Chapitre 36 - 1572*

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Chapitre 36

Nous sommes planqués sous la plus grande rampe du skate park. Nous nous amusons un long moment au trou du cul, appelé aussi P.D.G. J’adore jouer aux cartes, je suis un bon stratège. Ce jeu ne nécessite pas forcément beaucoup de chance, tout est dans la patience et la ruse. Le but est de se débarrasser le plus vite possible de toutes ses cartes. Celui qui termine le premier gagne la partie et devient le Président, alors que le perdant est le trou du’c... Il n’existe pas plus mauvais joueur qu’Ashton, et c’est lui qui met fin à la manche en me balançant son jeu à la figure.

— Tu fais chier, bordel ! râle-t-il alors qu’il ne s’est pas déchargé d’une seule carte de la partie. T’attends toujours avec tes trois cartes de merde pour les poser au dernier moment et finir le premier !

— C’est le jeu, ma pauvre Lucette ! je me vante en ramassant les cartes éparpillées.

— Ta gueule ! riposte-t-il énervé.

— Appelle-moi Président, s’te plaît, espèce de trou du’c !

Je me lève pour couper court à la discussion qui risque fort de s’envenimer. J’attrape mon skate et je saute dessus en prenant de l’élan pour virevolter sous la pluie. Dakota et Marion restent toutes les deux à l’abri à câliner mon chien, alors que tous les garçons s’amusent sur les différentes rampes. Nous nous entrecroisons pour faire quelques figures. Je ne réfléchis pas vraiment aux tricks que j’effectue. Je les fais naturellement en fonction de l’impulsion. Je ne suis pas suffisamment concentré pour tenter de nouveaux trucs car je sens les regards de Marion et Dakota sur moi. Je préfère les choses simples, appuyées de quelques grimaces, histoire de faire rire les meufs.

Le parc devient rapidement trop petit. Nous nous éloignons vers la rue piétonne, pour voir si nous croisons une connaissance. Max y retrouve Agathe qui fait les boutiques avec des filles de sa classe. Nous le laissons avec elle pour revenir auprès de Marion et Dakota qui n’ont pas bougé.

Dans la soirée, le temps est toujours aussi humide, alors nous nous dirigeons tous à l’arrêt de bus pour rentrer chez nous. Dans le centre-ville, les touristes affluent sur les trottoirs. Max nous rejoint, et en attendant le car, nous remontons sur nos skates pour faire du gymkhana avec les voitures qui roulent au ralenti. Je ne sais pas comment se débrouille mon frère, mais il perd l’équilibre et se luge comme un débutant. De loin, je constate qu’il reste assis par terre, penché en avant, et je comprends qu’il s’est blessé.

— Qu’est-ce que tu fous, branleur ? je le questionne en m’arrêtant à côté de lui.

— Bordel, je me suis explosé le doigt !

Je remarque rapidement à ses traits crispés et son visage tendu qu’il souffre. Il tient sa main qui dégouline de sang sur son sweat et demeure plié en deux sur le bitume.

— Fais voir ! Ah, ouais, quand même ? je confirme en observant son bout de doigt qui ressemble à un morceau de steak haché bien frais. T’as un problème ! Faut récupérer ton ongle, je crois que ça se greffe et bouge ton cul de la route, tu vas te faire écraser !

— Putain, ça fait trop mal ! gémit-il en grimaçant.

— Tu vas pas lâcher une larme, quand même !

Je me moque de lui en cherchant son ongle partout.

— Ta gueule !

— Ooohhh Jimmy ! je hurle. Faut appeler les pompiers. Max, tiens ! Il est là, ton ongle !

— Ça va ? s’inquiète Marion.

— Non ! je lui dis en secouant la tête, tout en ramassant l’ongle de mon frère. T’as pas un kleenex pour conserver son ongle ? Jimmy, fais-le allonger sur le trottoir, sinon il va nous tomber dans les vaps, cet abruti ! Regarde la gueule qu’il a, il tourne au vert !

Je ne suis pas sensible au sang. Au contraire, j’aime bien contempler les blessures, le corps humain m’a toujours intrigué. Un temps, je me suis beaucoup intéressé aux greffes ou même encore à la gynécologie.

— J’appelle les pompiers, propose Dylan, impressionné par l’état du doigt de Max.

— Je préviens ma mère pour qu’elle nous retrouve avec ton père ? me suggère Marion.

— Ouais, je téléphone à mon père de mon côté.

Une heure plus tard, tous mes amis sont rentrés chez eux, sauf Marion. Les pompiers viennent chercher Max et son ongle. Mon vieux, qui nous a entre-temps rejoints, monte avec lui dans l’ambulance. Il grimace en découvrant la blessure de Max. Puis, sur les consignes des pompiers, il s’assoit à ses côtés en tentant de le rassurer entre deux reproches.

