Chapitre 51 - 2282*

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Chapitre 51

Quand nous nous présentons au premier restaurant non bondé, tous les regards sont rivés sur moi. Avec mon majeur, j’arrive à faire baisser tous les yeux. Ce geste incroyable, exécuté dans les dos de tata, rend tout le monde d’accord. Louise, qui m’a vu, n’hésite pas à me mettre un coup de coude en éclatant de rire.

— T’es insupportable ! Tiens-toi tranquille pour une fois qu’on sort du camping ! se fâche-t-elle.

Ma tante m’a trop bridé durant mes journées de punition, ça fait l’effet d’une bombe à retardement en moi. Je suis plus excité et énervé qu’à l’accoutumée. Le repas me semble interminable. J’ai vraiment du mal à rester assis sur une chaise. Je renverse deux fois mon verre et cela finit par convaincre tata que nous prendrons le dessert sur la Croisette en marchant.

Après le dîner, nous faisons une promenade afin de trouver l’endroit idéal pour regarder le feu d’artifice et manger une glace. Le bord de plage est calme. Je rage intérieurement de voir la mer muette. Mon océan est tellement chantant à côté. Il est à mon image, souvent brutal, déchaîné, et excessif. Le coucher de soleil est étriqué par les immeubles qui dominent la baie de Cannes. J’étouffe loin de chez moi, privé de ma liberté.

La rue pavée est large, mais bondée. Ça me fait sérieusement râler de croiser des gosses sur leurs skates alors que le mien m’attend dans la voiture. Ça fait un bail que je n’ai pas marché, j’avais oublié à quel point c’était chiant.

— Oh gamin, t’as pas lu le panneau ! je crie à un nain de jardin de dix ans qui sert à rien, comme tous les enfants, d’ailleurs !

— Quoi ? me questionne le troll en descendant de son skate Rip Curl tout neuf.

— Interdit aux skates ! Donc tu fais comme moi ! Tu marches, gamin !

Ma tante est loin devant et ne m’a pas entendu. Avec Clothilde, nous devenons les agents de la circulation des trottoirs anti-roulettes. Pas de skate pour moi, pas de skate pour les autres !

Pendant notre balade, un air me trotte dans la tête. Il tourne en boucle. C’est vraiment pénible quand ça arrive, car il ne s’agit jamais d’une chanson géniale.

— Mon pantalon est décousu, si ça continue, on verra le trou de mon… pantalon est décousu, si ça continue, on verra le trou de mon… pantalon est décousu, si ça continue, on verra le trou de mon…

Je transmets mon enthousiasme à ma cousine qui l’entonne également. Elle a une voix grave et gueule aussi fort que moi. Bras dessus, bras dessous, nous chantons en longeant la plage. Tous les deux, nous poursuivons parallèlement notre petit jeu de justiciers de l’ordre du trottoir.

— Oh le mioche, descends de ton skate !

Mais le gosse continue son trajet sans prêter attention à ma remarque ce qui fait rire Clo.

— Il a été plus vite que toi, celui-là !

— Mouais, le prochain, je le stoppe avec une taloche derrière la tête, tu vas voir qui va être le plus rapide !

— Ouais Speed ! Je te crois ! se moque-t-elle de moi.

— Te fous pas de moi, tu vas voir ce qu’il va prendre !

Alors que nous sommes en train de nous amuser follement dans notre jeu de rôle au milieu de la foule grandissante, ma tante s’arrête à un stand de confiseries pour faire le plein de friandises.

Nous nous collons tous contre la table recouverte de délices sucrés plus colorés les uns que les autres, la tentation est vraiment trop forte. Tata, Laura et Louise sont à l’opposé de l’étalage. Ma tante s’attarde, car mes deux cousines sont indécises sur le choix de la dernière poignée de bonbecs. Paulo fume une clope en matant toutes les meufs qui passent. Max est sur son téléphone, probablement à discuter avec Agathe. J’agite ma main droite au-dessus des bonbons pour montrer à Clothilde les fraises Tagada que j’adore, alors que ma main gauche remplit discrètement la poche de Clo avec des Dragibus et des Carensac. Personne ne se rend compte de rien. C’est une technique facile que je maîtrise à merveille. Je fixe les vendeurs, occupés à peser des sachets de réglisse en leur offrant mon sourire innocent. Je pointe ma main droite en faisant le mec qui réfléchit à ce qu’il va acheter. C’est tellement pratique d’être gaucher et de piquer tout ce qui me fait envie !

