Chapitre 55 - 2287*

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Chapitre 55

Il est tard quand nous arrivons dans le petit appartement parisien de ma tante. Le trois pièces que je connais par cœur est desservi par un couloir étroit, encombré de bibelots rapportés de différents voyages. Impossible pour moi de me défouler après plus de douze heures de route sans bouger ! Le trajet a été vraiment long, nous avons fait les frais de nombreux bouchons. Pour me détendre, je me suis désigné volontaire pour porter les bagages au quatrième étage. À la grande joie de tout le monde, je fais plusieurs allers-retours jusqu’à vider totalement le coffre de la voiture.

— Non, mais Tonio, utilise l’ascenseur ! me conseille Clo en me voyant arriver sur le palier, chargé comme une mule, et en sueur.

— Non, t’inquiète ! J’avais besoin de décompresser. De toute façon, c’était le dernier voyage !

— Il est malade, ce gars ! se moque de moi ma cousine. Y a un ascenseur et lui, il monte quatre étages cinq fois d’affilée à pied !

Je jette tous les sacs dans l’entrée et je rejoins mon frère Paulo qui est sur le balcon en train de fumer sa clope. Il fait nuit et nous surplombons une avenue encore chargée en circulation. La vue est franchement moche, avec toutes ces lumières qui s’allument et qui s’éteignent irrégulièrement. On se croirait à Noël, sauf qu’on est en plein mois d’août… Le bruit des moteurs de voitures qui bourdonnent résonne tout le temps dans ma tête. Je ne suis pas fait pour vivre en ville. Tout ici m’agresse les yeux, les oreilles, sans oublier le nez, à cause de l’atmosphère polluée et irrespirable !

— Putain, mais y a toujours autant de monde ? je questionne mes cousines.

— Bienvenue à Paris !

Clo se penche par-dessus le balcon pour regarder chez ses voisins. D’un air déçu, elle nous indique :

— C’est fermé chez les Baudin ! Je vous aurais bien présenté nos amies…

— Mieux vaut tard que jamais, ils vont se battre quand ils vont les voir… soupire Laura en se moquant de Paulo et de moi.

Il ne nous en faut pas davantage pour attiser notre intérêt.

— Elles sont si mignonnes que ça ? interroge Paulo.

Il est lui aussi captivé par le balcon voisin, j’en profite pour le photographier en train de faire le curieux. Le flash surprend tout le monde, et surtout les voitures en bas de chez nous qui se mettent à freiner.

— Y a des conducteurs qui ont vu le flash, ils ont ralenti, dit Laura en rigolant.

— Ils ont dû croire que c’était un radar… suppose Max.

— Vas-y, recommence ! me supplie Louise qui veut vérifier si ça marche. Dès qu’une voiture se pointe, tu flashes !

Voilà à quoi nous nous amusons durant notre première soirée à Paris. Je dois avouer qu’il nous en faut peu pour rigoler. Mine de rien, avec un simple flash de téléphone, nous arrivons même à faire ralentir les bus.

Malgré tous les efforts que font mes cousines pour m’apaiser et me mettre à l’aise, je ne suis pas motivé pour vivre une semaine dans cet appartement. J’erre du balcon orienté en plein soleil où je crève de chaud, au canapé du salon où je passe mon temps sur mon portable. Je tourne en rond et je déprime d’ennui ! Mon moral remonte quand Laura nous annonce avoir reçu un message de ses voisines qui nous proposent d’aller tous ensemble au cinéma. Le film en question est loin de m’emballer. Notamment parce que l’un des acteurs principaux est un chanteur pathétique qui me donne la gerbe, et me taper sa gueule sur grand écran durant près de deux heures m’effraie complètement.

— Mais c’est sur la guerre, m’encourage Louise qui me désespère à vanter les qualités inexistantes de Harry Styles.

— Je n’y vais ni pour toi ni pour ton gonze ! je me défends en faisant la moue. Je viens pour rencontrer tes voisines…

Depuis que nous sommes arrivés, toutes nos discussions tournent autour de Valentine, dix-sept ans, et de sa sœur Amélie, quinze ans. Avec Paulo, nous en avons l’eau à la bouche et nous avons déjà convenu qu’il se gardait la plus âgée et qu’il me laissait l’autre, même si la jeune est plus jolie.

— C’est réciproque ! nous indique Clo. Ça tombe bien, elles ont vraiment hâte de vous voir en vrai…

Nous avons fait un appel en FaceTime avec elles et elles ont plutôt l’air sympa.

