Chapitre 37 - 1354 -

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Chapitre 37

Mon frère s’est fait une belle frayeur. Il aurait pu perdre un morceau de doigt, mais au final, le médecin du service des Urgences a pu lui regreffer son ongle. Hormis le fait qu’il ne peut pas se baigner durant deux à trois semaines, et donc pas surfer, il s’en sort plutôt bien. J’imagine que cet abruti va facilement se contenter de passer son mois de juillet dans les bras d’Agathe, ce qui me fait bien rager. Et vu sa manière de se comporter avec elle, je suis prêt à parier que cet enfoiré n’est plus puceau !

Voyons les choses du bon côté, ça me permet de ne pas l’avoir sur le dos et ce n’est pas négligeable ! À moi la liberté ! Je peux désormais me rendre à la soirée, reportée à cause de lui. Jimmy me fait visiter l’immense salle que son père et le conseil municipal de notre commune nous ont allouée. À partir d’aujourd’hui, nous avons notre trousseau de clefs et nous pouvons en disposer jour et nuit à notre guise.

Nous sommes vraiment heureux de ce local et une multitude de projets fourmillent dans ma tête pour l’occuper, alors que Jimmy est déjà en train de remplir le frigo de divers sodas et boissons alcoolisées.

— Tu m’avais pas dit que ton vieux fournissait le bar ! je lui fais remarquer.

— T’es con ! C’est Ashton qui est passé déposer tout ça !

— Cool !

Je continue de faire le tour du propriétaire pendant que mes potes commencent à arriver. La pièce est toute tapissée de lambris en bois, on se croirait dans un chalet immense qui peut facilement contenir une centaine de personnes.

Il y a un très grand comptoir qui sert de bar et un minuscule local adjacent qui ferme à clef et dans lequel se trouvent un canapé vétuste et des fauteuils.

— C’est la salle pour la fume, m’indique Jimmy en me désignant tout son attirail.

Sa collection de narguilés et pipes est exposée sur une vieille table basse bancale qu’il a calée avec une canette de bière vide écrasée. Je fais le tour de son matériel en réalisant que mon ami y va un peu fort sur sa consommation ces derniers temps.

— Fais quand même gaffe avec la fumette, tout est en bois ici ! Un mégot et tout flambe !

— C’est pas toi qui va me faire la morale sur les conneries, s’esclaffe-t-il quand Dakota franchit la porte d’entrée.

Jimmy s’arrête aussitôt de rire en l’observant s’approcher de moi. Il me fusille du coin de l’œil, mais se garde bien de dire quoi que ce soit en nous voyant nous faire deux bises.

— Vous venez m’aider ? nous demande-t-elle, j’ai toute la bouffe pour ce soir dans la voiture de papa…

Nous nous retrouvons rapidement une bonne quinzaine de lycéens à manger et picoler tous ensemble autour de la table grandissime de la cuisine. La soirée est fortement alcoolisée. Le nombre de bouteilles dépasse largement celui des fêtards. Mes frères étant absents, je n’ai aucune limite, personne pour surveiller la quantité de verres que je m’enfile. Je suis libre sans eux, pour une fois, je n’ai pas besoin de me cacher. Dans le pire des cas, je squatterai le canapé jusqu’à demain matin si je ne suis pas en état de rentrer. L’ivresse me va plutôt bien, j’ai l’alcool gai. J’aime me sentir euphorique et je ris tout le temps.

Nous sommes tous ensemble et j’oublie toutes mes envies perverses concernant Dakota. Je souhaite juste déconner et le monument aux morts, que je vois à travers la fenêtre, éclairé par les spots municipaux, me nargue depuis tout à l’heure. Le drapeau sur le mât voisin me lance de nombreux appels au gré des coups de vent. La bannière tricolore s’agite vers la droite, et de loin, le rouge et le bleu ont quasiment disparu. Seul le blanc rendu fluorescent par la lumière artificielle vole dans la nuit. Il faut absolument que j’aille observer ça de plus près…

— Tu vas où ? me demande Dakota en me voyant franchir la porte pour me diriger vers la place publique.

