Le tour de Jules Verne en quatre-vingts livres

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Le 17 août 2020

 Après la lecture du magnifique livre de Stefan Zweig qui raconte les péripéties du tour du monde réalisé par Magellan, quoi de plus naturel que de s’intéresser à Jules Verne ? Il y a là une continuité logique, Magellan n’est-il pas le prototype du héros vernien ?

 Dans sa vaste étude intitulée « Découverte de la Terre : Histoire des grands Voyages et des grands Voyageurs », publiée en trois volumes en 1870, Jules Verne consacre une soixantaine de pages au célèbre navigateur Portugais, montrant là qu’il s’est intéressé très tôt à ce grand personnage dont la destinée l’a certainement inspiré, notamment, pour écrire « Le tour du monde en quatre-vingts jours ».

 Ghislain de Diesbach, dans son livre « Le tour de Jules Verne en quatre-vingts livres », résume parfaitement les caractéristiques du héros vernien, celles-ci correspondent tout à fait à la personnalité de Magellan :
« Le courage, l’audace et la ténacité sont, avec la foi en l’avenir, ses principales vertus. ..Rien n'arrête le héros vernien lorsqu'il a décidé de mener à bien quelque vaste entreprise (en témoigne l'idée fixe du capitaine Hatteras d'atteindre le pôle Nord) » (Page 41-42). Philéas Fogg c'est Magellan !

 Pourtant Jules Verne, contrairement à son frère Paul, n’a pas été un grand voyageur, encore moins un aventurier, ce qui ne l’a pas empêché de parler mieux des pays qu’il ne connaissait pas que de ceux qu’il avait visités lui-même. En effet, pour certains écrivains, il n’est pas souhaitable qu’ils parcourent le monde et rencontrent la société, cette confrontation au réel risquerait de gâter leur créativité, Jules Verne est de ceux-là. Il a créé un univers et des personnages qui ont marqué plusieurs générations en puisant uniquement dans son imagination débordante. Ghislain de Diesbach, brillant auteur de biographies et d’études historiques, s’est attaché à mettre en évidence les jugement que Jules Verne portait sur le monde au travers de l’analyse des caractéristiques des personnages qui peuplent « Les voyages extraordinaires ». Par ce moyen il nous dévoile aussi quelques aspects de la personnalité et de la vie d’un des écrivains les plus visionnaires et les mieux informés de son siècle. De Diesbach décortique le profil psychologique et les motivations des principaux personnages imaginés par Jules Verne en croquant au passage certaines figures secondaires afin de nous permettre de mieux comprendre les intentions de l’auteur.

 De Diesbach distingue deux périodes dans la vie de Jules Verne, la première, la plus brillante, va de 1863 à 1885. Sa rencontre (1861) avec l’éditeur Hetzel étant déterminante dans sa carrière d’écrivain. La seconde période va de 1886 à sa mort en 1905. Sa vie prend un tournant tragique en 1886, il est victime d’un attentat de la part de son neveu, cette même année il éprouve une douleur immense après le décès de son éditeur Hetzel. À partir de ces évènements et jusqu’à sa mort, le romancier n’est plus le brillant écrivain qu’il a été.

 Au fil des pages, nous comprenons mieux les sources d’inspirations de Jules Verne, son optimisme, sa croyance au bonheur futur de l’homme émancipé par la connaissance, mais aussi nous découvrons son hostilité à l’industrialisation forcenée. Sur un plan plus intime, nous apprenons que Jules Verne avait aussi ses zones d’ombres, ses tourments. Par exemple sa relation passionnelle avec son neveu Gaston qui se terminera par un mystérieux attentat qui laissera Jules Verne claudicant jusqu’à la fin de ses jours. Déplorant l’absence de témoignages probants et d’écrits (Jules Verne a détruit une partie de sa correspondance et la famille s'est montrée très discrète sur ces évènements), de Diesbach nous révèle tout ce qu’il est possible de déduire de l'œuvre de l'écrivain et des différents thèmes qu’il aborde. Il expose, en se basant principalement sur les dialogues des romans, ce que pouvaient être les opinions de Jules Verne concernant les aristocrates (une certaine défiance), les femmes (misogynie, la plupart de ses héros sont célibataires), l’Afrique, les noirs et l’esclavage (il poursuit l’idée que le noir doit accéder au stade d’esclave volontaire, heureux de servir ses maîtres). D’autres thèmes sont abordés, l’argent, la religion, le racisme, les rapports de Jules Verne avec les hommes de sciences, ce qu'il pensait des autres pays (il détestait les anglais et éprouvait une grande admiration pour les États-Unis), etc.


 Si certaines des positions de Jules Verne peuvent paraître choquantes à nos contemporains, il faut, pour mieux comprendre l’homme, se rappeler le contexte de l’époque (politique colonialiste et minorité juridique des femmes consacrée par le Code civil). L’œuvre de Jules Verne reste profondément morale, mais elle n’est pas ce qu’il est convenu d’appeler une œuvre chrétienne. Jules verne à permis à des millions de lecteurs de voyager dans le monde entier, d’explorer l’atmosphère des hautes altitudes aussi bien que les profondeurs de la Terre où les abysses sous-marines. Il a permis cela à une époque où les développements des sciences suscitaient un intérêt croissant alors que les moyens de transport étaient encore insuffisants pour permettre à tous de voyager facilement.


 L’engouement pour son œuvre magistrale n’a pas faibli de nos jours si l’on en juge par le nombre impressionnant de réédition de ses œuvres complètes (la plus récente étant celle réalisée par le journal Le Monde, en 70 volumes dans une reliure reproduisant les cartonnages de couverture originaux).


« Les conceptions de Jules Verne sont peut-être aujourd’hui dépassées, le monde qu’il a décrit dans ses voyages extraordinaires a changé, mais son œuvre demeure et reste, malgré certains défauts, un des plus beaux monuments littéraires dont puisse s’enorgueillir le XIXe siècle… » (page 59).

  La place réservée à Jules Verne dans le panthéon des grands auteurs pourrait même être plus importante si on ne l’avait pas catalogué dès ses débuts comme auteur de livres pour enfants, ce qui lui valut sans doute le mépris de l’Académie française. Non, Jules Verne n’est pas seulement un auteur destiné à instruire et éduquer la jeunesse, c’est un écrivain pour tous les publics dont les vues prémonitoires sur notre monde méritent encore notre attention. J’admire aussi la constance et l’abnégation dont il a fait preuve tout au long de sa vie pour construire son œuvre. Je ne cesse de redécouvrir un auteur qui a suscité, dès mon adolescence, mon goût pour les sciences, l’anticipation et les grands romans d’aventures. Grâce à l’ouvrage de Gislhain de Diesbach j’ai pu découvrir de nouveaux aspects de la personnalité de Jules Verne et relancer mon intérêt pour son œuvre.

Bibliographie :

– « Le tour de Jules Verne en quatre-vingts livres », Ghislain de Diesbach, Julliard (1969), 319 pages.

Bonne nouvelle ! on peut se procurer l’intégralité de l’œuvre de Jules Verne pour moins de deux euros :
– « Jules Verne œuvres complètes », 160 titres et 5400 gravures, ebook des éditions Arvensa (nouvelle enrichie de notes, d’introductions et d’annexes [2017]. Sans doute l’édition la plus complète aujourd’hui et la moins chère en version ebook.

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