Chapitre 6 - 1711 -

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Chapitre 6

Le trajet du retour est assez silencieux, Marion est collée à sa portière, aussi loin que possible de moi et regarde par la fenêtre. Je n’ose pas broncher.

— Je te ramène à la maison, m’annonce Paulo en se tournant rapidement.

— Et toi ?

— Je dors chez Sophie !

— Moi aussi, je lâche en consultant Marion.

— Je crois pas, non, dit-elle simplement.

— Tu ne dors pas avec Marion, papa a été clair là-dessus !

Je ne souhaite pas rentrer chez moi, nous sommes samedi soir, il est vingt-trois heures passées, mon père a dû se mettre la tête à l’envers. Max n’est pas là, Paulo reste avec Sophie, je ne veux pas entendre mon vieux pleurer toute la nuit, merde ! Je n’aime pas le voir dans cet état. Il me fait peur et je commence à angoisser à l’idée de me retrouver seul avec lui.

— Je rentre pas !

— Tonio, me fais pas chier ! J’ai été sympa, je t’ai emmené au ciné ! me répond Paulo qui est à bout.

Je me penche vers mon frère pour le supplier :

— Papa va encore être bourré ! S’te plaît, Paulo, me ramène pas !

Marion, lève la tête et souffle. Sophie reste silencieuse et je sens Paulo réfléchir en me jetant des petits coups d’œil dans le rétroviseur. Je n’exagère rien et il le sait.

— Je vous raccompagne ! annonce-t-il enfin à Sophie sans la regarder.

Je me renfonce dans mon siège, soulagé, mais Marion qui est toujours contrariée finit par m’accuser :

— Salaud, tu te sers de ton père pour gagner le pari ! chuchote-t-elle.

— Quel pari ? je la questionne.

— J’avais dit ce soir pour Sophie et Paulo !

— Je te jure que ce n’est pas pour ça !

J’ai laissé loin derrière moi ce putain de pari. Gagner n’est vraiment plus ma préoccupation du moment ni le cadet de mes soucis. Marion n’a pas idée de ce qu’il se passe réellement ces nuits-là et ce que je ressens lorsque je découvre mon père, l’unique pilier familial restant, s’écrouler sous mes yeux. Il n’était pas ainsi avant, mais depuis plusieurs mois, il ne tourne plus rond et toutes les occasions de noyer son chagrin dans l’alcool sont bonnes pour tenter d’oublier. Je n’accepte pas de le voir dans cet état et je déteste me trouver en sa présence quand il est ivre. Tantôt il me fend le cœur, tantôt il m’insupporte de tomber aussi bas.

Paulo dépose Sophie et Marion devant chez elles sans s’attarder, ce qui est assez surprenant, puis il se gare enfin.

La lumière est allumée dans notre maison située en plein centre du village. En descendant de la voiture, je traîne un peu, repoussant au maximum le moment d’affronter l’image de mon vieux, paumé. Sous le ciel étoilé, nous fumons une clope silencieusement. Appuyés contre le capot, Paulo passe son bras autour de mon cou pour m’aider à avancer dans le noir. Bien que je n’aime pas qu’il me câline comme si j’étais un petit garçon, je me laisse faire.

Bob Marley nous indique que c’est reggae night ce soir. Mon père est pieds nus dans le jardin. Ses cheveux longs de surfeur des années 80 lui tombent sur les épaules. Il tient tant bien que mal un verre de punch à la main et se trémousse au son de la musique avec le voisin, Gary, le poivrot du village.

Paulo me pousse à l’intérieur de la maison et mon vieux ne nous remarque même pas. Alors que je l’attends dans l’escalier, mon frère passe par le bureau pour baisser un peu le son qui sort des enceintes.

— Monte, m’ordonne-t-il.

— Tu fais quoi ?

— Je vais ranger les bouteilles pleines, sinon on est bons jusqu’à huit heures du mat’ ! Va dormir.

En entrant dans ma chambre en bazar, je retire mon T-shirt et mon jean, puis je me couche dans mon lit. J’entreprends de surfer sur mon ordinateur en pensant à Agathe et à Marion, quand mon père débute ses jérémiades sous ma fenêtre. Mon volet est fermé et il est là, ivre, à hurler le prénom de ma mère.

— Nathalie, Nathalie....

Putain, je ne peux pas supporter ça, j’ai la chair de poule et je commence à être pris de tremblements que je n’arrive pas à dompter. L’image de maman, blanche et froide dans son cercueil, envahit ma tête. Ce cercueil immaculé, jeté au fond du caveau familial, gorgé de flotte à cause de la pluie le jour des obsèques, m’obsède. Est-ce qu’il s’est rempli du liquide terreux pour pourrir plus vite, ou est-ce qu’il ondule au gré du léger courant de la montée des eaux dans le tombeau ? Putain ! Paulo ! Il faut que j’aille voir mon frère. Je rentre en trombe dans sa chambre. Il est allongé en caleçon à consulter son portable.

— Viens, me fait-il signe, comprenant aussitôt ma détresse en entendant mon père gémir.