— Pisser, tu veux venir tenir Popol ?

Je me retourne en souriant pour analyser sa réaction.

— Non, merci ! refuse-t-elle rapidement en vérifiant que son frère n’a pas entendu ma proposition indécente. Je préfère t’attendre.

Elle secoue la tête de manière désespérée et part rejoindre Jimmy.

Il fait encore chaud, la pleine lune brille au milieu du ciel étoilé. Après m’être soulagé contre l’église, j’affronte ce putain d’étendard patriotique. La Marianne du monument aux morts m’expose sa poitrine et ce manque de délicatesse me donne l’idée du siècle.

Je descends le fanion français de son mât et le roule en boule pour le coincer sous mon coude. Puis j’escalade difficilement la statue qui trône au milieu du massif fleuri. N’ayant aucune prise pour grimper, j’ai beaucoup de mal à atteindre Marianne et son sein à l’air. Délicatement, je la serre dans mes bras. Elle est belle et fait quasiment ma taille. Je lui colle un bisou sur la bouche puis lui murmure en l’habillant, ma tirade préférée de Molière dans Le Tartuffe :

Couvrez ce sein, que je ne saurais voir.

Par de pareils objets, les âmes sont blessées,

Et cela fait venir de coupables pensées…

Après l’avoir vêtue de sa robe tricolore, je lâche ma Marianne pour sauter au milieu du parterre de géraniums. Je jette un coup d’œil satisfait à mon œuvre d’art puis je m’incline pour lui faire une révérence majestueuse avant de rejoindre mes amis qui ne se sont rendu compte de rien.

Durant le reste de la soirée, je garde mes distances avec Dakota, il ne faudrait pas qu’elle s’imagine que je la kiffe. De temps en temps, je la reluque avec insistance, assez pour qu’elle le voie et la minute d’après, je l’ignore totalement. Je sais que quoi qu’il arrive, elle va finir par craquer et venir vers moi. Il suffit juste d’être patient.

Il est à peu près six heures lorsque, dans un état plus que lamentable, je pars me coucher.

Le cri de mon père qui articule mon nom me tire d’un rêve érotique.

— Tonio, si tu ramènes pas tes fesses de suite, tu vas en chier jusqu’à la fin des vacances ! menace-t-il.

J’ouvre grands les yeux et je comprends, au son de sa voix stridente que la situation est grave. Je descends en boxer, tout en m’accrochant à la rampe de l’escalier pour ne pas trop tituber.

— Allo ! je lance à mon paternel au lieu de dire bonjour.

Ma réflexion, complétée par mon allure agonisante fait rire Max qui est en train de déjeuner.

— T’as foutu quoi, hier soir ? m’attaque directement mon père.

J’essaie de remettre dans l’ordre les moments de la soirée : l’alcool, la fume, l’alcool, la fume, l’alcool, Dakota, la fume, l’alcool… Une fête tranquille, plus que normale…

— Rien ! j’avoue sans certitude.

Max la balance pouffe à côté de moi et je lui lance immédiatement un regard noir pour tenter de l’empêcher de parler, mais en vain. Il se fout de ma gueule en jetant un coup d’œil par la fenêtre et me traite de menteur.

Je suis lentement la direction de ses yeux pour découvrir au travers de la vitre, le Maire et son premier adjoint, grimpés sur une échelle pour décrocher le drapeau national.

— Ah, ça ? je réfléchis à voix haute, un peu inquiet.

— Ouais, ça ! approuve mon père furieux. Comme tu dis !

— Je vais tout t’expliquer…

— Tu as tout ton temps pour le faire ! me prévient-t-il. Pas de surf ni aujourd’hui ni demain ! Dégage dans ta chambre !

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