Chapitre 7 - 1957 -

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Chapitre 7

Je suis réveillé vers sept heures par les ronflements de Paulo qui dort paisiblement sur le ventre. Je retire sa couette grise aux motifs de tribaux polynésiens. J’ai chaud. Les volets sont entrebâillés et le jour commence à percer au travers. La première planche de Paulo, avec lequel il a appris à surfer, m’impressionne au-dessus de ma tête. Heureusement que je ne m’en suis pas rendu compte hier soir, je n’aurais jamais pu fermer l’œil. Elle est mal accrochée et menace de tomber. Toute sa chambre est dédiée à ses deux sports préférés. La moitié des posters représentent l’océan, l’autre moitié étant des joueurs de l’équipe de France de Rugby, sa deuxième passion.

Impossible de me rendormir, malgré la dose de décontractant que j’ai prise. À vrai dire, je ne roupille jamais le matin, et très peu la nuit. Une seule pensée tourne en boucle dans ma tête. Marion. Ma pote m’aime et je l’ai toujours appréciée. Je la trouve vraiment jolie, mais je ne veux pas de ses sentiments. Ils me mettent les nerfs en ébullition et m’inquiètent, je ne peux pas les lui rendre, c’est au-dessus de mes forces. Je ne veux pas me sentir obligé d’être redevable ou d’une certaine manière dépendant. Pourtant, Marion est importante pour moi dans ma vie quotidienne, elle représente l’un des derniers piliers qu’il me reste, elle est ma meilleure amie.

Je décide de retourner dans ma chambre. Je suis au ralenti, j’ai l’impression d’être totalement shooté par mes calmants. En vérifiant mon portable, je découvre un message de Jimmy qui m’invite à aller surfer cet après-midi… Super prétexte pour contacter Marion.

Je lui envoie un SMS.

Speed : Surf cet aprèm, ça te dit ?

Les heures passent et elle ne me répond pas. Elle me laisse mariner, comme elle sait si bien le faire. Je n’en peux plus d’attendre. Je cherche dans toutes les histoires d’amour que j’ai lues pour essayer de mettre un mot sur mes sentiments. Il n’y en a aucune qui me vienne en tête qui finisse bien. Il faut que je voie par moi-même et que j’éclaircisse cette situation. Je ne suis pas amoureux de Marion, j’en suis sûr. Je l’aime bien, c’est ma pote, mais ça s’arrête là. Enfin, je crois.

Vers onze heures, je ne tiens plus. Je traverse la rue et fonce chez elle. Je frappe énergiquement sur la grosse porte noire et essaie de rentrer, mais elle est verrouillée. Je saute la clôture du jardin dans lequel les rosiers sont en fleurs et passe par-derrière en suivant la terrasse de la piscine. Je connais sa grande maison en pierre de taille par cœur. Elle et moi, avons toujours été voisins. Je me dirige vers sa chambre qui est ouverte et je la trouve assise sur son lit, à regarder Gossip Girl sur sa tablette. Après avoir pris mon élan, je bondis pour m’allonger à côté d’elle.

— Tonio, tu m’as fait peur ! sursaute-t-elle en écarquillant les yeux.

— Tu viens surfer cet aprèm ?

— Nan ! J’ai pas envie !

— Allez, viens avec moi !

Je tire sur son bras pour qu’elle m’accorde un peu d’attention, mais elle ne me répond pas et se concentre sur sa série. Alors j’approche mon visage du sien. Seuls quelques centimètres nous séparent et je lui balance franco :

— Y a Paulo qui m’a dit un truc sur toi, hier soir !

Avec Marion, on s’est juré qu’on n’aurait jamais de tabou…

— Quoi ?

— Sophie a lâché que tu m’aimais !

— Qu’est-ce que ça peut te foutre ? fait-elle en levant un sourcil sans quitter des yeux son écran.

