre.

 Initialement publié en feuilleton dans la presse, le roman est découpé en chapitres denses de longueur à peu près constante et se terminant par une énigme à résoudre, ce qui permet au lecteur d'avancer dans l'histoire de telle manière que l'envie de tourner les pages ne faiblit pas un instant. Sur le plan technique, l'histoire est parfaitement structurée, aucun détail n'est superflu, chaque paragraphe est justifié et trouve sa place dans l'explication finale. Aucun personnage n'est laissé dans l'ombre et tous jouent un rôle essentiel. Leurs caractéristiques physiques et leur psychologie sont parfaitement décrites.

 J'ai eu tendance à ralentir ma vitesse de lecture à mesure que j'approchais de l'épilogue afin de prolonger le plus possible la magie de ce moment. Les descriptions de Londres, de ses tavernes, des hôtels, des commerces, des prisons, de la Tamise et de la campagne environnante sont captivantes. L'atmosphère terrifiante des rues glauques et visqueuses est particulièrement bien rendue. Ce roman présente une galerie de personnages pittoresques, certains sont à la fois énigmatiques et attachants, d'autres tragiques, parfois ridicules, mais tous empreints d'une humanité leur permettant, même au terme d'une vie peu exemplaire, de retrouver la lumière et de se faire pardonner leurs méfaits.

 Il y a tout dans ce roman et je le recommande à tous, enfant ou adulte. Il exprime la vie, à la fois dans ces aspects tragiques, comiques, imprévisibles, mais sans jamais sombrer dans le désespoir. Un roman d'aventure mais aussi, une leçon de philosophie.

Bibliographie :

"De Grandes Espérances", Charles Dickens, André Sauret éditeur (1956), trois volumes illustrés par Dignimont, 251,258 et 254 pages.

Deux biographies pour en savoir plus sur Charles Dickens :

- "Charles Dickens", Kaplan Fred, Fayard (1990). 519 p.

- "Dickens", Priestley J.B. Hachette (1963), 144 p. Collection les écrivains par l'image, Très riche iconographie illustrations et photos.

Vocabulaire :

Adamantin : adjectif, qui a la dureté ou l'éclat du diamant, "Mon obstination fut adamantine" page 112 du volume 1.

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