Genèse d'un monstre

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Okaa la sorcière entra dans la grotte suffocante et suintante. D'un mouvement souple des épaules, elle se débarrassa de la fourrure qui la recouvrait et apparut vêtue de sa seule robe grisâtre. Elle portait dans ses bras un paquet sanguinolent qui gigotait et vagissait faiblement ; un fœtus de sept mois, encore vivant, né quelques heures plus tôt. Okaa l'avait extrait du cadavre de sa mère.

Les hommes de son clan venaient de décimer tout un village, violer les femmes et passer au fil de l'épée tous les autres, y compris les enfants.

Okaa suivait souvent les guerriers dans leurs meurtrières expéditions. Le chef l'autorisait à passer parmi les cadavres. Ainsi coupait-elle quelques mains et récupérait des viscères sur les corps encore chauds des victimes ; il s'agissait d'ingrédients indispensables à ses sombres travaux.

Le ventre proéminent de la femme l'avait interpellé. Elle s'était saisie d'une épée, pour ouvrir son abdomen et en sortir le fragile nouveau-né. Le fait qu'il soit vivant l'avait réjoui. Cela en faisait un sujet parfait pour les projets diaboliques qu'elle ourdissait.

Sans attendre, Okaa rejoignit le fond de la caverne ; là se trouvait La matrice de sang, et juste devant, un autel de fer où étincelaient les yeux de son dieu. Au centre de l'autel, un creux, juste assez grand pour y accueillir le fœtus. Elle l'y déposa sans hésiter.

"Voici mon offrande, Ô grandiose magnificence, puisse-t-elle à jamais te combler."

Une cavité s'ouvrit au centre de l'autel. Le temps d'engloutir l'enfant, elle se referma aussitôt. Okaa fixa la matrice de sang, en espérant que, cette fois, son présent agréerait son idole. Elle entendit des sons métalliques provenant de l'autel. Son cœur battit plus vite... Un Gong retentit, puis des bulles apparurent au sein de la matière rouge sombre, l'enfant y apparut, ses yeux rubescents s'ouvrirent...

La sorcière éprouva un vif soulagement, son présent avait été accepté par le dieu, celui-ci allait pouvoir se réincarner.

Elle prévoyait déjà tous les bienfaits qu'elle en retirerait...


La conscience du voyageur était enfermée dans le serveur informatique de son vaisseau spatial, depuis qu'il avait échoué sur ce monde primitif. Juste avant le crash, il avait eu la présence d'esprit de relier la matrice de vie à la machine, puis son corps. Malheureusement, ce dernier fut détruit dans l'accident. Seul son esprit demeura et l'attente débuta.

Des jours, des années, des siècles, des millénaires. Au fil du temps, le paysage à l'extérieur de la carcasse se modifia, jusqu'à ce qu'une grotte piège les restes de son vaisseau. Par miracle, alors que son véhicule tombait en poussière, les fonctions du serveur et l'énergie autogénérée restèrent intacts, conservant sa conscience alerte et la matrice en bon état.

Cependant, le voyageur désespérait de pouvoir un jour se délivrer de sa prison électronique. Sa régénération physique restait compromise.

Jusqu'au jour où, enfin la chance vint à lui sourire. Une représentante de l'espèce dominante de la planète entra dans la grotte. Son esprit était primitif, mais sensible à la télépathie, capacité, que la machine avait conservé au voyageur.

Il prit contact avec la créature, une sorte de sorcière, et la guida vers les restes de son véhicule spatial. Ils se résumaient à la console de commande, le serveur lui-même et la matrice de vie inondée de liquide qui, au fil des années, s'était teinté de rouge sombre.

L'hominidée, envahie d'une crainte révérencielle, l'accepta comme son dieu. De là, il tenta d'influencer ses actions pour qu'elle lui procure du matériel biologique. Malheureusement, à chaque "offrande", le Voyageur éprouvait une vive déception, elle ne lui apportait que des morceaux de corps morts depuis trop de temps, parfois putréfiés. Cela le mettait dans une colère épouvantable, qui l'incitait à punir "sa servante", en lui provoquant de violents maux de tête.

Il aurait pu l'inciter, à s'offrir elle-même en tant que réceptacle, mais son corps était en trop mauvaise santé ; il avait besoin, de jeunes cellules. Elle commença à lui apporter des cadavres d'enfants, elle ne comprenait pas son besoin de matière vivante.

Ce jour-là, quand Okaa déposa le fœtus sur le plateau de réception du serveur, il était déjà préparé à un énième échec. Qu'elle ne fut pas sa surprise en constatant que cette fois, elle lui apportait du matériel viable. La matrice l'accepta et déversa aussitôt sa conscience, la symbiose fût immédiate. Le serveur enclencha l'accélérateur de croissance. Il contacta une dernière fois le mental de la primitive sorcière pour lui ordonner de revenir le lendemain.


Le jour suivant, dès le coucher du soleil, Okaa retourna à la grotte et se précipita vers l'autel. Elle sursauta de surprise en découvrant la matrice vide ; la substance rouge avait disparu. Troublée, elle chercha de tous côtés, ses yeux fouillèrent la pénombre. Elle sentait son cœur battre à une vitesse folle. Soudain, une voix retentit derrière elle :"N'ait point de crainte, Okaa je suis là !"

Elle fit volte face. Un homme brun à la peau brillante. La fixait de ses iris sanglants. Elle le vit sourire, dévoilant ainsi une denture gratifiée de longues canines.

À cet instant, la sorcière réalisa avoir créée un monstre. Il s'approcha ; elle pensa brièvement à fuir, se surprit à rester immobile, tétanisée. Il émanait de cette créature un magnétisme indéniable, sa terreur reflua. Quand il l'enlaça, elle se pâma et ferma les yeux : elle s'offrait.

Les canines du monstre s'enfoncèrent dans sa jugulaire, il aspira avec gourmandise et une faim dévorante son fluide vital. Il la vida de la totalité de son sang, avant de rejeter son corps, et d'émettre un soupir de satisfaction presque jouissif.

Il n'en avait pas encore fini, il se jeta sur le cadavre d'Okaa, le dépeça et dévora sa chair... Il éprouva alors une totale plénitude...

****

Le voyageur avait quitté sa grotte, après avoir détruit toute trace de technologie. Il était satisfait. La matrice avait bien fonctionné. Son éternité restait assurée. De plus, il pensait qu'il n'avait pas perdu au change. Ce corps qui était le sien à présent, s'avérait parfait et plaisant, bien plus que le précédent. Il songea brièvement aux tentacules visqueux de son organisme passé, repoussa ce souvenir. Le temps pour lui de se concentrer sur cette nouvelle étape de sa vie et de marquer l'histoire de cette planète débutait.

La Terre allait connaitre la réelle signification de la terreur, elle allait apprendre à craindre son nom.

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