La vie d'un simple

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13 novembre 2019

 Si vous ne fréquentez que les librairies où les médiathèques à jour des dernières nouveautés, vous ne tomberez jamais sur le genre de livre dont je vais vous parler aujourd'hui. Ce roman ne peut se trouver que par hasard, en flânant le long des quais de la Seine ou s'alignent les bouquinistes ou encore à l'occasion d'un vide-grenier en fouillant au fond d'une caisse où s'entremêlent des calendriers des années 1900, quelques cartes postales en noir et blanc et trois ou quatre livres aux couvertures insolées. Même si on l'espère, on ne s'attend pas à trouver ici un chef-d'oeuvre tel que "La vie d'un simple" d'Emile Guillaumin (1873-1951).

 Publié en 1903, en lice pour le prix Goncourt 1904, qui sera finalement décerné à Léon Frappié pour son roman "La maternelle", "La vie d'un simple" a parcouru tout le XXe siècle en conservant jusqu'à aujourd'hui toute sa fraîcheur et son intérêt historique et littéraire.

 Paysan le jour et écrivain la nuit, Emile Guillaumin nous raconte la vie de "Tiennon" l'un de ses amis agriculteurs. C'est à une véritable traversée du siècle à laquelle l'auteur nous invite. Une histoire racontée par le biais des petits et grands évènement d'une famille de paysans enracinés depuis plusieurs générations dans le bourbonnais. On y perçoit l'écho des faits marquants de l'époque, les changements politiques de 1830, la révolution de 1848, les guerres de 1870, le siège de Paris, le développement du chemin de fer et de l'automobile. Ainsi s'écoule une vie dans toute sa banalité et sa singularité où s'égrènent pêle-mêle les plaisirs et les douleurs, les mariages, les naissances, la maladie, les mauvaises récoltes, les querelles familiales, la vieillesse et la mort. Le tableau est plutôt sombre mais se veut le reflet d'une époque.

 L'essentiel du récit est concentré sur la vie de tous les jours du héros de l'histoire "Tiennon". Chargé par son père dès l'âge de huit ans de garder les cochons, il s'emploiera ensuite à tous les travaux de la ferme et deviendra métayer. Ce livre est touchant par son authenticité, on ressent avec acuité toutes les misères et les petites joies des hommes de la terre à cette époque. Ils subissaient le joug de l'autorité des propriétaires, les "maîtres" archétypes de l'injustice, exploiteurs sans scrupules. Les métayers étaient accablés par l'impôt colonique, les corvées et devait subir seul les conséquences des intempéries. Lorsqu'ils parvenaient à mettre quelques sous de côté, leur faible instruction faisait d'eux la proie privilégié des escrocs en tout genre. Tiennon perdra en trois mois les quatre mille francs que sa vie de travail lui avait permis d'épargner. Ce livre est non seulement un livre du terroir, de sociologie et d'histoire, mais aussi un livre sur la vieillesse et le temps qui passe. C'est aussi un livre de sagesse, car Tiennon n'est pas un révolté, il est l'opposé d'un Jacquou le Croquant, il subit son sort avec humilité et se bat avec courage et honnêteté malgré l'adversité et les injustices subies. Une partie de la philosophie de l'auteur nous est livrée page 258 "Le vrai devoir de chacun me semble tenir dans cette ligne de conduite toute simple : bien travailler, se comporter honnêtement, ne chagriner personne, s'efforcer de rendre service quand on le peut, en particulier à ceux qui sont dans la misère et dans la peine...En s'y conformant à peu près je ne puis croire qu'on ait quelque chose à craindre ni là, ni ailleurs".

 En matière de politique, son raisonnement ne manque pas de modernité, même si ces lignes ont été écrites en 1901, elles résonnent très juste encore aujourd'hui : "C'est toujours la même histoire. Les opposants, aussi longtemps qu'ils n'ont pas la responsabilité au pouvoir, se disent capables de faire monts et merveilles, après quoi ils s'empressent d'imiter les autres. Que les socialistes arrivent en majorité, vous verrez le peu qu'ils réaliseront de leur programme. Alors surviendront de plus avancés qu'eux qui chercheront à les dégommer, c'est dans l'ordre. La politique, pure foutaise au fond !".

 Un livre émouvant et éclairant sur la condition paysanne d'hier et d'aujourd'hui encore. Il est l'œuvre d'un authentique écrivain qui se distingue dans l'histoire de la littérature par sa double identité de paysan et d'homme de lettres, il a toute sa vie mené de front ces deux activités. Emile Guillemin a quitté l'école à l'âge de 13 ans après seulement cinq ans d'études dans l'école primaire de son village. L'écriture est belle et au service d'une véritable leçon d'histoire et de vie, ce livre aurait cent fois mérité d'obtenir le prix Goncourt. Peut-être a t-on préféré à l'époque un écrivain plus conventionnel et mieux accepté par la bourgeoisie.

 En rangeant ce livre dans ma bibliothèque je m'aperçois qu'il s'insère exactement entre Gorki et Louis Guilloux, deux ėcrivains issus du peuple, une place de choix.

"La vie d'un simple", Emile Guillaumin, édition de poche 1972.

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