Chapitre 54 - 2122*

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Chapitre 54

C’est notre dernier jour à Nice. Je ne peux pas vraiment dire que je sois heureux de m’en aller puisque nous allons maintenant passer une semaine à Paris dans le minuscule appartement de ma tante. Éva et Claire sont parties hier. Nous nous sommes dit au revoir sans trop d’effusion et sans regret pour ma part. Je suis plus que soulagé par leur départ. Ma première relation de couple aura duré quarante-huit heures ! Je suis fier d’avoir battu mon record qui d’habitude se restreint à une soirée.

Pour cet ultime après-midi, nous choisissons de nous rendre sur la baie de Nice. Il fait toujours aussi chaud et nous passons beaucoup de temps dans l’eau au milieu des vagues qui sont bien différentes de celles de l’Atlantique. Ici, elles sont si courtes que je les trouve ridicules. Pour couronner le tout, la plage est absolument inconfortable avec tous ses galets qui cassent les pieds et les fesses.

Nous disposons de très peu de place, nous sommes entassés les uns sur les autres. Chaque serviette touche celle du voisin. Décidément, hormis sa couleur bleu turquoise, la Méditerranée n’aura pas réussi à me séduire.

Alors que Paulo, Max et moi tapons le ballon sur un petit coin un peu retiré le long de la baie, nous sommes abordés par un couple extravagant et assez BCBG.

— Bonjour, vous êtes frères ? nous demande la femme cachée sous une grande paire de lunettes de soleil qui lui couvre la moitié du visage.

— Ouais, je lui réponds en renvoyant le ballon dans les jambes de Paulo qui s’éloigne de nous pour jongler.

— Vous avez quel âge ?

— Qu’est-ce que ça peut vous foutre ? je leur rétorque.

Je fais aussitôt signe à Paulo de me retourner la balle. Non, mais c’est vrai, ils nous veulent quoi, ces deux-là ? Le couple ne se démonte pas et se dirige alors vers Paulo qui tire un coup dans le ballon que je loupe. Je cours le récupérer avant qu’il ne percute une vieille, occupée à bronzer. Quand je reviens, Paulo est en grande discussion avec la femme qui a retiré ses lunettes et le gars qui fouille dans ses poches.

— Donc si ça vous intéresse, on pourrait faire des essais… conclut l’homme quand j’arrive à côté d’eux.

— Je ne sais pas, dit Paulo en haussant les épaules.

— Voici ma carte, nous sommes une agence très sérieuse, nous avons découvert plusieurs modèles qui travaillent désormais avec les plus importantes maisons du monde, comme Elite.

— C’est quoi ? je les interromps sans gêne.

Les deux adultes se crispent légèrement suite à mon intrusion dans la conversation ce qui fait sourire Paulo qui m’attrape par le bras pour m’expliquer fièrement :

— Ces gens me proposent de faire des photos !

— Ah ouais, et moi ? je les interroge pour tester leur sensibilité à ma splendeur naturelle. Je suis plus beau que lui !

La vieille pince ses lèvres gonflées par de probables injections de Botox. Niveau carrosserie rien ne me semble d’origine. Tout est faux, des ongles en passant par la poitrine jusqu’à sa chevelure peroxydée.

— À vrai dire, toi, tu es encore vraiment trop jeune, comme ton autre frère ! commente la femme en remettant ses lunettes.

— On continue ? me questionne Paulo qui n’a pas l’air convaincu par l’invitation du couple.

Il me reprend même le ballon d’un coup de pied habile alors que moi, je commence à trouver ces deux personnes intéressantes.

— T’es pas mal, me complimente le gars en me tapotant l’épaule. Mais tu reviendras nous voir dans trois ou quatre ans, hein !

Leur franchise ne me démonte pas le moins du monde, il m’en faut plus pour me remettre en question. J’analyse leurs propos en ma faveur : en effet, je suis beau, mais beaucoup trop jeune. Ça me convient parfaitement.

— Donc, je vous laisse ma carte, il y a mon portable, continue l’homme qui tend un papier blanc à Paulo.

— Comme vous êtes mineur, j’ai besoin du consentement de vos parents, ajoute la femme en replaçant ses lunettes.

