Chapitre 42 - 1445*

6 minutes de lecture

Chapitre 42

Ça va faire deux jours que mon père a disparu… Pas de nouvelles de lui ! Il est parti un matin sans rien dire et nous a plantés là en gueulant qu’il en avait plein le cul. Je trouve sa réaction un peu excessive et je m’inquiète de son absence. Qu’allons-nous advenir, s’il ne revient pas ? Mes frères ne se posent pas autant de questions. D’après eux, il est simplement allé assouvir des besoins naturels pour un homme seul et ils sont persuadés qu’il va rentrer sans plus tarder.

Paulo squatte chez Sophie, et Max, chez Agathe. Moi, je voudrais bien taper l’incruste chez Marion, mais il y a déjà Paulo et en plus, elle me fait carrément la gueule depuis que je l’ai abandonnée en discothèque pour m’isoler avec Dakota. Je ne peux pas non plus bouffer avec cette dernière à cause de Jimmy qui monte la garde dès que j’approche sa sœur.

Je suis donc tout seul chez moi, à terminer l’ultime boîte de céréales Trésor qui me sert de repas depuis deux jours, car les placards, frigos et congélateurs sont totalement vides. D’un côté, je suis bien content de ma solitude. Personne n’est là pour me dicter ma conduite et râler parce que je fais du bruit en prenant ma douche à deux heures du matin. Mais d’un autre côté, je me sens complètement abandonné. Ça me déprime et trop de choses auxquelles je ne veux plus penser remontent en moi. Comme ma mère qui est morte dans le jardin, juste derrière la porte de la cuisine.

Tranquillement installé sur mon canapé, je comate de bon matin, pendant que Max se prépare à partir à nouveau chez « mon » Agathe.

— Tu fais quoi ? me questionne-t-il en boutonnant son polo bleu marine qui fait ressortir son bronzage.

— Une commande sur le Drive de Carrouf ! J’ai trouvé une carte bancaire du vieux sur le buffet, donc je remplis les placards.

— Calme ta joie ! me coupe-t-il dans mon élan. Pas la peine d’acheter un wagon de bouffe ! On part dimanche pour Nice, rejoindre tata.

— Quoi ?

Je pose mon iPad à côté de moi pour chercher à comprendre ce que Max est en train de me raconter. Nous nous dévisageons. Max tente de rester serein face à moi qui panique complètement.

— Tata et les filles seront à Nice pour quinze jours, elles nous invitent à camper, et ensuite elles nous remontent à Paris.

Mes frères sont toujours au courant avant moi des événements à venir. Je ne prête pas attention à ce qui se passe dans le futur et je ne sais jamais ce que je vais faire le lendemain. Je n’ai pas de projets et pas de calendrier. Max est mon agenda. Il semble d’ailleurs ravi de ces vacances forcées. Tout mon contraire.

— C’est une blague ? Mais je ne veux pas partir !

— On n’a pas le choix, merdeux ! articule Max en réduisant à néant la dernière petite lueur d’espoir qui me restait. Le vieux a décidé de nous envoyer là-bas.

— Non, mais moi, j’y vais pas, branleur !

Je refuse catégoriquement en énumérant tout ce que je dois abandonner ici : la plage, Dakota, mes potes, mon skate (non, lui, je l’emmène), ma liberté. Ma tante est une dictatrice, finies les sorties, les repas à pas d’heure, internet à volonté, l’impolitesse, l’irrespect.

— En plus, c’est ce taré de Maurice qui nous conduit jusque là-bas… Et d’après ce que j’ai entendu, le trajet sera un vrai pèlerinage !

— Mais dimanche, c’est dans deux jours !

— Tu sais compter ! Tu t’améliores… T’es bien parti pour la Première S ! me lance mon frère sur un ton admiratif qui n’exprime rien d’autre qu’un total foutage de gueule.

— Oh, ferme-la !

Je balance la boîte de céréales dans sa tronche et il l’évite de justesse.

Je reste abasourdi par la nouvelle. J’essaie de me résoudre à l’idée d’aller retrouver ma tante et mes trois cousines, pour un trajet de deux jours, accompagné par Maurice le grincheux, meilleur pote de mon père qui conduit comme un escargot sa caisse pourrie… Quand soudain je réalise qu’à Nice, on ne surfe pas. Bordel, qu’est-ce qu’on va foutre là-bas ?

