L'autre Rimbaud

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Le 22 septembre 2020

 Je remercie Babelio et les éditions l’Iconoclaste de m’avoir adressé cet ouvrage.

 Avant de parler du livre de David Le Bailly « L’autre Rimbaud », il me semble opportun de donner mon sentiment au sujet d’une pétition qui vient d’être lancée demandant l’entrée conjointe d’Athur Rimbaud et de Paul Verlaine au Panthéon.

 Les pétitionnaires n’énoncent rien moins que quatre raisons que je résume ci-dessous :

1 — Littéraire : pour l’influence que ces deux poètes de génie ont eue sur notre histoire littéraire.

2 — Politique : C’est à Verlaine que l’on doit le vers célèbre annonçant le débarquement en 1944 :

« Les sanglots longs des violons de l’automne

Bercent mon cœur d’une langueur monotone »

et c’est à Rimbaud qu’a été emprunté « Changer la vie », le slogan de la gauche des années 1970.

3 — Morale : car les tombes des deux poètes sont laissées à l’abandon sous la poussière.

4 — Judiciaire : en 1873, Paul Verlaine a été condamné à deux ans de prison pour avoir tiré deux coups de revolver sur Rimbaud. Ce dernier, dont la blessure était légère a ensuite retiré sa plainte. Verlaine est pourtant resté 555 jours en prison. Les auteurs de la pétition arguent aussi du fait que la police de Paris aurait favorisé l’aggravation de la peine en dénonçant « ce drôle de ménage ».

 En conclusion les pétitionnaires considèrent que l’entrée au Panthéon de Rimbaud et Verlaine serait un geste d’une portée symbolique considérable. Suivent les signatures de plusieurs anciens ministres de la culture ainsi que celle de la ministre actuelle Roselyne Bachelot.

 On peut admettre qu’il s’agit là de deux poètes majeurs qui méritent une certaine reconnaissance du monde littéraire, mais de là à en faire des héros de la patrie au motif que l’un aurait été condamné trop sévèrement pour une tentative de meurtre et que tous deux reposent dans des tombes mal entretenues, c’est un peu beaucoup. Un autre motif est évoqué en tête de la pétition et semble être un des éléments principaux motivant la demande :

« Ils sont aussi deux symboles de la diversité. Ils durent endurer “l’homophobie” implacable de leur époque. Ils sont les Oscar Wilde français. »

 L’homosexualité des deux poètes serait-elle un atout supplémentaire pour leur Panthéonisation ? Ce mélange entre le mérite littéraire et la volonté de défendre la diversité ne me semble pas pertinent. Nos deux poètes maudits ne sont pas forcément des modèles d’humanité, l’un était un alcoolique invétéré, violent (il battait sa femme), il n’a pas hésité à tirer deux balles de revolver sur son ami au terme d’une querelle d’amoureux, il a aussi tenté d’étrangler sa propre mère. Verlaine était en totale rupture avec la morale convenue de son temps. On pourrait aussi reproché à Rimbaud d’avoir souhaité s’enrichir en Afrique en profitant de l’ambiance esclavagiste, sans s’en émouvoir, et d’avoir aussi mené à but lucratif une entreprise de trafic d’armes. Car si le poète doit être un « voyant » (1) comme le déclare lui-même Rimbaud, cela ne l’empêche pas pour autant de « fermer les yeux » quand cela l’arrange. Nul n’est parfait, et le génie poétique n’est finalement pas incompatible avec la délinquance (François Villon est le premier des poètes maudits).

 La sincérité de la passion rimbaldienne des pétitionnaires n’est pas à remettre en cause et leur démarche a le mérite de donner un nouveau coup de projecteur sur ces deux immenses poètes dont j’apprécie l’œuvre (avec une préférence pour Verlaine), mais j’espère, au cas où la pétition n’aboutirait pas, que pour le moins, ils constitueront une cagnotte pour l’entretien des tombes. Un petit geste d’attention à la mémoire des poètes qui eux-mêmes auraient sans doute refusé la Panthéonisation. Doit-on rappeler que Rimbaud, ancien communard, anticlérical, pourfendeur de la bourgeoisie bien-pensante, antimilitariste, épris de liberté jusqu'à prôner l'anarchiste, à remis en question tous les codes académiques ? Je doute qu’il se sentirait à l’aise dans ce temple du conformisme. Et comme le dit très justement l’écrivain et blogueur Laurent Sagalovitsch : « L’homosexualité a toute sa place au Panthéon. Et s’il fallait en choisir un qui la représente, qui d’autre que Marcel Proust dont le judaïsme de naissance appuierait encore un peu plus la diversité de l’institution ? N’incarne-t-il pas à lui tout seul la grandeur immarcescible du génie français ? Et à n’en pas douter, lui, le chroniqueur sublime des mondanités parisiennes, envierait pareil hommage. »

Revenons maintenant au livre de David Le Bailly.

 Le nom d’Arthur Rimbaud évoque le visage angélique d’un adolescent au génie poétique précoce et trop tôt disparu. Pour beaucoup il évoque aussi le souvenir de poèmes sublimes, riches d’innovations comme « le dormeur du val », « le bateau ivre » ou « les voyelles ». On s’imagine un jeune homme romantique fragile et sensible, séduit par la notoriété naissante de Paul Verlaine dont il deviendra le compagnon de vie et d’errance pendant trois courtes années tous deux à la recherche d’un idéal poétique. Dans mon imaginaire Rimbaud était de la même veine qu’un François Villon, lequel était assimilé à un poète mauvais garçon, délinquant, aux idées vagabondes peu organisées, exprimant avec débordement une poésie instinctive. La précocité de Rimbaud, la brièveté de sa vie et son non-conformisme en faisait une étoile filante aux origines aussi incertaines que sa destination. En réalité les poèmes de Rimbaud, en particulier « le bateau ivre », montrent une érudition au service d’un lyrisme et d’une pensée structurée. Son vocabulaire extrêmement riche emprunte au lyrisme des poètes grecs, il est non-croyant, mais la bible l’inspire, il rehausse de néologismes et de latinismes une palette sémantique étendue acquise par d’immenses lectures.

