Chapitre 47 - 2334*

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Chapitre 47

Les vacances commencent lentement et c’est bien connu qu’une fois la nuit tombée, les loups sortent de leur tanière. Ainsi, à l’heure du coucher, Paulo, Max et moi rejoignons notre tente, puis sagement, chacun dans notre chambre, nous attendons désespérément que la lueur de la télévision du mobil-home s’éteigne. Lorsque le signal lumineux se meurt enfin, la liberté s’offre à nous.

Silencieusement, nous quittons notre antre pour entamer une visite nocturne. En descendant notre allée dans le crépuscule, nous apercevons un petit lac avec une plage pour la baignade et des pédalos sur un ponton en bois. Nous continuons notre balade vers le cœur du camping, il n’est pas très tard, à peine minuit et les chemins sont bien éclairés par des lampadaires.

Assez vite, nous entendons des voix du côté de l’aire de jeux pour enfants vers laquelle nous nous dirigeons. Nous découvrons dans la minuscule cabane et le toboggan une bande de jeunes de notre âge qui squatte ici tous les soirs. Rapidement, je me présente, mes frères font de même.

J’ai le sens du contact. Il m’est facile de discuter de tout et de rien avec des inconnus, et même de les faire rire pour détendre l’atmosphère. Paulo est un peu comme moi, il est vite à l’aise dans un groupe, contrairement à Max qui reste toujours en retrait. Depuis des mois, il est différent et vit dans sa bulle. Il est présent sans vraiment l’être et écoute les gens parler sans intervenir, parfois je me demande s’il comprend véritablement ce qu’il se trame autour lui. Pourtant depuis le début des vacances, je le trouve transformé, il se lâche davantage, il me fait penser à une bombe à retardement, sur le point d’exploser. Il a encaissé au fond de lui tant de choses difficiles que ce n'est pas possible autrement. Depuis qu'il a tout pété lors du pogo dans le vieux château, c'est comme s'il s'était libéré des chaînes qui le retenaient. Un nouveau Max est en train de naître, plus brut et plus coriace.

Nous ne mettons pas longtemps à faire la connaissance des trois filles et quatre garçons avec qui nous passons une bonne partie de la nuit à discuter. Nous nous promettons de revenir demain en fin de journée.

J’ai le sommeil perturbé à cause du changement de lieu. Je tente tout de même de dormir un brin. Je n’ai pas besoin de beaucoup d’heures de repos et quand je lis huit heures sur mon portable, je me lève discrètement, sans réveiller mes frères qui m’étrangleraient pour ça. Je saisis mon skate et je choisis de m’éloigner un peu de la tente pour m’amuser à faire quelques kick flips sur le chemin goudronné. Il fait déjà lourd, pas loin des trente degrés, et je suis en maillot.

Je ne me sens pas super bien ce matin, j’ai une boule qui me brûle le fond de la gorge. Pas besoin de ma psy pour deviner quel jour nous sommes et qu’inconsciemment, je revis l’épreuve tragique de l’an passé. Sur mon skate, j’essaie de me sortir de la tête le souvenir de ma mère qui m’a lâchement abandonné. Je trépigne et fais les cent pas pour me vider l’esprit, pour purger mon cœur qui saigne, mon corps qui m’oppresse.

Je tue le temps avec mon meilleur ami le skate « Rob » qui fait partie de ma vie depuis plusieurs années maintenant. Il me suit partout et m’évite de trop penser. Il est plutôt pourri, mais je l’aime quand même. Malgré divers essais, je loupe toutes mes figures et Rob s’écrase à chaque fois sur le sol. Je m’énerve après lui et bougonne à voix basse.

C’est ce moment que choisit mon voisin pour sortir son gros ventre et sa grande gueule de son chalet :

— Hey, gamin, tu vas pas me saouler tous les matins avec ta planche à roulettes ! J’ai une fille qui dort, alors tu dégages plus loin !

Non, mais c’est à moi qu’il cause, ce vieux con ? C’est franchement pas le jour de me casser les couilles, j’en veux à la terre entière et je suis prêt à faire payer au premier venu tous mes malheurs. Je souris amèrement face à son agacement. J’ai une technique radicale pour ce genre de mec qui se croit supérieur en me traitant de gamin : ne rien faire ! Plus précisément, je reste concentré sur mon skate, comme si je ne l’entendais pas. Je parie ma planche de surf qu’il pète un câble dans les trois minutes qui suivent…

— Hey, petit con, la branlette te rend sourd ? T’as pas compris ce que je viens de te dire ?

