Chapitre 11 - 1740 -

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Chapitre 11

Le lendemain matin, en traînant des pieds, je me rends à l’arrêt de bus où je retrouve Marion qui discute déjà avec Jimmy, et je perçois dans son regard qu’elle va me faire payer cher ma trahison de samedi. Pour une fois, je tente de rentrer dans le rang. Je vais faire une exception et dire bonjour à toute l’équipe…

— Salut Jimmy ! Salut Marion !

Je cherche par la même occasion à l’embrasser.

— T’es qui ? me demande-t-elle en reculant.

— Ton meilleur pote !

— Ah oui, me coupe-t-elle. Celui qui, un quart d’heure après m’avoir roulé une pelle, m’a déjà oubliée et qui en plus me laisse en plan pour essayer de se taper une nana, car elle a de plus gros nichons que moi… Excuse-moi, mais ce mec, c’est une merde, certainement pas mon meilleur pote ! Alors, va lécher le cul à qui tu veux, mais pas à moi !

Oh bordel, comment se faire casser devant toute sa bande par son amie jalouse, ça, c’est fait !

Le bus arrive et je ne tente même pas de m’asseoir à côté d’elle. J’ai le choix entre deux places : Whitney ou Dylan. Mais le pire, c’est que j’hésite… Je finis par m’avancer vers Dylan, car je suis rancunier et j’ai du mal à digérer le râteau de Whit.

— Alors, B.G, tout le lycée parle de ta salade de museaux avec Whitney !

— Ta gueule, Dylan !

— Donc t’es plus puceau !

Il n’existe pas de gars plus lourd que lui. Il a le don de mettre les pieds dans le plat et d’insister bien maladroitement.

— Va te faire voir ! Tu me saoules avec tes questions, je lui dis en plaçant mon casque sur les oreilles pour ne plus entendre ses conneries.

Sérieusement, je suis trop énervé aujourd’hui, entre Marion qui me fait la gueule et les conséquences de ma cuite de samedi qui foutent dans un état d’excitation ingérable. Je n’arrive pas à me concentrer en cours. Assis au dernier rang, je me balance sur ma chaise et je trépigne. Je me suis déchaussé et rechaussé trois fois, j’ai fait tomber ma trousse dès que j’ai pris un stylo et je tremble quand j’écris. Je ne vais pas tenir la journée, il faudrait que j’avale un cacheton, mais je n’en ai pas apporté.

Le prof interrompt plusieurs fois son cours pour m’obliger à me taire ou me calmer, mais mon corps n’obéit plus à mon cerveau, et l’envie de déconner est trop forte. Je me suis fait une sarbacane avec le tube de mon stylo Bic dans lequel je charge des chiques et les tire dans le cou de Jimmy qui est trois places devant moi. À côté de moi, Jordan a fait pareil et nous nous marrons bien. J’ai réussi à dissiper la presque totalité de ma classe.

À l’intercours de seize heures, nous changeons de salle pour aller au laboratoire de physique. Je sors le dernier et flâne derrière les élèves dans le couloir. Je rase les murs en observant Marion du coin de l’œil. Elle m’ignore complètement et ça me fait chier. Je vois à travers la fenêtre, le CPE dans la cour, occupé à donner des consignes à deux pions. Je passe devant son bureau ouvert et je jette un coup d’œil à l’intérieur. Sur une étagère trône le Graal : son iPhone en train de charger.

Bordel, il est pour moi ! Rapidement, j’observe tous mes potes qui me tournent le dos, marchant en file indienne, absorbés par leurs discussions. Les adultes sont toujours à l’extérieur. La voie est libre et je saute à l’intérieur de la pièce sur la porte de laquelle s’affiche « privé ». Je saisis le téléphone que j’éteins aussitôt, puis je rejoins à toute vitesse et le plus naturellement possible le rang devant la salle de physique. Personne ne s’est aperçu de rien. C’était tellement facile que je n’en reviens pas !

Je ne dois pas garder le portable sur moi ! Avant de m’asseoir, mon réflexe est de chercher rapidement un endroit où le mettre. Quoi de mieux que le rétroprojecteur placé sur le bureau même du prof ?

Je glisse mon trophée sous l’appareil sans que personne ne s’en rende compte. Je le récupérerai plus tard.

Le temps que le proviseur donne l’alerte, le cours sera peut-être terminé.

Dix minutes avant la fin, suivi d’un pion, il frappe à la porte de notre salle. Il faut absolument que j’arrive à maîtriser la boule de nerfs qui est en moi, prête à éclater. Je déglutis et je fais un exercice de respiration en me concentrant sur les aiguilles de ma montre. L’enquête va démarrer et je ne dois pas paniquer. C’est peut-être la fois de trop, qu’est-ce que j’ai encore fait ? Je suis en transe et je commence à transpirer.

Évidemment, le speech du CPE m’est destiné, car il connaît mes antécédents, et il me regarde droit dans les yeux en interrogeant les élèves de ma classe. Je baisse à nouveau mes yeux sur l’aiguille des secondes qui s’agite.