— Moi, chuchote Paulo alors que ma tante est occupée à faire la vaisselle, je dis que pour mettre de l’ambiance toute la semaine, on devrait faire un Action-Vérité en continu jusqu’à notre retour !

— Bonne idée, approuve Max qui se languit de ne pas voir « mon » Agathe.

— C’est dur, quinze jours sans sexe, je me moque, ce qui fait rire tout le monde, sauf lui.

— C’est dur toute la vie sans sexe, m’envoie-t-il immédiatement balader.

Tout l’appartement se ligue aussitôt contre moi.

— Parle pas de ce que tu sais pas, Ducon ! je me défends sans conviction.

— On va pas s’engueuler maintenant ! nous coupe Paulo qui sent une dispute se préparer. Tonio, Action ou Vérité ?

Il s’affale dans le canapé et me fixe en se grattant le menton. Il connaît ma réponse, je prends toujours Action, même si je sais pertinemment que mon frère est un vrai sadique. Nous ne nous épargnons pas dans ce jeu. Ce ne serait pas drôle si nous nous investissions qu’à moitié.

— Action ! je hurle en mimant une prise de karaté comme si je partais combattre un ninja. Moi, je suis chaud !

— Ok, c’est parfait, moi aussi ! approuve Paulo. Tu peux te rasseoir, c’est des Actions longue durée ! Ce n’est pas pour ce soir !

Il m’indique le canapé dans lequel je saute sous le regard noir de ma tante qui m’a vu faire. Impatient de savoir ce que Paulo me réserve, je l’interroge :

— Je peux quand même connaître l’action, que je me prépare psychologiquement ?

— Au cinéma, tu tentes d’embrasser Amélie et si tu y arrives, au lieu de la galocher, tu lui souffles à fond dans la bouche !

Paulo est fier de son idée, il affiche un large sourire sadique dans ma direction. Mais mes cousines ne l’entendent pas de cette oreille.

— Oh non, les gars, vous ne vous servez pas de nos amies pour vos saloperies ! râle Louise, indignée.

— Moi, je dis ok ! Pari tenu !

Je me lève pour tchéquer Paulo devant mes cousines totalement désespérées.

Les filles ont prévu de se retrouver pour la séance de dix-huit heures. Nous arrivons un peu plus tôt, pressés de rencontrer les fameuses voisines.

— Elles sont là, nous indique Laura.

Elle nous montre du doigt deux adolescentes souriantes qui attendent debout devant la vitrine d’un magasin Sephora. De loin, les deux meufs se ressemblent énormément, toutes les deux de la même taille et brunes. La plus âgée a les cheveux lâchés alors qu’Amélie a relevé les siens en queue de cheval. Paulo me met un coup de coude pour me rappeler mon engagement.

Une fois les tickets achetés, nous entrons pour prendre place. Rapidement, Paulo et moi entamons la conversation auprès des deux jeunes filles. Tous les deux, nous sommes toujours très à l’aise dans un groupe. Nous aimons nous faire remarquer.

Je suis mon aîné qui s’installe au dernier rang et en profite pour me chahuter. Il me bouscule pour me déstabiliser et je m’affaisse dans les fauteuils. Je ne rentre pas dans son jeu, car je me concentre sur mon Action à réaliser. Ça paraît difficile à mettre en place parce qu’Amélie s’est assise devant nous, entre Louise et Laura. Je décide de me positionner derrière Louise en prévoyant de la pousser à se décaler pendant le film. Paulo est entre Max et moi, alors que Valentine et Clo sont à côté de Max.

Paulo m’énerve, car il commence d’entrée de jeu à jeter des regards du côté de Val' et cette pauvre fille qui ricane bêtement à chaque coup d’œil semble déjà avoir craqué. Je suis d’ailleurs surpris qu’il ne se soit pas mis à côté d’elle.

— T’auras du mal à la galocher à distance, je me moque de lui.

Paulo s’avance vers moi pour me murmurer avec assurance :

— Mais t’y connais rien ! Il faut se faire désirer avant de leur sauter dessus ! T’inquiète pas pour moi et regarde faire le pro !

— Le pro de mes couilles, oui !

— Occupe-toi de la petite, toi !

— Mais aucun problème ! Je vais te montrer !

Le film est à peine commencé que je me penche en avant pour parler à Louise. J’ai tout prévu. Mon plan diabolique va marcher, j’en suis certain, et cet arrogant de Paulo va en avoir le bec cloué !

— Louise, décale-toi sur la droite, j’ordonne à ma cousine.

— Non ! refuse-t-elle catégoriquement en restant concentrée sur l’écran.

