Chapitre 15 - 1819 -

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Chapitre 15

Le CPE n’est pas vraiment surpris de me voir arriver dans son bureau. Je fais partie des habitués. Je suis déçu de ne pas réussir à lui soutirer une ébauche de sourire avec le petit mot que je lui tends…

— J’ai de sérieux problèmes avec vous Tonio ! Vous en êtes conscient ?

Pour une fois, j’essaie de réfléchir avant de sortir une énormité qui ne va faire qu’aggraver ma situation. Dans son costume noir tout propre, assis confortablement dans son fauteuil, mon proviseur m’affronte. Je reste debout face à lui, le dominant. Nous nous testons mutuellement depuis que je suis entré en Seconde. Lui, avec sa formation de psychologue, il cherche à m’analyser pour me manipuler alors que moi, je le pousse à bout petit à petit pour connaître ses limites.

Il recoiffe ses cheveux bruns sur le côté et remonte ses lunettes, avant de reprendre la conversation :

— D’abord les vols… Mais bien sûr, je n’ai aucune preuve ! Puis votre comportement : un mélange de « je-m’en-foutisme » et d’ego surdimensionné. Certes, vos capacités surpassent la moyenne, mais ce n’est pas une raison pour envoyer des messages de la sorte à vos camarades. Je me charge personnellement de vous accompagner samedi matin pour quatre heures de retenue. Nous travaillerons sur les limites à ne pas dépasser et le respect d’autrui.

— Il n’y a pas de bus le samedi matin et mon père n’a pas de permis, je ne pourrai pas venir, je le contrarie avec un petit sourire ironique.

Mes arguments sont valables. Je l’oblige à baisser la sanction. Il soupire et se gratte la tête. Puis, il saisit son stylo pour tapoter nerveusement sur son bureau réfléchissant avant de négocier :

— Dans ce cas-là, disons mercredi après-midi, jusqu’à l’arrivée du transport scolaire !

— C’est vous le chef, je lui lance en récupérant mon carnet de liaison pour retourner en classe.

Je repars en cours abattu pour le reste de la journée, tellement déçu qu’Agathe ne veuille pas de moi. Je rumine son béguin pour mon frère et cela me fiche carrément les boules.

Le soir avant de prendre le bus, je me confie à Marion.

— Tu l’appelles ta crush, mais en fait, t’en pinces grave pour elle.

— N’importe quoi. C’est juste que dans ma tête de taré, il faut que je revoie tous mes plans et ça fout le bordel !

— Moi, je crois que t’es amoureux !

Nous n’avons pas fini tard et le ramassage scolaire ne passe que dans une heure. Marion m’indique le banc en fer forgé dans la cour de récréation. Nous nous asseyons côte à côte. Je pose mon sac entre mes pieds alors que Marion garde le sien sur ses genoux.

— Putain, Marion, arrête de me casser les couilles avec ça ! je m’énerve, en refusant d’admettre que je suis tout bêtement jaloux. Je ne suis pas amoureux ! Je n’ai jamais été amoureux et je ne compte pas l’être avant mes trente-cinq ans au moins. Je veux être libre et profiter de la vie, sans avoir une emmerdeuse collée à moi H24.

— Non, mais comme si on pouvait contrôler ses sentiments !

Plus Marion me contredit et se moque de moi, plus la situation me désespère. J’imagine mon frère en train de roucouler à ma place dans les bras d’Agathe. Je joue avec l’anse de mon sac que je fais tourner entre mes jambes.

— Moi, oui ! je lui avance, absolument convaincu par mes propos.

— Ouais, et bien le jour où ça va t’arriver, tu vas tomber des nues !

Marion se recoiffe et redresse son chignon. Elle coince l’élastique entre ses dents pendant qu’elle récupère les petites mèches qui lui cachaient les yeux.

— Jamais, je ne veux pas me mettre en couple ! je lui explique pour la énième fois en prenant mon frère en exemple. T’as observé la gueule que tire Paulo à ta sœur ?

— C’est clair ! Il lui lèche les pieds !

— Pas que ! J’ai vu passer des trucs ! je l’informe avec malice.

— Avec toutes tes conneries, on a loupé un chapitre de leur vie sexuelle.

— C’est pas une histoire sexuelle, c’est une histoire d’amour, donc ça m’intéresse plus !

Un pigeon vient se poser à proximité de moi. Je tape du pied pour lui faire peur. Il s’envole aussitôt. Marion fait une grimace et je ne comprends pas si c’est en lien avec ce que je lui raconte ou si c’est à cause du volatile. Je récupère mon sac et je bondis sur mes jambes.

— Je sais ! Tu vas où ? me questionne Marion qui vient de se rendre compte que je ne dirigeais pas vers l’arrêt de bus.

— Il faut que tu m’accompagnes à l’infirmerie !

— Tu te sens pas bien ?

— Non !

Comme chaque jeudi soir, j’ai pris l’habitude de rentrer dans la pièce sans frapper. Marion me suit. Elle ne saisit pas très bien ce que je fais. J’imagine la tête qu’elle va faire au moment où elle va le découvrir et cela me fait rire intérieurement.

— Bonjour Tonio !

— Bonjour Mylène, je réponds en faisant la bise à la jeune femme en blouse blanche.

— Tiens, c’est prêt, sourit Mylène en me tendant une poche.

Son clin d’œil surprend Marion qui ne comprend toujours rien.