Je n’ai aucune appréhension ni culpabilité à voler. Je chaparde pour le plaisir, comme si c’était naturel chez moi. Depuis le portable du CPE, j’ai tout de même ralenti sur les objets précieux.

— J’ai plus de place, m’arrête soudain Clo en bloquant ma main.

— Déjà ?

— Mes poches vont craquer !

— Attends, c’est des sucettes ! C’est con de les laisser, je lui dis en chargeant mon maillot de bain.

Clothilde et moi éclatons de rire en nous éloignant du stand, les poches et la bouche pleines. Nous conservons cette histoire pour nous. Mes deux autres cousines seraient capables de cafter à tata ou à mes frères. Même si je me sens de plus en plus proche de ces derniers, je ne suis certain de rien quant à leur réaction s’ils apprenaient que je recommence à chaparder.

Tout le long de la promenade, nous gardons nos distances pour nous empiffrer. Ma tante finit par nous immobiliser devant l’endroit qu’elle trouve idéal pour contempler la baie de Cannes et le coucher de soleil qui se peint à l’horizon.

Nous nous asseyons sur la pelouse. Clotilde et moi serrés l’un contre l’autre. Paulo commence à se douter que je manigance quelque chose, il n’arrête pas de m’interroger du regard. Heureusement, le feu détourne son attention et pendant que tout le monde admire les fusées qui éclatent au-dessus de nos têtes, Clo et moi nous partageons équitablement le reste des sucreries. Le bouquet final est somptueux. Je n’ai jamais vu pareil spectacle. Accompagné d’une musique électro les couleurs dans le ciel sont féériques.

Le retour l’est beaucoup moins. Comme à l’aller, nous essuyons les bouchons et pendant que toute la famille s’est endormie dans la voiture, je joue les co-pilotes pour ma tante.

Sur la terrasse du mobil-home, je ressasse et je tourne en rond en maugréant… Deux ! Non, mais sérieux ? Mes deux crushes ! Paulo vient de conquérir une fille de plus. Encore une que j’avais repérée lors de nos évasions nocturnes. Il est déchaîné, cet abruti. Sophie, qui a été reçue au bac, rentre à la fac de Bordeaux et a préféré rompre à cause de sa tromperie. Maintenant qu’il est définitivement libéré d’elle, il est reparti pour papillonner. Cette situation ne m’arrange pas le moins du monde, car avec lui dans mes pattes, je n’ai aucune chance auprès des meufs, vu que je passe pour la réplique miniature de mon grand frère.

— Il est plus beau que toi ! Faudra t’y faire ! me tacle ma cousine Laura avec son franc-parler.

— Merci du soutien !

— Mais non, c’est pas ce que je voulais dire, mais t’as quinze ans et il en a dix-sept et demi, essaie-t-elle de se rattraper en piochant dans la poche de bonbons posée sur la table. Tu t’emballes pour des meufs de dix-sept ou dix-huit ans qui n’en ont rien à foutre de toi !

— Les petites jeunes ne m’intéressent pas !

— Et les 2002 ?

— Non plus !

— Ouais ! se désespère-t-elle. Bon, t’es irrécupérable !

— Moi, je vais à la piscine !

Ce matin, en me pointant à dix heures dans l’enceinte de la baignade, il n’y a pas grand monde. Deux vieilles, flétries et ridées, font leur aquagym au milieu du petit bain, avec leurs bonnets bleus fluo sur la tête, certes pas appétissantes.

Je parcours l’immense bassin pour m’établir sur une chaise longue à l’ombre. Il fait déjà chaud et je n’ai pas envie de cramer. J’aime bien être tout seul. La solitude ne me dérange pas, et puis maintenant avec mon téléphone, je ne suis jamais vraiment isolé.

Pendant que je déconne sur les réseaux sociaux, deux filles que je ne connais pas viennent s’installer sur les transats en face de moi, de l’autre côté de la piscine. Elles font à peu près la même taille et sont toutes les deux enroulées dans un paréo, une brune et une blonde, chacune avec des lunettes de soleil. Elles regardent dans ma direction et je ne me gêne pas pour leur faire un signe de la main en guise de bonjour, ce qui les fait pouffer de rire.

Allongées, elles se parlent et rigolent. Je suis comme un con, tout seul en face, à les mater par-dessus mon téléphone.