— Allez, s’te plaît !

— Non !

Bon, j’avoue que ça commence plutôt mal. Impossible de la galocher de là où je suis… De plus, j’ai bien compris que je n’arriverai pas à convaincre Louise qui est trop absorbée par le film. Je renonce à utiliser ma cousine comme intermédiaire. Autant directement m’adresser à la personne concernée. J’ai juste un petit problème technique, j’ai déjà oublié son prénom. Moi et les prénoms des filles, c’est une longue histoire… Bref, je vais devoir improviser.

— Hey ! je l’appelle discrètement. Je peux venir m’asseoir à côté de toi ?

— Euhh…

Elle hésite et interroge Louise du regard.

« Hey », ça passe toujours ! Je vais la désigner comme ça en attendant de redemander son prénom à mes cousines. Louise soupire et finit par se décaler. J’escalade d’un bond le siège de devant pour m’installer entre Louise et « Hey ».

— Salut, ça va ?

— Ouais ! ricane-t-elle.

Elle rit, c’est déjà ça ! Fille qui rit, à moitié dans ton lit, je l’ai déjà dit ! Je me tourne vers elle pour ne plus la quitter des yeux dans ma tentative de conversation :

— Le film te plaît ?

— Ouais !

— Et t’aimes bien Harry Styles ?

— Oui !

— Moi aussi ! J’adore sa nouvelle chanson…

Je mens ! C’est bien ma veine de tomber sur une fan de H.S., c’est ainsi que je surnomme le chanteur. Pas moyen de trouver quelqu’un de normal qui apprécierait Nirvana et Guns'n Roses. Non, jamais arrivé !

— Du coup, tu viens juste voir le film pour te rincer l’œil et mater Harry ?

— Ouais !

Elle me plaît bien, cette petite brune, mis à part ses goûts de chiotte en matière de musique. Maintenant que j’ai mis en place l’entrée en matière, je dois appliquer mon plan génialissime.

— Est-ce que je peux te poser une question ?

— Oui !

— Si tu devais choisir entre m’embrasser et me donner une bonne claque, tu choisirais quoi ?

Elle éclate de rire en cachant ses dents avec sa main puis elle hésite.

— Je sais pas… Je n’ai pas envie de te taper !

— Donc t’as envie de m’embrasser !

— Euhhh… répond-elle en me détaillant, un brin gênée.

— Tu dis pas non ?

— Mais on se connaît à peine ! se défend-elle, toujours en rigolant.

Je note que je dois vraiment lui plaire. Combien de filles m’auraient directement envoyé chier ? Je vais insister…

— Donc t’as pas envie de m’embrasser maintenant, mais c’est possible que tu veuilles bien tout à l’heure ?

— Mais je sais pas !

— Chuuuttt ! s’énerve Louise à côté de moi, car je l’empêche de se concentrer sur le film.

Mais moi, je n’en ai rien à cirer de l’écran géant.

— Ouais, ta gueule, Tonio ! se moque de moi Paulo

Il en profite pour me mettre une claque sur la tête que je décide d’ignorer. Je lui réglerai son compte dès que j’aurai accompli mon Action, ou du moins dès qu’il pensera que je l’ai réussie…

— Bon, je vais te dire la vérité !

— Quoi ?

Je m’approche un peu plus de « Hey » et je lui chuchote en prenant garde que Paulo ne puisse pas entendre :

— J’ai parié avec mon frère que tu n’étais pas une fille facile et que si je tentais de t’embrasser, tu allais me gifler. Donc là, si tu ne me fous pas une claque rapidement, je vais perdre !

— Ok, je vois !

— Donc, tu veux bien me mettre une énorme baffe ? Genre je fais semblant de t’embrasser et tu te défends ?

— Ok !

Je passe mon bras par-dessus le fauteuil de « Hey », pour faire style que je la prends contre moi, et je penche mon visage vers elle. Elle me sourit et nous échangeons un regard complice.

— Vas-y, fort !

Elle lève la main et me décoche une droite en pleine tronche qui me déboîte la tête. Putain, c’est pas une gifle qu’elle m’a foutue, mais une bonne beigne ! Je vais garder la trace sur le visage un moment. Un peu plus, elle me pétait une dent !

— Tu m’as tué, je me plains en me tenant la joue.

— Tu m’as dit : fort !

— T’as intérêt à me faire un bisou après le cinéma pour te faire pardonner !

— T’es pas sérieux ?

— Bien sûr que si ! je lui rétorque en enjambant à nouveau le siège pour repasser derrière et me vanter auprès de Paulo d’avoir réussi…

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