Chapitre 23 - 1365*

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Chapitre 23

À l’occasion de la fin d’année scolaire, l’association de notre lycée organise un bal dédié aux Terminales. Les épreuves du baccalauréat viennent de s’achever et tous les élèves attendent leurs résultats. J’aurais vraiment souhaité assister à cette soirée, mais n’étant qu’en Seconde, je n’y suis pas convié. Depuis quelques temps, Paulo ne parle que de cette fête phénoménale, qui devient pour moi, une obsession. Je pense à cette putain de soirée jour et nuit. Il faut que je trouve un moyen d’y participer, mais à moins de sauter deux classes dans la semaine, je n’ai aucune solution. La seule chose qui me console, c’est que Max n’ira pas non plus et qu’Agathe n’aura pas de cavalier. Rien que pour cette raison, je me réjouis, jusqu’à ce que mon frère explose littéralement ma petite satisfaction pendant le dîner.

Alors que nous sommes tous les quatre attablés dans la cuisine, mon père râle en essuyant ses doigts pleins de ketchup :

— C’est la dernière fois que tu nous fais cette merde à bouffer !

— Quoi ? Ça dépayse !

Pour une fois que je prépare un vrai repas, il ne devrait pas se plaindre. Moi, je pourrais m’en faire péter le ventre, et d’ailleurs, je me ressers largement.

— C’est mieux que les « chips saucisson » d’il y a deux jours ! se moque Max.

— Oui, il progresse ! approuve Paulo qui se goinfre.

— Moi, ça me plaît !

Mon père me regarde de travers, car je parle la bouche pleine. Il avale sa dernière bouchée et cherche ses lunettes et son journal pour éplucher les nouvelles quotidienne et, comme à son habitude, pester sur la bêtise humaine.

— C’est sûr que c’est pas Reblochon ! se marre Paulo en se servant son troisième hot-dog.

— Reblochon, c’est le fromage, du con ! Le chef étoilé, c’est Robuchon !

J’éclate de rire, entraînant Max et mon père dans mon fou rire.

Alors que je saisis le dernier hot-dog, Max nous annonce très sereinement :

— Agathe m’a parrainé pour le bal. Et, j’ai accepté !

— Comment ça, parrainé ? C’est un bal pour les Terminales, non ?

Il prend tout son temps, cet enfoiré, un sourire béat sur les lèvres. En attendant son explication, je m’étrangle de jalousie :

— Chaque Terminale peut parrainer une Première ou une Seconde. Et Agathe m’a choisi !

Sans y aller par quatre chemins, je supplie naturellement Paulo de m’adopter comme filleul pour que je l’accompagne.

— Va te faire voir ! refuse-t-il sans même réfléchir une minute.

— S’te plaît, Paulo ! Sophie pourrait parrainer Marion et on viendrait tous les deux !

— Jamais de la vie, merdeux !

Il continue de bouffer calmement, adossé contre sa chaise de manière détendue. Il mâche lentement chaque bouchée en consultant son portable comme si de rien n’était et son rejet me fait rager. Je cherche un moyen pour l’obliger à capituler :

— Ah, ouais ? Et pourquoi ?

— Parce que tu vas encore t’arranger pour foutre le bazar pendant la soirée et que j’ai pas envie de passer la nuit à te surveiller !

— C’est dégueulasse ! je proteste en utilisant le ton d’un condamné à mort à qui l’on refuse sa dernière cigarette. Papa, dis-lui que ça se fait pas !

— Ça te fera une cuite en moins à ton actif ! commente mon père sereinement, en tournant une page. Tu restes là ! Fous la paix à tes frères !

Il accompagne sa sentence d’un regard menaçant, en me dévisageant par-dessus ses lunettes. S’ils pensent tous les trois que je vais baisser les bras si vite, ils se fourrent le doigt dans l’œil. J’ai décidé de me rendre à cette fête et d’une manière ou d’une autre, j’irai !

Deux options s’offrent à moi : la première serait de faire du chantage à Paulo, avec tous les éléments que j’ai trouvés dans son ordi… Mais je préfère la seconde, une idée encore plus machiavélique dans laquelle je vais entraîner Marion et Jimmy.