— Oh, arrête de chialer ! s’énerve Max qui se recoiffe. Fallait profiter de ton mois de juillet pour surfer, au lieu de chasser Dakota !

— N’importe quoi, j’ai presque pas surfé à cause des orages ! je me défends.

Je repense à l’été minable où les journées rythmées par les drapeaux rouges se sont succédées. Les courants et le mauvais temps n’ont pas été propices au surf.

— Ben dis-toi qu’il y en aura aussi en août !

— Et mon anniversaire ?

Je suis tellement déçu de ne pas pouvoir préparer une soirée phénoménale comme j’en ai toujours rêvé.

— Tu le fêteras à Nice, avec tata ! éclate de rire cet abruti.

— Et Paulo, il dit quoi ?

Mon frère est mon ultime recours.

— Paulo, il est ravi, car il en a plein le cul de Sophie…

Si même Paulo est emballé à l’idée de traverser la France en plein été, pour crever de chaud dans les bouchons, enfermés dans la caisse de Maurice qui n’a pas la clim ; aller sur des plages où le sable et les vagues sont exclus et finir par se casser le dos sur le malheureux tapis de sol de la tente, avec comme bruit de fond les ronflements du camionneur qui me sert de tata ; en effet, la cause est perdue d’avance.

Il ne me reste qu’à prévenir mes potes et Dakota que je les abandonne…

Je choisis de me consoler en invitant ma bande de copains à venir me tenir compagnie. Il pleut et nous squattons le salon.

— Mais il est où, ton vieux ? me questionne Jimmy, intrigué que je sois seul.

— Soit il a une meuf, soit il est chez les putes !

— Tonio, tu devrais pas dire ça ! me reprend aussitôt Marion qui sait bien que je ris jaune.

Elle n’aime pas m’entendre parler ainsi de mon père. Elle trouve que je lui manque de respect. Ça m’est complètement égal, il n’avait qu’à rester au lieu de partir sans rien dire.

— On s’en bat les couilles, de toute façon ! Je suis un pro du Drive de chez Carrouf, j’ai fait les provisions…

Puis je lève mon verre de vodka orange pour porter un toast :

— Les gars, à la fin de mes vacances !

— T’es puni ? s’inquiète aussitôt ma meilleure pote qui s’imagine toujours le pire pour moi.

— Non, je pars à Nice dimanche ! La sœur de ma mère a loué un mobil-home avec mes trois cousines. Je vais la rejoindre quinze jours et ensuite, on ira chez elle à Paris.

— Je ne serai plus là quand tu reviendras ! réalise Dakota. Je serai retournée chez ma mère.

Mon regard passe de Marion à Dakota qui semblent autant chagrinées l’une que l’autre d’apprendre mon départ. Elles sont toutes les deux dépitées et elles me donnent encore plus le cafard.

— Moi, je serai en Corse ! rajoute Marion tristement. On ne se verra plus jusqu’à la rentrée !

— Putain, moi aussi, je serai en Bretagne du 15 au 30 août ! constate Jimmy.

— Et moi, je serai à Saintes-Maries-de-la-Mer, avec la communauté gitane, se vante Dylan.

— Il semblerait que ce soient les deux dernières soirées de nos vacances ensemble, alors…

Ma conclusion démoralise toute notre bande. Le reste de la nuit se déroule tranquillement, sans excès ni débordement, basée sur des échanges et des pronostics pour la rentrée.

Au moment de dire au revoir à Dakota, celle-ci s’inquiète de ma nonchalance. Elle pose ses deux mains sur mes épaules et me demande en me regardant droit dans les yeux :

— Tonio, ça ne va pas ?

— Comme quelqu’un qui se casse trois semaines au bagne ! je lui réponds, en haussant tristement les épaules.

— T’exagères !

— Pas du tout, tu connais pas ma tante ! Dors avec moi cette nuit…

Dans mon désarroi, je lui prends la main pour la convaincre de rester. Je tente, après tout, il faut toujours espérer. La maison est vide, c’est le moment où jamais…

— Demain soir, je viendrai te dire au revoir ! Je serai toute seule, me glisse Dakota à l’oreille avant de déposer un bisou rapide sur mes lèvres.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Antoine COBAINE ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0