La voix est libre, Paulo n’est pas dans les parages, c’est le moment où jamais pour moi de faire leur connaissance ! Je décide de plonger dans l’eau pour me rapprocher d’elles et tenter un premier contact. Je les salue en m’appuyant sur le bord du bassin, à proximité des deux adolescentes. Elles paraissent assez surprises que je les interpelle sans détour et mettent un temps avant de me répondre.

— Salut ! me rétorquent-elles en cœur.

— Vous venez d’arriver ? Je ne vous ai jamais vues.

— Ah, non pas du tout ! se défend la brune, qui semble plus téméraire et sociable que son amie.

— Ok, vous avez quel âge ?

Je réalise que je suis effectivement un peu trop direct, j’avoue que j’aurais dû demander les prénoms avant de cibler la maturité. La blonde, c’est vrai que j’ai toujours un faible pour elles, a un joli sourire et des arguments plutôt convaincants dans son haut de maillot, surtout depuis qu’elle s’est penchée en avant pour me parler…

— Quatorze et toi ?

Merde, des jeunettes ! C’est pas des faciles, celle-là ! Elles sont naïves et inexpérimentées pour la plupart. Y a tout à leur apprendre ! C’est des novices et moi, ça me fout la trouille.

— Quinze ! Vous ne vous baignez pas ?

Je les invite juste pour le plaisir de mater la marchandise. C’est le privilège de l’été : pas de longs pulls pour dissimuler les formes ! Tout l’étalage est déballé. Tu achètes, ou pas ! La blonde est quand même vraiment pas mal pour son âge. L’avantage, c’est que quoi qu’il arrive, mon frère n’y touchera pas.

— Comment tu t’appelles ? me demande la brune, moins timide que sa pote.

— Tonio et vous ?

— Éva, réplique la blonde.

— Claire.

Nous continuons ainsi à faire tranquillement connaissance. J’apprends qu’elles viennent de Bretagne, qu’elles passent toutes les deux en Troisième et qu’elles sont dans la même classe depuis plusieurs années. J’essaie tant bien que mal de paraître normal et de ne pas faire trop de boulettes pour une fois. Je me retiens difficilement d’éclabousser tout le monde avec des bombes dans la piscine, d’insulter les vieilles et de faire des doigts au surveillant de baignade.

Vers midi, je rejoins ma famille pour déjeuner en donnant rendez-vous aux deux filles pour le lendemain, même heure, même endroit. Je me garde bien de parler d’elles à qui que ce soit.

Ainsi, pendant trois ou quatre jours, je retrouve Claire et Éva. Cette dernière me séduit de plus en plus. Elle est piquante quand je la taquine et j’aime beaucoup son sourire charmant et ses dents parfaitement alignées. Elle plonge souvent ses yeux dans les miens et me cherche du regard. Je comprends très vite que je lui plais aussi.

Un matin, Claire ne peut pas se baigner. Je ne lui demande pas pourquoi, mais je m’en doute. Je m’amuse avec Éva dans la piscine. Je la coule deux ou trois fois, elle essaie également de me faire sombrer au fond de l’eau. Nous nous battons au milieu des vieilles qui font leur aquagym et qui râlent, car je les éclabousse. Le courant passe plutôt bien entre nous, et même si je la sens distante et introvertie, je vois bien qu’elle craque vraiment sur moi. Alors pour une fois que nous avons l’occasion de nous retrouver en tête-à-tête, je décide de foncer. Éva est appuyée le dos contre le jet de la piscine et je me présente face à elle, lentement. L’adolescente me sourit et je comprends immédiatement qu’elle ne s’attend pas à ce que je l’embrasse, s’imaginant probablement une attaque-surprise.

Mais lorsque j’arrive à quelques centimètres de sa bouche, elle se raidit et m’interrompt :

— Tu fais quoi ?

— J’ai envie de t’embrasser !

— Non ! me coupe-t-elle rapidement en se relevant pour sortir.

Je reste dans l’eau comme un imbécile, surpris par son refus. C’est ce qui s’appelle un râteau… Éva part se sécher sur son transat et motive même Claire, qui semble déçue pour moi, à quitter la piscine. Je me retrouve tel un con avec les trois vieilles dégoulinantes sur le bord du grand bain.

Je l’aimais bien, cette fille ; pour son âge, elle était pas trop mal. Bon, je n’aurais probablement pas fait grand-chose avec elle, mais au moins, j’aurais galoché une meuf pendant mes vacances.

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