— Si le coupable me rend mon téléphone maintenant, il n’y aura pas de poursuites…

Qu’il aille se faire voir, plutôt crever que de me dénoncer ! Marion, assise quelques bureaux devant moi, me fusille méchamment du regard. Elle sait. Bien sûr qu’elle a deviné. Rien à faire, je ne dirai rien. J’évite de me tourner vers Max qui doit être rouge écarlate comme un fautif pourrait l’être. La cloche sonne. Pas de gendarmes à l’horizon. Le CPE ne va pas pouvoir nous retenir très longtemps, car les bus sont déjà là à nous attendre.

— Il n’y a que votre classe qui soit passée devant mon bureau à l’intercours… Si le coupable ne se dénonce pas, je porterai plainte ! se fâche le mec le plus mécontent du monde.

Il nous garde encore cinq bonnes minutes, puis finalement, il cède. Il se positionne à la porte pour nous scruter les uns après les autres, histoire de tenter de nous intimider. Nous ne serons pas fouillés, j’en suis convaincu ! C’est pourquoi, en passant devant le bureau du prof, je décide de récupérer le portable pour le glisser dans mon sac, avant de quitter la classe.

Quelques minutes plus tard, le CPE, avec son air strict et furieux, m’arrête au portail en me menaçant :

— Tonio, je sais ! La gendarmerie sera là demain matin et vous allez avoir de sérieux ennuis !

— Je ne vois pas de quoi vous parlez, m’sieur, je lui assure le plus innocemment du monde avant de monter dans le bus.

Aucun de mes frères ou de Marion ne me fait d’allusion sur le vol, durant tout le trajet. Chacun d’eux m’ignore complètement.

En descendant de l’autocar, nous prenons le chemin de la maison ensemble et muets, car Jimmy est au milieu de notre groupe. Ils protègent mon secret et je suis convaincu qu’aucun d’eux ne me trahira. Max et Paulo en raison de nos liens fraternels et Marion grâce à son amitié indéfectible. Je marche loin derrière eux et Paulo n’arrête pas de me faire signe d’avancer.

En passant à proximité du lavoir, je simule que je bois au robinet pour poser l’iPhone sur une poutre. Jimmy tourne vers sa rue et Marion entre dans sa maison. Lorsque nous ne nous retrouvons que tous les trois, Paulo m’assène une bonne gifle et me pousse contre le mur du voisin. Max nous observe, laissant comme à son habitude le travail physique à Paulo.

— Non, mais il t’est passé quoi par la tête ? gronde-t-il en frappant des petits coups sur mon front.

— De quoi tu parles ?

— Joue pas au con avec moi, Tonio, parce que c’est grave ce que tu as fait ! me reproche-t-il.

— J’ai rien fait, trou du’c !

Une deuxième gifle atteint ma joue droite. Je sens la circulation du sang s’accélérer et un sifflement résonne dans mon oreille. Il ne m’a pas loupé, le con !

— Lâche-le, Paulo ! Tu perds ton temps ! finit par dire Max avant de s’allumer une clope.

Je connais leur technique depuis des lustres, il va prendre le relai psychique. Ils pensent vraiment que je suis un blaireau. Une gifle par-ci, une autre par-là et ensuite, ils attaqueront avec le harcèlement moral. Il m’en faut plus pour m’impressionner ! Cette technique marchait bien quand j’étais plus jeune. Maintenant, ma fureur et ma rancœur sont devenues si insupportables que la douleur physique ne m’atteint plus.

— Tu l’as volé à l’intercours, quand t’étais tout seul à faire la gueule ? Tu l’as piqué pour que Marion te remarque ?

Max va tenter de me faire avouer, mais il peut toujours courir. Je suis le plus têtu. Quoi qu’ils fassent, je ne dirai rien !

— N’importe quoi !

— Pourquoi tu l’as pris, alors ? insiste Max très calmement.

— J’ai rien pris.

— On sait tous que c’est toi, Tonio. Moi, Paulo, Marion et même le CPE !

— C’est pas moi ! je nie encore.

Je m’assois par terre pour fumer une clope tranquillement.

— On te connaît Tonio, t’arrêtes pas de tout piquer !

— C’est pas une raison pour m’accuser ! je continue, détendu.

— Si, justement !

— Je suis innocent jusqu’à preuve du contraire !

— Merdeux ! râle Paulo tandis qu’il me menace du poing.

Je ne peux m’empêcher de sourire en détaillant sa main.

— Il se fout de notre gueule ! abandonne-t-il.

— Tu verras, demain matin devant les gendarmes, tu feras moins le malin, p’tit con ! se fâche Monsieur Parfait. Ils vont géolocaliser l’iPhone et toi, t’es dans la merde !

Je garde un silence méprisant, ce qui les énerve davantage.

En mettant les pieds dans la maison, je me prépare à affronter mon père, mais aucun de mes frères ne lâche le morceau. Je songe qu’à leur place je ne me serais pas gêné pour les enfoncer et je suis surpris qu’ils n’en fassent pas autant.

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