— Tonio, tu récupères les papiers de la Sécu à la maison, m’ordonne-t-il.

— Ils sont où ?

— Tu cherches ! s’impatiente-t-il. Quand tu les as, tu m’envoies Maurice avec ! Et tu me laisses ce clébard où tu l’as trouvé !

— Ouais ! je rouspète en regardant Gipsy tristement.

Les portes de l’ambulance se ferment sur mon père et ils prennent le chemin des Urgences.

La mère de Marion attend que je dise au revoir à mon chien. Je dois l’abandonner où je l’ai rencontré, c’est à dire dans cette même rue où Max s’est blessé. Je questionne tout de même un commerçant avant de partir, pour vérifier si Gipsy est connu, et il me confirme que c’est le chien de chasse du propriétaire de la pharmacie… Avec beaucoup de regrets, je laisse Gipsy retourner chez lui.

De retour au village, Marion m’accompagne chez moi.

— T’as besoin d’aide ? me demande Marion, embêtée pour moi.

Je tourne en rond dans la maison, en ouvrant tous les tiroirs et portes des placards. Marion me suit de près.

— Ouais !

Je n’ai aucune idée de ce à quoi ressemblent les papiers de Sécu. Nous nous dirigeons dans la cuisine pour fouiller le buffet.

— Ton père doit avoir une carte vitale, tu sais, une carte verte avec sa photo, m’explique Marion en accompagnant ses paroles de gestes.

— Ouais, ouais, je vois… je fais, tout en réfléchissant à l’endroit où cette foutue carte peut bien se trouver. Faut que je te dise un truc sur Dakota…

Je m’immobilise quelques secondes pour observer Marion.

— Quoi ? Si c’est que tu sors avec elle, tout le monde s’en doute… dit celle-ci en levant les yeux au ciel.

— Je sors pas avec elle !

Je soupire en reprenant mes recherches. Marion n’a pas l’air jalouse et je suis un peu déçu de son interaction. Je m’attendais à ce qu’elle me fasse une scène, mais ce n’est pas le cas.

— Ah bon ? s’étonne-t-elle.

— Non ! je nie en la fixant pour examiner sa réaction. On s’est seulement embrassés comme ça !

— Ouais, donc t’es sorti avec elle ! me contredit-elle, enfin agacée.

— Non, je te dis que c’est juste comme ça !

C’est très flatteur de sentir qu’elle tient à moi. En souriant du coin des lèvres, je continue calmement mes recherches au milieu de la montagne de papiers de mon père.

— Ok ! accepte-t-elle, satisfaite de ma réponse. Qu’est-ce que tu voulais me dire, sinon ?

— Juste ça !

— Mais t’es amoureux d’elle ? me chuchote-t-elle timidement, une pointe d’angoisse dans la voix.

— Non, je te l’ai déjà dit ! J’aime personne !

Je suis sincère dans ce que j’avance. Mais lorsque je lève la tête pour la dévisager, je suis beaucoup moins sûr de moi. Marion est troublée et ses questions me perturbent. J’aime bien la taquiner et la voir perdre ses moyens, surtout quand elle devient possessive. Mais je ne souhaite pas qu’elle s’immisce dans mes choix.

— Ok ! Et tu comptes faire quoi avec elle ?

Elle tente de me faire formuler mes véritables intentions. Lâchement, je replonge dans le bas du buffet et, pour défier ses sentiments, je lui avoue :

— Tout ce qu’elle voudra…

Puis aussitôt, je brandis la pochette qui contient tous les documents en m’exclamant :

— Ah, ça y est, j’ai trouvé les papiers !

— Cool, pour les papiers, me lâche Marion froidement. `

J’ignore son comportement et me mets à vider l’étui sur la table de la cuisine pour vérifier que tout y est. Puis je demande :

— On reporte la fête à demain ?

— Ouais, bonne soirée ! me lance-t-elle en m’abandonnant brusquement à mon sort.

— Marion, t’en va pas comme ça !

Je lâche tous les documents pour essayer de la retenir par le bras, en réalisant soudain que je l’ai probablement blessée.

— Arand, c’est bon, oublie-moi, OK ? m’intime-t-elle en me repoussant pour se libérer de mon emprise.

Quand elle m’appelle par mon nom, c’est mauvais signe. Je me rends compte qu’on ne se comprend vraiment pas tous les deux et tandis qu’elle s’éloigne, je crie dans son dos :

— Oh bordel, tu fais chier, Marion ! T’es bien une gonzesse, toi ! Jamais contente ! Je t’aurais pas dit pour Dakota, tu m’aurais fait la gueule, et là je te raconte tout, et tu fais la gueule quand même !

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