Elle ne bouge pas d’un iota. J’aurais souhaité la sentir embarrassée. Juste pour être certain que Paulo a dit vrai. J’ai envie de savoir, de la tester, alors mes pupilles toujours fixées sur mon amie, j’insiste :

— Ça m’inquiète !

— Pourquoi ?

— Tu sais bien ! Ça change tout ! je lui rétorque en haussant les épaules.

Parce que si c’est bien le cas, il va falloir songer à arrêter nos petits jeux malsains. Je suis un connard, mais pas au point de prendre le risque de la perdre ou de la détruire…

— M’en fous ! murmure-t-elle toujours absorbée par sa série.

— Marion, tombe pas amoureuse de moi !

— Non, mais t’es trop con des fois ! Réfléchis avant de sortir des trucs comme ça !

— J’ai dit quoi ?

— Laisse tomber ! me coupe-t-elle

Puis comme si de rien n’était, elle ajoute en fermant son IPad :

— On part à quelle heure ?

— Cool !

Je suis tellement ravi de voir que tout est arrangé que je saute sur son lit.

— Tonio, arrête, t’es malade, comme mec ! hurle-t-elle alors qu’elle tient sa tablette qui fait des bonds à chaque impulsion.

— Allez, viens ! On y va !

Seuls, à l’abri du vent dans notre tente semi-ouverte, nous attendons de nous réchauffer pour repartir à l’eau. Du haut de la dune, nous dominons l’Atlantique qui est généreux avec nous aujourd’hui. Nous avons pu profiter d’un gros swell* à notre arrivée.

Après avoir passé l’après-midi à surfer, nous discutons en prenant un goûter entre potes. Je suis allongé sur ma serviette humide et j’ai posé ma tête sur la cuisse de Marion, assise en tailleur. Elle joue avec une mèche de mes cheveux brûlés par le sel. Je devrais songer à les raccourcir. Je dois avouer que ma coupe surfeur est un peu défraîchie. Je les ai toujours eus plus ou moins longs. J’ai même été coiffé comme Axel Red des Guns’n Roses quand j’avais dix ans. Aujourd’hui, ils sont beaucoup plus courts.

Jimmy s’applique à rouler un pétard. Ce n’est pas évident, nos doigts sont flétris d’être restés longtemps dans l’eau. Nous avons tous gardé notre combinaison, car en mai, malgré le soleil, il ne fait pas si chaud que ça au bord de l’océan, mais il y a très peu de vent, c’est déjà bien ! Quelques gouttes d’eau salée ruissellent des cheveux de Jimmy, pourtant ça ne semble pas le déranger. Ses yeux globuleux sont totalement concentrés sur l’opération délicate qu’il est en train de pratiquer.

Alors qu’il allume enfin son joint, il me lance :

— Tu seras des nôtres samedi, Speed ?

— Pour quoi ?

— Fiesta ! s’exclame Dylan.

Je suis en classe avec eux deux depuis la cinquième, mais nous nous sommes vraiment liés d’amitié lors de notre rentrée en Seconde, il y a quelques mois. Ils sont toujours dans mes mauvais plans et ils apprécient particulièrement mon imagination débordante.

— C’est où ? je souhaite savoir avant de répondre.

— On ne sait pas encore, on cherche un endroit insolite !

— Au bahut ? je leur propose sans réfléchir.

— Quoi au bahut, et l’alarme ? me questionne Jimmy en plissant les yeux.

— Il suffit de la supprimer !

Pour moi, ce n’est pas vraiment compliqué, car j’ai déjà testé le système de programmation dans l’ordinateur du CPE. Ce dernier m’a convoqué il y a quelques semaines et j’ai dû attendre plus d’une heure dans le bureau qu’il daigne arriver, ce qui m’a permis de naviguer un peu. J’ai même trouvé son compte Facebook secret.

— Et tu fais comment ? demande Dylan intéressé.

— Tu rentres dans le logiciel de sécurité du lycée…

— Nan, mais tu veux finir en taule, Tonio, ou quoi ?

Marion m’arrête et me pousse dans le sable.