Notre infirmière est super sexy. Elle vient de terminer son école, et depuis le mois de septembre, je passe régulièrement lui rendre visite. Marion me regarde encore avec ses yeux écarquillés.

— Merci, j’espère que t’en as mis assez parce que c’est moi qui fournis mes frères, ils n’osent pas t’en demander ! je lui rétorque avec familiarité.

— Tu dois approvisionner le lycée, car personne ne m’en réclame à part toi, réplique Mylène en explosant de rire.

Marion est rouge écarlate en comprenant de quoi il s’agit, elle s’écarte de moi et me fusille du regard.

— Merci Mylène, à jeudi prochain…

— Amusez-vous bien ! nous lance Mylène quand je referme la porte.

— Espèce d’enfoiré !

Marion me frappe violemment dans l’épaule alors que je suis hilare. Elle a si peu de force que je ne me protège même pas.

— Tu te doutais bien que je les récupérais quelque part !

— Je pensais que tu avais braqué une pharmacie ! m’engueule-t-elle.

— J’ai besoin de provisions pour la soirée de samedi ! C’est l’anniversaire de Jimmy !

— Quel mytho ! s’indigne Marion en éclatant de rire. Avec ton mot pour Mégane, tu t’es grillé dans tout le lycée et t’es pas prêt de pécho !

— Je vais être obligé de me rabattre sur toi, alors !

— Va te faire voir, s’offusque-t-elle, énervée.

Elle croise les bras et mime de bouder. Je ne comprends pas ce que cela signifie. Depuis quelque temps, je n’arrive plus vraiment à interpréter son comportement et ses réflexions.

Samedi soir, nous préparons une énorme fête pour les seize ans de Jimmy. Son père a loué le foyer rural du village, être maire, lui donne quelques avantages.

Tous les lycéens sont réunis. La musique est à fond et Marion est sur la piste avec toutes ses copines de son club de danse. Elle a l’air de passer un bon moment et je ne veux pas la déranger. De mon côté, je suis occupé à autre chose, planqué dans les jardinières de la commune. Accompagné de Dylan, je suis en train de fumer quand une fille s’avance vers nous. Ne sachant de qui il s’agit, Dylan cache son pétard et tend le cou pour l’observer. Nous sommes tous les deux subjugués par l’adolescente qui marche dans notre direction d’un pas décidé.

Elle est carrément canon dans sa petite robe noire près du corps. Ses cheveux blonds relevés en chignon soulignent ses yeux bleus très maquillés.

— Salut Dylan, salut Tonio ! nous lance-t-elle. Jimmy vous cherche !

— Dakota ? je balbutie, surpris de découvrir la demi-sœur de Jimmy métamorphosée depuis l’été dernier.

— Ouais ! me répond-elle.

Elle n’a plus ses bagues, ses boutons ont disparu par la même occasion et il semblerait qu’elle n’ait pas de problème pour respirer vu la paire de poumons qu’elle exhibe.

— Putain, t’as changé ! je m’esclaffe en m’étouffant à cause de la fumée que j’ai inspirée.

— Toi aussi, t’as plus ta tête de sale gosse ! Vous venez ?

— On arrive, réplique Dylan pendant que je dévisage la bombe de quinze ans qui me sourit.

En entrant dans la cuisine, je trouve Jimmy devant le comptoir recouvert de bouteilles d’alcool. Il est en train d’enchaîner les cul-secs avec Ashton, Enzo et Max.

— Dylan, Speed ! Un verre avec nous ! gueule-t-il complètement saoul.

— Si tu veux, rétorque Dylan en attrapant deux gobelets en plastique sur la table centrale.

Il les dispose devant lui, les remplit de vodka Redbull et m’en tend un que Paulo, arrivé de je ne sais où m’arrache des mains.

— T’es con ou quoi ? Tu bois pas ça, merdeux !

Je n’ai pas toujours eu la liberté de sortir et d’agir comme je l’entends. C’est assez nouveau pour moi. Mon père a baissé les bras quand ma mère nous a quittés. Alors depuis, Paulo est devenu super protecteur et essaie de contrôler mes faits et gestes dès qu’il en a l’occasion. J’ai parfois du mal à le suivre, un jour je le fais marrer et il m’accompagne dans mes conneries tandis que le lendemain il me flique tel un psychopathe qui ne lâche plus sa proie.

Il prend ses fonctions de grand frère trop à cœur, surtout avec moi. Lui et Max se sont entendus pour me surveiller à tour de rôle. Ils sont très complices et je me sens souvent mis à l’écart. J’ai le sentiment d’être l’éternel petit dernier… Étant dans la même classe que Max, je trouve ça injuste ! Quand je les suis en soirée, ils sont toujours après moi. Mais, la plupart du temps, je suis plus malin qu’eux, je sais comment les éviter. Il n’est pas question que je me laisse commander ou emmerder par les deux casse-couilles en pleine crise d’autorité.

— Occupe-toi de Sophie, et fais pas chier ! je rage en sortant de la cuisine pour retrouver Marion, contrarié d’avoir mon frère sur le dos pour la nuit.

C’est ce moment que choisit Mégane pour me rentrer dedans et se pendre à mon cou.

— Tu couches, connard ! me murmure-t-elle.

Puis, elle s’en va en éclatant de rire. Je sens que ça va être une soirée pourrie.

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