Gagné, je songe, en sentant l’énervement m’envahir. Je stoppe mon skate pour jeter un coup d’œil vers la tente où les têtes de mes abrutis de frères dépassent pour me regarder faire. Mais ça ne va pas m’empêcher d’exprimer ce que je pense à cet emmerdeur !

— Tu te crois chez toi, gros porc ? Et d’une, tu me connais pas, donc tu fermes ta grande bouche et tu m’appelles pas gamin. De deux, si j’ai envie de te casser les couilles tous les matins avec mon skate, t’es pas prêt de me l’interdire ! Il est huit heures trente et je suis dans mes droits. Et de trois, c’est pas de ma faute si t’es un frustré du cul et que t’as une petite bite !

Je conclus ma magnifique tirade d’un levé de majeur en m’enfuyant sur mon skate avant qu’il ne saute la barrière de sa terrasse…

Mon gros porc de voisin s’est bien vite recouché après notre gentille altercation. J’ai pu faire deux ou trois fois le tour du camping avec Rob pour ravaler mon chagrin et cacher du mieux que je peux ma peine. En rentrant pour le petit-déjeuner, je repasse amèrement devant le chalet du connard. Je suis vraiment échauffé et je ne vais pas le laisser tranquille de sitôt ! Il se prend pour qui ?

Chez moi, personne ne bouge. Après leur petite nuit, mes frères se sont rendormis et ne seront pas debout avant midi. Il est probable que ça soit pareil pour ma tante et mes cousines. Je tourne en rond autour de notre emplacement, assailli par tout un tas de songes négatifs, lorsque mon regard est attiré par l’énorme bouée flamand rose de notre imbécile de voisin. Je l’imagine en moule-bite, installé sur son flotteur au milieu de la piscine. Finalement, je m’approche d’un pas décidé. Je jette un coup d’œil à droite et à gauche, je saisis la bouée et la lacère d’un coup de canif que j’ai eu la bonne idée de garder dans ma poche.

La guerre est déclarée. Je balance le plastique dans sa poubelle restée devant les marches de son chalet, puis je vais m’affaler sur un fauteuil de notre terrasse, face à mon ennemi, histoire de profiter du spectacle de son lever…

J’ai la haine et toujours cette boule qui gonfle au creux de ma gorge et qui m’oppresse. Je ressasse encore le manque affectif de ma mère. Mon voisin tombe à pic pour devenir mon défouloir. J’en veux à la terre entière et donc forcément à lui. Je mordille le médaillon en or du petit ange attaché à mon cou. J’ai retrouvé ce bijou au fond d’un tiroir, l’an dernier. Les initiales de ma mère y sont gravées au dos.

Je pense que j’aurais dû essayer de la dissuader. Il y a eu des signes dans son attitude. Elle avait changé. Si je lui avais dit que je l’aimais, peut-être qu’elle serait restée. Les regrets, la peine et la douleur ne me laissent plus en paix depuis qu’elle est partie.

Clothilde me tire de mes songes en ouvrant enfin la porte du mobil-home.

— T’es déjà debout, toi ?

— Ouais ! j’essaie de prononcer en sentant ma voix disparaître.

— T’es malade ?

— Non, je chuchote, incapable d’émettre un son audible.

Ma voix s’est éteinte. Quelle punition pour moi, me retrouver privé de parole ! Comment vais-je me défendre face à l’abruti d’à côté ? Merde, il ne manquait plus que ça.

Pour m’imiter ironiquement, ma cousine se met à murmurer :

— T’as déjeuné ?

— Pas encore !

Je n’ose plus forcer sur mes cordes vocales. Je jette un coup d’œil au voisin qui ne bouge toujours pas.

— J’attends que quelqu’un se décide à me faire mon petit-déjeuner…

— Ce ne sera pas moi car je déjeune jamais le matin ! décline Clo. Mais t’as qu’à rentrer et te servir !

— Non, y a bien une âme généreuse qui va finir par me le faire…

— Si tu crois que t’es tombé dans un hôtel quatre étoiles, tu te trompes !

Clothilde s’assoit à côté de moi pour contempler son portable lorsque ma tante et mes autres cousines se lèvent enfin.

— Bien dormi ? m’interroge tata.