Durant tout un après-midi, pendant que les Terminales préparent la salle pour leur soirée, Jimmy, Marion et moi aménageons notre QG, sur la toiture qui surplombe la cour du foyer rural où se déroule le bal. Nous cachons dans le vieux bâtiment désaffecté, une glacière avec deux packs de Desperados, des chips et autres snacks, ainsi que notre artillerie de pistolet paintball, achetée il y a un mois en Espagne. Je rajoute également quelques capotes périmées et une bouteille pleine pour faire des bombes à eau. Nous ne pourrons pas nous installer avant qu’il ne fasse nuit noire au risque d’être débusqués. Et nous avons plutôt intérêt à ne pas l’être, car nous nous exposons à de sérieux ennuis : tirer des Terminales comme des lapins avec un pistolet paintball est carrément interdit par la loi !

Nous nous sommes donnés rendez-vous devant chez Jimmy vers vingt-deux heures, mais finalement, l’obscurité n’est pas encore assez tombée et nous décalons d’une demi-heure. Le temps est chaud et orageux ce soir et je ne tiens pas en place à cause de l’excitation de notre merveilleux projet. En attendant, Jimmy fume tranquillement un joint en discutant du lycée avec Marion alors que moi, je vise un pot de fleurs avec des cailloux.

— Tu comptes péter la jardinière de mon vieux ? m’interroge Jimmy quand je finis enfin par la toucher.

— Ça va, elle a rien… je lui réponds en vérifiant ma cible.

— On y va ? nous invite Marion.

Durant le trajet, elle nous fait remarquer que les derniers rayons du soleil offrent à la nuit des couleurs presque romantiques, entre le rose et le violet. Moi, je ne vois pas cela du même œil. Je trouve que c’est assorti au rouge de mes balles de pistolet.

Une fois arrivés, silencieusement, Jimmy escalade le mur pour atteindre la toiture avec souplesse. Marion a quelques difficultés et je l’aide à monter depuis un petit muret en poussant ses fesses tandis que Jimmy la hisse sur les tuiles. La musique qui provient de la salle résonne et je reconnais la dernière chanson de Jul, ce qui me conforte dans l’idée que je n’aime vraiment pas le rap.

Je leur fais passer notre stock de boissons et de nourriture, ainsi que nos munitions, puis je les rejoins en rampant sur le faîtage de la maison abandonnée. Je suis à plat ventre entre mes deux amis. Les coudes appuyés sur les tuiles rugueuses, encore chaudes. Nous ne laissons dépasser du sommet que nos six yeux observateurs. Un léger vent frais commence à chatouiller nos cheveux. Nous maîtrisons nos respirations pour tendre l’oreille vers l’écho des conversations d’un petit groupe de lycéens déjà amochés par les vapeurs de l’alcool. Ils semblent parler de la présence des profs à l’intérieur.

En décapsulant ma Despérados, je constate rapidement que nous sommes mieux sur notre perchoir qu’à leur soirée pourrie.

— Y a « ton » Agathe qui sort ! me montre Marion en faisant la grimace à cause de la gorgée qu’elle vient d’avaler. C’est dégueulasse, votre « Despé » !

— C’est pas une boisson de filles ! plaisante Jimmy en finissant la sienne cul sec, avant de récupérer celle de Marion. Il y en aura plus pour nous ! Mais Agathe et ton frère, ils en sont où ?

— Rassure-toi ! je rétorque en ingurgitant une rasade. Je n’y comprends rien, moi non plus ! Si j’étais Max, il y a longtemps qu’elle serait dans mon lit.

— Non, mais toi, t’as une grande bouche ! se fout-il de moi. Et t’es toujours puceau !

— En tout cas, on est comme trois cons sur une toiture au lieu de faire la fête ! me reproche Marion. Et si Tonio se faisait moins remarquer, on aurait probablement trouvé un parrain pour nous pistonner et nous laisser entrer…

— Ouais, merci « Ducon » ! conclut Jimmy en me mettant une claque derrière la tête.

— Sauf que grâce à « Ducon » et ses idées génialissimes, vous allez faire du jamais vu ce soir !

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