— Non, je veux pas dormir avec toi.

Je m’assois sur son lit, le corps assailli de secousses incontrôlables. Il finit par se lever, brancher son téléphone sur son chargeur et aller dans la salle de bains. Il en revient avec une boîte de cachetons et un verre d’eau qu’il me tend. Mes tremblements sont si violents que j’ai du mal à le saisir. Paulo s’installe à côté de moi et m’aide à prendre mon traitement.

— Tu… tu… tu… l’entends, je bégaie.

— C’est leur anniversaire de mariage, c’est normal qu’il pète les plombs ce soir, souffle Paulo en me tirant contre lui.

— Il… il… il… il est sous… sous… sous ma fenêtre…

— T’es pas tout seul, Tonio, je suis là ! Ça va aller, OK ?

Alors que Paulo m’emprisonne contre lui et enfonce son menton dans mes cheveux, tout mon corps continue de s’agiter. Mon frère me berce lentement et je me souviens de ma mère qui me cajolait de la même façon pendant mes crises de nerfs, le soir au coucher, attendant patiemment que le petit comprimé blanc agisse enfin. Mon oreille sur sa poitrine, je me concentrais sur les battements de son cœur qui tapait fort. Elle essayait de ne pas montrer qu’elle s’inquiétait de mon état. Ses mains lissaient fébrilement mes cheveux jusqu’à ce que je finisse par m’endormir.

— Nathalie, hurle encore mon père.

Paulo, sans bouger, met un grand coup de pied dans la porte de sa chambre pour la claquer afin de ne plus entendre les lamentations. Après plusieurs minutes de silence, toujours contre le torse de Paulo, je commence à me détendre.

— Je te l’ai jamais dit, mais je t’aime, petit frère ! murmure-t-il ému, en serrant son étreinte. Arrête de faire le con, putain ! On a eu notre dose de malheurs, OK ? Pense à Max et moi. On s’en tape du vieux !

En l’entendant prononcer ces mots, je ne retiens plus mes larmes de douleur. L’espace d’un instant dans la chaleur de ses bras, je me laisse aller et quitte mon armure de protection. Je lâche toute ma haine pour cette vie de m’avoir pris ma mère.

— Couche-toi !

— Je dors pas avec toi !

J’essuie mes pleurs avec mon T-shirt et tente d’en arrêter le flot.

— C’est pas ce que tu disais avant ! Qu’est-ce que ça peut faire, d’ici tu ne l’entendras pas !

De la même manière que lorsque j’avais quatre ou cinq ans, je finis par m’allonger face à Paulo. J’avais pris l’habitude de rejoindre son lit au moindre cauchemar. Autrefois, ça ne me dérangeait pas, mais aujourd’hui, je me sens vraiment bête de pleurnicher devant lui. Je n’ai plus envie qu’il me perçoive comme un petit garçon fragile qui a encore besoin d’être consolé. J’aimerais être fort et courageux comme lui, ne plus ressentir cette tristesse interminable.

— C’est pour ça que t’as pas voulu coucher avec Sophie ce soir ? je le questionne pour regagner le contrôle de mon corps.

Parler, parler pour ne pas l’entendre et pour ne plus penser. Parler de n’importe quoi, de n’importe quel sujet. Parler pour oublier…

— C’est plus compliqué que ce que tu imagines. Et toi, tu ne devrais pas t’amuser avec Marion.

— Je joue pas avec elle.

Je soupire en levant les yeux au ciel. La discussion va encore tourner en leçon de morale et ça m’irrite terriblement.

— Si ! Tu couches avec elle et tu kiffes Agathe.

— J’ai pas couché avec elle, je lui avoue franchement en me mordant l’intérieur de la lèvre.

Je voudrais bien qu’il pense que je ne suis plus puceau. Il me verrait certainement différemment, plus grand, plus mûr et plus vieux.

— Ouais, mais tu devrais la respecter !

— Je fais comme toi !

J’admire Paulo. Il est à l’aise avec tout le monde, il paraît toujours cool même dans les pires moments et surtout, il a une multitude de groupies…

— Arrête, c’est Marion, ta pote !

— Et toi, c’est Sophie, ta pote !

Il ne me répond pas. Je crois que je l’ai scié ! Il réfléchit et cherche ses mots en saisissant nerveusement son téléphone.

— Justement, avec Sophie, c’est sérieux !

— Tu l’aimes ? je l’interroge, totalement surpris par son aveu.

Il n’a à aucun moment été épris de qui que ce soit et a toujours déclaré qu’il ne le serait jamais, qu’il tenait trop à sa liberté pour s’engager vraiment, qu’il voulait profiter, s’amuser et que ce n’était pas compatible avec une copine.

— Je crois ! Et tu ne t’en es peut-être pas rendu compte, mais Marion est amoureuse de toi aussi !

— Mais, non, elle sait que je kiffe Agathe !

— N’empêche qu’elle t’aime, c’est Sophie qui me l’a dit !

— Marion m’aime…

Je m’endors sur cette révélation qui me bouleverse. Merde !

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