Je lui fais signe que « oui » en raclant ma gorge pour essayer d’émettre un son quand mon imbécile de voisin se décide à foutre un pied dehors. Il s’étire sur sa terrasse et examine dans notre direction. Je lui jette un coup d’œil provocateur, mais il s’en moque totalement. Il salue gentiment tata qui lui répond par un bonjour.

— Tu le connais, interroge Louise surprise par l’échange de regard entre les deux adultes.

— C’est un voisin, il a l’air sympa !

Ma tante, flattée de son sex-appeal, affiche un grand sourire et avale son café, toute guillerette.

— Un connard, je murmure suffisamment fort pour que tata entende.

— Il est poli et gentil, me contredit-elle. T’es malade ?

Elle me détaille en plissant les yeux. Je remue la tête pour signifier clairement un « non, c’est rien ! »

— Tu prends quoi au petit-déj ? me questionne Laura.

— Chocolat chaud ! je chuchote, énervé que ma voix ne revienne pas.

Après avoir bien maté tata en chemise de nuit, les yeux du connard tombent sur sa poubelle où trône le flamand rose. Je ne peux retenir ce sourire moqueur qui défie l’abruti d’à côté. Évidemment, il percute rapidement la situation et ramène son plastique rose et son gros ventre sur notre emplacement pour expliquer à ma tante notre dispute de tout à l’heure et mon homicide sur son flotteur.

— C’est vrai, Tonio ? m’interroge-t-elle.

— Ouais, je chuchote.

— T’avais une grande gueule ce matin, on dirait que tu t’écrases devant ta tante…

L’abruti me provoque et fait son petit numéro de charme devant tout le monde. Je le fixe en plissant les yeux. Il ne m’impressionne pas.

— Je peux plus parler, Ducon ! je souffle.

— Tonio, me coupe tata en me mettant une tape assez forte derrière la tête. Tu t’excuses de suite !

— Pas question, c’est lui qui m’a insulté le premier ! je refuse en montrant le voisin du doigt.

Ma tante qui commence à être gênée me fait les gros yeux. Elle n’apprécie pas qu’on lui désobéisse. Ça m’est égal, je n’ai pas l’habitude de me soumettre.

— Tonio, dépêche-toi !

— Non !

— C’est pas grave, on a tous été des gosses, je le comprends ! finit par dire le voisin d’un ton charmeur.

— C’est pas une raison ! insiste ma tante fâchée contre moi.

Ils peuvent bien dire ce qu’ils veulent, me hurler dessus ou me punir, j’ai une bonne motivation pour ne céder pas. J’ai mal au cœur et faire mal aux autres me soulage. Je suis donc pleinement satisfait de ce que j’ai fait, je vais même recommencer demain matin et tous les matins des vacances tant que l’abruti sera là ! Je ne le quitte pas des yeux, jouissant de son emportement vis-à-vis de moi lorsque mes deux frères se lèvent enfin. Ils comprennent rapidement le contexte et se gardent de commenter, préférant rire intérieurement de la situation de notre voisin avec son flamand rose.

— Bonne journée, finit par lâcher Ducon.

— Merci. Toi, t’es puni ! m’annonce ma tante en me pointant du doigt. Tu bouges plus d’ici ! Tu restes à côté de moi ! Toi et moi, on ne se quitte plus des vacances ! Compris ?

J’approuve d’un signe de la tête, me foutant complètement de sa sanction à la con. De toute façon, elle m’attachera pas la nuit, alors pas de soucis ! En plus, ce n’est pas moi qui serai le plus emmerdé dans l’histoire ! Elle saisit très vite ce que ça fait de m’avoir collé à elle H24.

— On va à la piscine ? propose Max pour changer de sujet.

— Je peux pas, je suis puni, je chuchote en défiant ma tante.

— T’es malade ? s’inquiète Max, surpris par ce qu’il reste de ma voix.

— Il mue ! se moque Clo alors que Paulo, dont j’évite le regard depuis tout à l’heure, comprend rapidement ce qu’il m’arrive.

Il se positionne derrière moi et applique sa main gauche sur ma tête alors qu’avec son autre main, il agrippe mon menton pour m’obliger à lever les yeux vers lui. Son geste, bien que maladroit, remue en moi trop d’émotions sur le lien fraternel qui nous unit.

— C’est bon, laisse-moi ! je m’énerve.

Je me lève d’un coup pour me cacher dans la tente et contenir toutes les larmes de mon corps qui menacent de sortir sans autorisation.

— Tonio ! essaie-t-il de me retenir.

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