Les sentiments de Paulo suite à cette rencontre sont difficiles à analyser. Son attitude ne change pas. Il ne semble même pas flatté par les compliments reçus. Il a rangé la carte dans sa poche, en nous disant qu’il verrait ça plus tard. Je trouve ça dommage, j’aurais bien aimé enquêter sur eux, du moins vérifier s’ils sont fiables. Paulo aurait peut-être pu se faire un paquet de fric.

En rentrant de notre soirée passée au camping, je décide de saluer une dernière fois mon cher voisin que je quitte demain. Il est deux ou trois heures du matin et je fais exprès de traîner loin derrière mes frères qui arrivent les premiers à notre tente. Une fois qu’ils disparaissent à l’intérieur, je monte délicatement sur la terrasse du crétin. Je ne dois faire aucun bruit et j’ai peur de faire craquer les lattes du plancher en marchant dessus. Une fois en haut, je m’avance jusqu’à l’entrée pour uriner sur la poignée. Je badigeonne la porte de pisse et ça me ravit… J’espère bien que ce gros con en aura plein les doigts demain matin. Mon voisin est tellement flemmard que je n’ai aucune appréhension. Il doit dormir comme un porc, je perçois d’ailleurs ses ronflements qui font vibrer les cloisons en tôle. Un sifflement provenant de ma tente me rappelle à l’ordre. Paulo et Max m’observent une fois de plus en rigolant. Je soupçonne Max d’être en train de me filmer. Peu importe ce qu’ils racontent et pensent, je termine mon sale boulot jusqu’au bout, enfin, jusqu’à la dernière goutte !

— T’es content de toi, merdeux ? m’interroge Paulo quand je rentre me coucher.

— Parfaitement, je dirais même que je suis soulagé, trou du’c ! Et si j’avais eu envie de chier, je lui aurais probablement lâché une bouse sur son tapis tout propre !

Max éclate de rire en m’entendant déblatérer mes conneries.

— Je t’imagine tellement, accroupi devant la porte pendant que le voisin sort ! conclut Paulo qui rigole avec nous.

Quelques petites heures plus tard, les ronflements de Paulo me réveillent. Je suis d’humeur joyeuse, déjà prêt à observer mon cher voisin. Mes frères ne traînent pas non plus, attendant patiemment avec moi sa réaction… Nous faisons nos valises sans quitter des yeux le mobil-home ennemi. Mon sac est très vite fait puisque je n’avais pas emporté grand-chose.

— Tu comptes te trimballer en maillot dans Paris ? se moque de moi Paulo en étudiant la taille de mon baluchon minuscule.

— Occupe-toi de ta garde-robe !

— Il sort ! nous annonce Max.

Sa réplique nous met aussitôt d’accord et nous plongeons tous les trois à plat ventre sur le sol. Avoir partagé quinze jours avec mes frères a changé nos relations. Nous sommes plus complices et plus soudés. Paulo et Max m’incluent dans leurs plans sans que ça leur pèse comme avant. Et moi, même si j’aime toujours les chicaner, je suis plus à l’aise avec eux et j’ai moins envie de les torturer par jalousie.

Seules nos têtes dépassent de la tente pour contempler le gros con qui s’étire sur sa terrasse. Il est pieds nus et il ne met pas longtemps à se rendre compte qu’il piétine dans une flaque. Évidemment, nous sommes tous les trois pris d’un fou rire à le voir regarder au-dessus de son crâne pour vérifier qu’il n’a pas plu. Il cherche comme un imbécile ce qui a bien pu se passer sur son plancher humide. Il se gratte les couilles négligemment avant de tirer la porte pour comprendre qu’il s’agit de mes urines.

— Espèce de petit con ! commence-il à gueuler dans ma direction.

Je plonge aussitôt dans la toile me cacher, fier de ma bêtise.

— Dites-lui de se laver les pieds ! je murmure à mes frères qui continuent de se marrer.

— Tu vas pouvoir lui dire toi-même, il arrive !

— Arrête tes conneries !

Je m’appuie sur Paulo pour vérifier et je constate par moi-même qu’il ne me ment pas.

— Regarde, me dit Max en s’écartant de l’entrée.

