Chapitre 45 - 1466*

6 minutes de lecture

Chapitre 45

Après m’être habillé et préparé, je quitte rapidement la maison pour rejoindre mes potes qui traînent sur le petit port du village par cette soirée encore chaude. En arrivant sur l’esplanade, je cherche naturellement l’océan, mais l’eau s’est retirée. La marée est basse et les bateaux de pêche colorés reposent sur les vases. Sur les berges enherbées, quelques habitants se sont regroupés pour discuter. Sous le grand platane, à proximité du calvaire, les plus vieux s’abritent des derniers rayons du soleil. De l’autre côté, sur une table de pique-nique où chacun d’entre nous a gravé son prénom au couteau, les plus jeunes plaisantent. Bien qu’il soit un peu tard, j’espère encore trouver Marion parmi eux. Dakota est là aussi, assise de dos. Je reconnais ses cheveux blonds noués dans un chignon.

— Salut les gars, je cherche Marion !

Dakota se retourne pour me foudroyer du regard. J’avoue que c’est totalement maladroit de ma part de débarquer ainsi en réclamant Marion… Pas grave, elle s’en remettra.

— Il est onze heures et demie ! Elle est déjà partie, me lance Jimmy sur un ton plutôt sec en jetant un coup d’œil vers Dakota.

Merde, c’est vrai que Marion a un couvre-feu ! Je dois absolument la voir quand même… Si je pars sans la saluer, elle va en faire tout un plat.

— Ok, merci. Je vais chez elle, du coup ! Salut les gars, on se retrouve à la rentrée ! Bonne fin de vacances, Dakota.

En prononçant ces derniers mots, je lui destine un petit signe de la main accompagné d’un ridicule clin d’œil.

Je remonte sur mon skate pour me présenter devant la maison de Marion. J’essaie d’effacer l’image de Dakota à moitié nue de mes pensées. J’ai de plus en plus de mal à faire la part des choses entre les deux filles. J’apprécie beaucoup Marion et je ne veux pas que Dakota vienne polluer notre relation. Sa chambre est toujours éclairée. Elle ne dort pas. Je pourrais frapper à la porte, mais il est fort possible que ce soit son vieux qui m’ouvre. Si c’est le cas, je vais encore avoir droit à une multitude d’interrogations sur le jardinage. Comme s’il était évident que je connaisse tout sur les plantations de légumes, uniquement parce que mon père est agriculteur. Pour lui, je suis né avec la science infuse du cycle biologique des espèces domestiquées. Jamais il ne questionne Paulo à ce sujet, non, il me réserve ses réflexions pourries.

Après avoir envoyé un message directement à Marion, celle-ci m’ouvre la porte et nous nous rendons dans son jardin, sur les transats au bord de la piscine.

— Tu veux quoi ? me demande rapidement ma pote.

Elle semble énervée. Elle évite mon regard. J’ai soudain un pincement au cœur de la quitter. Je sais qu’elle va me manquer. Ce soir, elle me paraît si fragile, revêtue de son pyjama rose.

— Je voulais juste passer te dire au revoir, car on ne va pas se voir pendant plus d’un mois.

Nous nous étendons sur le bain de soleil, dans l’obscurité de la terrasse. La nuit est silencieuse, seul le moteur de la piscine ronronne à côté de nous.

— Et alors ? s’indigne Marion qui s’installe à califourchon sur son relax pour m’affronter. On s’est pas vus pendant plus d’un mois et t’as passé tout ton temps libre en tête-à-tête avec Dakota !

C’est vrai que je l’ai quelque peu délaissée. Mais c’est le premier été où j’ai autant de latitude ! J’ai pu faire quasiment tout ce que je voulais, entre les campings, le surf, les soirées. De plus, Marion a des parents super sévères et elle n’a pas autant de droits que moi. Alors oui, j’ai tracé avec mes potes et Dakota depuis le mois de juillet.

— Oui, mais elle sera plus là à mon retour…

J’essaie de me rattraper tant bien que mal. Dakota vit le reste de l’année chez sa mère, à plus de cinq cents kilomètres de Bordeaux. Elle ne vient que pour la moitié des vacances scolaires.

— Et bien moi non plus, puisque je serai partie en Corse !