 Mais derrière ces impressions ou ces clichés rebattus n’y a-t-il pas une autre réalité ? De quel milieu est issu Arthur Rimbaud ? Quelles relations entretenait-il avec sa famille ? J’ai longtemps cru que Rimbaud était mort très jeune, disons de tuberculose à 25 ans comme beaucoup de génies précoces, dans le respect d'une tradition tenace. La réalité est encore plus tragique. Je n’avais jamais été au-delà de la lecture de quelques-uns de ses poèmes, sans me documenter sur le détail de sa vie qui ne fut pas si courte que cela puisqu’il est mort à 37 ans d'un cancer généralisé après avoir subi l'amputation d'une jambe. Le livre de David Le Bailly m’a éclairé sur certains aspects méconnus de la personnalité de "L'homme aux semelles de vent", mais aussi sur ses origines et son entourage en particulier sur sa mère et son frère.

 D’un point de vue littéraire il est vrai que l’on peut dire que Rimbaud est mort à 20 ans, c’est à peu près l’âge où il a subitement décidé de renoncer à écrire, sans que l’on sache réellement pourquoi. Comme s’il avait épuisé toutes les ressources que pouvait lui procurer la littérature pour choisir une autre voie, la liberté totale, l’aventure, les voyages, le renoncement à toute vie conventionnelle.

 Un jour, le journaliste et écrivain David Le Bailly, entend parler à la radio de Frédéric Rimbaud, le frère du poète. Sa curiosité est mise en éveil par le mystère qui semble planer autour de sa vie. David Le Bailly décéle intuitivement qu’il y a derrière ce frère un secret de famille bien gardé. Frédéric aurait été écarté de la mémoire familiale afin de ne pas ternir l’image du grand poète. Qu’en est-il exactement se demande David Le Bailly, il décide de mener sa propre enquête.

 Frédéric et Arthur ont reçu la même éducation jusqu’au bac auxquels ils ont tous les deux renoncé trop pressés de prendre leur vie en main. Arthur est brillant, il rafle tous les prix et prend conscience dès l’âge de 15 ans de son génie poétique. Frédéric reste un élève moyen, mais rêve d’une carrière d’officier comme son père. Ce dernier a malheureusement déserté le milieu familial effrayé par le caractère acariâtre et possessif de sa femme Vitalie avec laquelle il ne parvient pas à s’entendre.

 Dans l’enfance, les deux frères sont inséparables et complices. Mais Arthur s’émancipe très vite et part à Paris rejoindre un cercle de poètes qui l’ont complimenté sur ces œuvres. Dès lors Frédéric resté à la ferme familiale pour aider sa mère va devenir le souffre-douleur sur lequel sa mère cherchera à se venger de son mari qui selon elle lui aurait gâché la vie. À l’inverse Arthur sera célébré, adulé, admiré malgré ses frasques. C’est le point de départ d’une injustice qui va générer des péripéties dramatiques dignes d’un roman de Zola. L’auteur nous livre un texte à la frontière entre le roman et l’enquête journalistique. Moi qui n’aime pas trop les biographies romancées j’ai trouvé là un bon compromis où les séquences fictionnelles ne sont là que pour assurer une certaine continuité du récit sans trahir la vérité historique. Le récit est entrecoupé de confidences de l’auteur qui nous dévoile des détails sur la manière dont il a mené son enquête. Cela donne un livre passionnant que j’ai dévoré en quelques heures avec l’envie d’en savoir encore plus sur tous les acteurs de cette incroyable histoire. On est littéralement happé, immergé dans ce monde paysan des Ardennes de cette fin du XIXe siècle.

 La mère de Rimbaud qui impose sa volonté avec une rare pugnacité est un personnage étonnant à la rancœur tenace. Son intransigeance et son manque d’empathie sont à l’origine du malheur qui a frappé tous les membres de sa famille.

 C’est l’histoire de la relation entre deux frères, c’est aussi l’histoire d’un secret de famille, une histoire d’injustice et de vies amputées par l’égoïsme et la cupidité d’un clan. Cette enquête centrée sur Frédéric, « l’autre Rimbaud », apporte aussi, en creux, un éclairage étonnant sur la personnalité de son frère Arthur qui après avoir cessé d’écrire à 20 ans est devenu affairiste, négociant, désabusé. On mesure la perte de ses illusions en lisant ses propos tenus dans une lettre adressée aux siens en 1886 : « Enfin, l’homme compte passer les trois quarts de sa vie à souffrir pour se reposer le quatrième quart, et, le plus souvent, il crève sans plus savoir où il en est de son plan. »

(1) Dans une lettre du 15 mai 1871 à Paul Demeny, Rimbaud révèle ce qui, selon lui, caractérise le poète : « Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ».

Bibliographie :

— « L’autre Rimbaud », David Le Bailly, l’iconoclaste (2020), 371 pages.

— « Rimbaud œuvres complètes », classiques modernes, La Pochotèque (199), 1039 pages.

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