Mon crétin de voisin, furieux, est en train de descendre de sa terrasse d’un pas décidé, le visage rouge de colère. Je n’ai pas trente-six solutions qui s’offrent à moi, si je ne veux pas me prendre un coup de poing dans la gueule.

— Bordel, il va me tuer !

J’attrape rapidement mon skate pour tenter de m’échapper. Ce gros con est tellement mou du genou que je n’ai pas besoin de trop forcer pour l’esquiver.

— Oh, morveux, tu vas où ? m’interpelle-t-il en me voyant lui filer entre les pattes.

— T’as un problème, sens-la-pisse ? je dis en me retournant.

Sous les regards amusés de mes frères, je m’éloigne suffisamment du bonhomme pour éviter qu’il ne passe ses nerfs sur moi.

Après avoir fait un tour dans le camping pendant quelques longues minutes, je suis revenu me cacher derrière ma tante qui est en train de charger la voiture.

— Toi, je ne te félicite pas pour ta connerie ! marmonne-t-elle les mains sur les hanches. Il fallait que tu aies le dernier mot, pour changer !

À ma grande surprise, elle ne me punit pas. Tant mieux, je n’ai pas envie de rester cloîtré dans son appartement de Paris.

Dans la voiture, une fois sur l’autoroute, elle partage même avec notre tribu une anecdote qui nous fait bien rire.

— Ta bêtise me rappelle une ânerie que j’ai faite quand j’étais jeune, commence-t-elle en demeurant concentrée sur l’itinéraire.

— Raconte ! je lui demande.

Ça m’occupera cinq minutes. Il n’y a pas pire torture pour moi qu’un long trajet, ligoté par la ceinture de sécurité. Toujours assis à l’arrière du véhicule, j’ai envie de distraction.

— Certainement pas ! refuse-t-elle dans un premier temps. Je ne voudrais pas vous souffler de bonnes idées !

— On n’a pas besoin de toi pour nous donner de l’inspiration ! je la rassure en rigolant.

Je n’attends pas que ma tante, vieille de quarante balais, m’apprenne à faire des conneries qui sont probablement ridicules. Je la vois réfléchir dans le rétroviseur avant d’approuver :

— C’est vrai ! Bon, je vous raconte, mais vous n’avez pas intérêt de faire la même, sinon, je vous le fais payer jusqu’à la fin de votre vie !

— Mais oui, t’inquiète pas !

— Je devais avoir une dizaine d’années. Votre mère avait deux ans de plus. Nous avions des amis de notre âge qui dînaient avec nos parents. Tous les adultes étaient à table, alors que nous, les plus jeunes, traînions dans le jardin. Avec ma sœur, nous avions regardé la veille le film Scouts toujours dans lequel les personnages font une blague en mettant une crotte de chien dans un journal. Puis ils posent le paquet sur un paillasson et allument le papier avant de sonner à la porte. Évidemment, dès qu’ils ouvrent, les habitants sautent sur le feu pour l’éteindre. Bref, ma sœur, nos amis et moi avons décidé de faire la même chose à notre seul et unique voisin. Sauf que nous étions vraiment mauvais et mal organisés ! Ainsi, nous avons réussi à mettre l’emballage sur le paillasson, mais le voisin n’avait pas de sonnette et nous, pas d’allumettes. Nous avons donc demandé au petit-fils de notre voisin d’ouvrir sa porte d’entrée et de marcher sur le journal. Ce que le pauvre gosse a fait… Imaginez le plaisir de notre voisine quand elle a vu pénétrer dans le salon son petit-fils, les pieds pleins de merde. Elle s’est aussitôt présentée chez nous. Nous l’avons accueillie. Elle était furieuse et a réclamé de rencontrer nos parents. On a dit qu’ils n’étaient pas là, alors qu’ils étaient tous à table en train de rire et que leurs voix résonnaient dans toute la maison. La vieille s’est donc mise en colère et a insisté. Finalement, ma mère a fini par entendre la voisine mécontente…

— Et vous avez été punis ? je demande, intrigué.

— Bien sûr, mais je ne me souviens pas quelle était la sanction. En revanche, je me rappelle avoir eu terriblement honte ! Je n’osais plus regarder ma voisine !

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