Pourquoi lire ?

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Le 7 juillet 2020

 Il y a de cela un demi-siècle (Il n’est pas rafraîchissant de se rappeler des souvenirs aussi lointains !), tous les jours de la semaine je me rendais de la caserne de la pépiniére au ministère de la Marine. Un parcours d’environ 15 minutes que je faisais à pied, avec sur la tête le célèbre bachi à pompon rouge de la Marine Nationale, et tenant à la main un livre dans la lecture duquel j’étais plongé. Cette déambulation iconoclaste ne devait pas passer inaperçue. Ces deux institutions n’existent plus en tant que telles aujourd’hui, la première est devenue un cabinet d’avocats et la seconde une vitrine du Centre des monuments nationaux. Sur le trajet, dans le prolongement de la rue royale, l’église de la Madeleine expose toujours sa majestueuse façade visible depuis la place de la concorde. Ces lieux sont pour moi, associés à l’activité de lire en marchant. L’église de la Madeleine semble avoir été posée là comme un clin d’œil à Proust. Elle évoque pour moi les mêmes sensations nostalgiques que la célèbre pâtisserie dont parle l’auteur d’à la recherche du temps perdu…

  Ce souvenir m’est revenu instantanément à l’esprit en commençant la lecture du premier chapitre du livre de Charles Dantzig « Pourquoi lire ? ». Belle entrée en matière que de partager dès les premières lignes un moment de vie avec un auteur. C’est un peu pour cela que nous lisons, du moins pour la part égoïste de nos motivations ; retrouver dans une histoire où chez un personnage, notre vécue personnel à travers des sentiments, des idées ou des évènements décrits par l’auteur comme nous aurions pu le faire si nous disposions de son talent. Charles Dantzig commence donc avec beaucoup d’humour à nous parler de ses lectures en marchant :

« Plus d’un horodateur de Paris a été ému de m’entendre lui dire “Pardon monsieur !” Après que je m’étais cogné à lui en lisant un livre. » Ceci est le point de départ de son questionnement, lire est-il un acte aussi naturel que la marche où répond-il à des motivations spéciales ? Pourquoi lire ?

  Cet essai, écrit avec talent, érudition et humour est l’occasion pour l’auteur de nous livrer ses réflexions autour de la lecture, de ses bienfaits, de ses dangers, de ses limites. Il nous livre aussi quelques anecdotes, en tant que lecteur ou écrivain et nous fait part de ses préférences littéraires. Cela donne un patchwork de textes assez courts et plaisants à lire où se mêlent des conseils de lectures, des pensées philosophiques, des critiques assez virulentes à l'égard de certains auteurs et des mises en garde :

« Attention, les lectures qui vont trop dans le sens de vos pensées ou de vos goûts peuvent être dangereuses. » (page 18)

« Pour moi, je voulais de l’imprimé qu’on pût souligner et dans les marges duquel on put suspendre des annotations… Un bon lecteur écrit en même temps qu’il lit. » (page 22). « Victor Cousin, le philosophe, disait : “Je monte à l’échafaud, quand je me couche.” Enfant, adolescent, jeune homme, j’étais comme lui. Je le suis encore. Arrêter d’écrire, de lire, de s’amuser, pour ça ! Il faudra me pousser vers la tombe, mon squelette freinant des talons dans le gravier pendant que mes métatarses tourneront les pages d’un livre et que, claquant des mâchoires, je protesterai : “Je n’ai pas fini ! Je n’ai pas fini !”. (page 128).

  Charles Dantzig décline ainsi toutes les raisons qui nous poussent à lire où à ne pas lire : lire pour se contredire, lire pour se consoler, lire pour s’isoler, pour le vice, pour rajeunir, pour changer le temps.

“Pourquoi lire ? Pour devenir moins borné, perdre des préjugés, comprendre. Pourquoi lire ? Pour comprendre ceux qui sont bornés, ont des préjugés et aiment ne pas comprendre.” (page 81).

  En tout près de quatre-vingts questions auxquelles l’auteur tente une réponse et nous invite aussi à réfléchir à nos propres motivations. Mais la grande question est de savoir si la lecture est civilisatrice, contribue-t-elle à pacifier le monde, à rendre les hommes meilleurs ? L’auteur n’en est pas convaincu :

“Plus je lis, moins j’ai l’impression d’être civilisé. La lecture des grands auteurs me montre que je n’ai jamais cessé d’être un barbare, un ignare, un imparfait… Je manque de paix intérieure, la lecture ne me l’a pas apportée.” Un pessimisme que je ne partage pas même si j’admets que l’histoire ne manque pas d’exemples de criminels cultivés et grands lecteurs. L’éducation et la culture restent à mon sens les meilleurs alliés de la civilisation.

  Se demander pourquoi lire revient à se poser la question de savoir à quoi sert la lecture. Au terme de ce livre j’ai envie de répondre ceci : la lecture ne nous transforme pas, mais elle nous aide sans doute à devenir ce que nous sommes vraiment. Atteindre les limites que la nature nous a assignées, voilà une belle et raisonnable ambition, peut-être la seule qui vaille.

  Charles Dantzig né en 1961 à Tarbes est un écrivain et éditeur français. Son livre “Pourquoi lire ? Lui a valu l’obtention du prix Jean Giono pour l’ensemble de son œuvre. Il est aussi l’auteur du remarquable ‘Dictionnaire égoïste de la littérature française’.


Bibliographie :


— ‘Pourquoi lire ?’, Charles Dantzig, Grasset (2010), 249 pages.

— ‘Dictionnaire égoïste de la littérature française’, Charles Dantzig,, Grasset (2005), 962 pages.

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