Penchée en avant, Marion joue avec un petit morceau de plastique accroché à sa chaise longue. Je cherche désespérément son regard, mais elle ne m’accorde aucune attention.

— Je sais…

L’accueil froid de Marion me conforte dans l’idée que je ne vais pas m’attarder auprès d’elle. La situation s’apaisera forcément à mon retour pour la rentrée.

— Bon, j’y vais !

Je me lève, je glisse mes mains dans mes poches et je me positionne face à mon amie.

— Salut ! réplique-t-elle en se tenant debout face à moi.

Je m’avance pour déposer un bisou sur sa joue, mais elle recule d’un pas en regardant mes lèvres.

— Tu n’imagines pas m’embrasser ?

— Quoi ?

— Je ne sais pas où ta bouche a traîné ce soir ! m’accuse-t-elle en pointant son index dans mon ventre, ce qui me fait reculer. Tu ne crois quand même pas me toucher avec !

« Si j’aurais su, j’aurais pas venu… » comme dit si bien le petit Gibus dans La guerre des boutons ! Marion devine tellement de choses sur Dakota et moi… Je ne trouve rien d’autre pour me défendre que de lancer en haussant les épaules :

— N’importe quoi !

— Tu me prends pour une conne ? s’énerve de plus belle ma meilleure pote. Dakota est partie te chercher et vous avez mis plus de deux heures à arriver !

— Et alors ? Depuis quand tu me chronomètres ?

Désormais, les yeux dans les yeux nous nous affrontons. Ceux de Marions sont brillants, je sens qu’elle est blessée. De mon côté, j’essaie de paraître naturel, comme si tout ce qui se passait avec Dakota n’avait pas d’importance.

— Et alors, rien ! conclut-elle avec indifférence. Tu sors avec elle ?

— Toujours pas !

— T’es vraiment un connard !

En retournant chez moi, alors que je médite sur Dakota qui me fait la gueule, car je ne sors pas avec elle, et Marion qui me fait la gueule, car… je ne sors pas avec elle, j’entends mes deux frères se marrer à l’étage.

— Tonio, viens voir par-là, m’appelle Paulo depuis la salle de bains.

Merde, si ça se trouve, il s’est rendu compte que Dakota s’est servie de sa brosse à dents !

— Qu’est-ce que t’as, trou du’c ? je lance en montant les marches de l’escalier.

En poussant la porte, je découvre mes deux frères face à moi : Paulo appuyé contre la paroi de la douche, les bras croisés, et Max debout à côté du toilette. La brosse à dents est bien dans le verre sur le lavabo, tout semble à sa place.

— Depuis quand tu mets des capotes pour te branler, le surdoué ? me tacle Max alors que son regard et celui de Paulo se penchent au-dessus de la poubelle.

— Prenez pas vos cas pour une généralité ! je leur réponds en gonflant mon torse plein de fierté.

— C’était qui, branleur ? m’interroge Paulo en saisissant sa brosse à dents pour y étaler du dentifrice.

Je balance le prénom de Dakota en contemplant Paulo qui active sa brosse sur ses dents. S’il était au courant, il me tuerait probablement sur-le-champ.

— Non, mais t’es minable ! s’énerve Max. On touche pas aux ex et aux sœurs de ses potes, tu sais pas ça ?

— Toi, si tu veux ! Moi, j’ai aucun scrupule !

Je m’appuie le dos contre la porte pour contempler Paulo en riant intérieurement.

— T’es vraiment un merdeux ! se marre Paulo.

Il se penche sur le lavabo et crache un jet blanc puis il s’essuie à la première serviette qu’il trouve.

— Ouais et tu pourrais foutre tes capotes ailleurs que sous notre nez ! râle Max qui agite la poubelle pleine sous mes yeux.

— Ah oui, c’est vrai. Je devrais faire comme Paulo, et les balancer dans la boîte aux lettres de La Poste qui est sur la place du village.

— Comment tu sais ça ? me questionne sérieusement mon frère, avant de s’étirer.

— J’entends la factrice hurler tous les matins en relevant le courrier !

Nous rions tous les trois de bon cœur en imaginant la pauvre postière désabusée. Je songe que finalement j’ai beaucoup plus de points communs avec mes frères que je ne l’avais pensé. Nous avons à peu près les mêmes délires et je devrais davantage leur partager mes bonnes idées.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Antoine COBAINE ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0