Tout en prenant le joint que me tend Jimmy, je me dis que ce n’est peut-être pas une si bonne idée, effectivement.

— Tu pourrais le faire ? insiste ce dernier.

— Je ne veux pas entendre ça ! Je me casse, bande de cons ! nous insulte Marion.

J’éclate de rire en l’observant se tortiller pour essayer de sortir de sa combi.

— Attends, fais voir, je lui suggère le pétard dans la bouche, alors que je me lève pour descendre la fermeture éclair le long de son dos.

Je dégage ses cheveux blonds lâchés pour atteindre le zip. Je l’aide souvent à retirer sa combinaison humide qui lui colle à la peau. Ses épaules sont parsemées de grains de beauté que j’adore effleurer. J’apprécie beaucoup Marion, et je sais au fond de moi que quoi qu’elle me demande, je serai toujours là pour elle bien que je n’aie jamais osé le lui dire. Encore moins depuis que j’ai découvert qu’elle est amoureuse de moi. Ça me bloque, je n’arrive plus à me confier comme avant.

— Arrête de fumer ta merde ! C’est vraiment mauvais avec le traitement que tu suis !

Je ne sais pas pourquoi cette fille parvient constamment à influencer mes choix. Je n’écoute jamais personne, mais, ses mots à elle sonnent comme des alertes dans ma tête. Je ne veux pas prendre le risque de briser notre relation. Même si j’ai tendance à les transgresser, je connais les limites à ne pas franchir.

— Ce n’est pas de la merde, c’est l’herbe de mon vieux ! je rétorque. Elle est bio et garantie sans traitement !

— Qu’est-ce que tu peux être con ! Non, mais fumer ta merde, c’est hyper mauvais !

— Ça me déstresse !

Je crache ma fumée dans sa direction pour l’agacer. Marion déteste me voir tirer sur des joints et me mettre la tête à l’envers, mais ces derniers temps je lui donne de véritables raisons de s’énerver. À la moindre occasion, je m’engouffre dans cette voie qui me fait planer et offre à mon âme tourmentée quelques instants de paix.

Elle enfile rapidement un gros sweat rose sur son maillot encore mouillé et range ses affaires en continuant de râler après moi.

— Ouais, ça te déstresse tellement que tu ne fais que des conneries…

— Ne me fais pas la gueule, Marion. Tu te casses en stop ?

— Nan.

— Sinon, on peut faire ta fête dans le vieux château ! je propose à Jimmy et Dylan qui se moquent de ma faiblesse devant Marion.

— Lequel ?

— Celui sur le chemin du cimetière, y a la grille du sous-sol qui est démontée…

— Comment tu sais ?

Jimmy et Dylan semblent séduits par mon idée. Alors qu’ils enfilent leurs surfs dans leurs housses, je les laisse mijoter en tendant le pétard à Dylan.

— Devine…

Quelques semaines auparavant, accompagné de Max, je suis entré à l’intérieur de cette vieille bâtisse. En skatant dans les ruelles du village, nous nous sommes aperçus qu’une grille du sous-sol avait bougé. Nous en avons profité pour visiter et surtout, en partant, nous avons bien veillé à la replacer de façon à ce que personne ne se rende compte qu’elle était descellée.

— Ça peut être cool, mais il ne faut pas trop de monde… approuve Jimmy.

— Qu’est-ce que t’en penses, Marion ?

— Déjà, je ne sais même pas si je suis invitée…

— Oh, pauvre Marion… je dramatise en la serrant exagérément dans mes bras humides.

Marion fait la grimace, mais ne me lâche pas pour autant. L’odeur de son parfum embaume mes narines et j’apprécie de la sentir si proche de moi. Je lui confirme en orientant ma bouche sur la peau douce de son cou :

— Mais si, tu es invitée. Fais-moi un câlin, poulette…

— Bon, OK ! Je viens. Mais uniquement si vous ne cassez rien !

* Swell : série de grosses vagues.

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