Petits et grands secrets

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11.

Jeudi 17 mai.

 Dès son arrivée à Podolsk, Nikita Rostov avait rejoint la résidence des Iodanovs. Il avait été convenu avec Masha et Gregor Iodanov, qu’il se ferait passer pour un nouvel homme de main recruté dernièrement par Gregor en personne pour venir renforcer les rangs de son clan en cette période de troubles. Le détective ne fréquentait guère les salles de sport et il n’était pas non plus particulièrement doué pour les arts de combat mais heureusement il était naturellement doté d’une grande stature et d’épaules carrées, ce qui rendait à peu près crédible le rôle qu’il était censé jouer. Et puis de toute façon cette couverture n’était censée durer que quelques jours. Il fut accueilli par Irina Iodanov qui ignorait pour sa part tout de sa venue et du motif réel de sa présence. Quand elle l’accueillit elle semblait plutôt préoccupée, pensive, et ne prit même pas la peine de faire connaissance avec le nouveau venu. D'une certaine manière, c'était bien mieux ainsi : il avait beau exceller dans l’art du mensonge, moins il devait inventer et mieux c’était pour éviter d’attraper un mal de tête en fin de journée. Elle se contenta de demander au domestique de lui indiquer son logement de fonction. Pour une maîtresse de maison, son comportement était pour le moins inhabituel, impoli certainement, voire inhospitalier.

 Nikita ne s’en offusqua pas et suivit l’homme entre deux âges qui le guidait vers les baraquements des hommes de main où il devrait résider, mais il nota dans un coin de sa tête l’attitude étrange de son hôtesse. Le détective n’avait pas de temps à perdre, et, sitôt ses affaires posées dans sa chambre, revint à la résidence, comme quelqu’un qui souhaite se familiariser avec les lieux et les gens. Une attitude somme toute normale puisqu’il était censé participer à la surveillance de la maison. Ce faisant il commença à mener discrètement une petite enquête auprès du personnel de maison. Celui-ci se révéla être une vraie mine d’informations. La maîtresse de maison lui avait heureusement laissé le champ libre. Il l’avait vue se diriger vers la piscine dans le parc derrière le logis. Il ne pouvait s’empêcher de penser que la disparition de sa bellefille ne l’attristait pas outre mesure bien qu’elle lui ait semblé « tracassée ».

 Le chef du personnel se montra un peu récalcitrant, hiérarchie oblige, mais même lui révéla certaines informations. Au terme de ce rapide tour d’horizon Nikita avait appris que chacun des habitants de cette magnifique demeure avait un secret, plus ou moins bien gardé.

 Pour commencer, à tout seigneur tout honneur, Monsieur Iodanov avait un rituel sacré comme en attestait la femme de ménage du couple : chaque soir avant d’aller se coucher, pensant que personne ne le remarquait, il embrassait le portrait de son ex-femme Masha qui était posé, bien en vue, sur la commode dans le salon. Il ne se passait pas un soir, qu’il soit sobre ou revienne d’une soirée arrosée, sans qu’il ne se livre à ce rituel. Manifestement cet homme était resté fou amoureux de sa première femme, et cela sautait d’ailleurs aux yeux quand on les voyait tous les deux comme avait pu le constater Nikita quand ils étaient venus, ensemble, le récupérer à la gare de Podolsk.   

 Ensuite, et cela devenait plus intéressant, Irina la toute nouvelle Madame Iodanov dissimulait une importante somme d’argent dans sa commode même si récemment elle en avait modifié la cachette, optant plutôt pour une boîte à chaussure cachée entre ses vêtements dans son armoire. C’est la femme de chambre qui lui en avait fait part toute fière de mettre au courant des petits secrets de la maisonnée, le nouveau venu qui était aussi beau garçon, ce qui ne gâchait rien. Le personnel de maison disait elle avait remarqué la chose mais ne se serait jamais permis de toucher à l’argent. Même le chef du personnel avait confirmé l’information précisant qu’il en avait avisé Gregor qui toutefois, jusqu’alors, n’avait pas manifesté de réaction. Cet homme était si immensément riche qu’il lui importait sans doute peu que sa seconde femme lui vole de l’argent et puis était-ce seulement un vol puisqu’au départ c’est lui-même qui le lui avait donné. Manifestement, Gregor se contrefichait totalement des projets de sa femme, c’était compréhensible puisqu’il n’avait d’yeux que pour Masha.

 Sous prétexte de faire connaissance avec tout le monde récolté, Nikita avait ainsi déjà récolté quelques éléments étonnants, troublants même pour certains d’entre eux, mais ce qui avait le plus éveillé son intérêt c’était Youri Arseniev.

 Parmi tous les hommes de main de Gregor, il y en avait un en particulier qui, à l’unanimité, avait attiré l’attention du personnel de maison par son comportement « bizarre ». Il s’agissait de Youri Arseniev. Une impression générale ne fait certes pas une certitude mais ce sentiment diffus du personnel rejoignait l’avis de son employeuse Masha qui lui avait également signalé que ledit personnage était « louche ». L’expression qui revenait le plus dans les commentaires du personnel interrogé c’était que cet homme avait l’air « faux ». Contrairement aux autres hommes de main, il ne buvait jamais. Il ne rigolait pas non plus et ne se mêlait pas aux autres. Quand il avait une minute, il s’éloignait dans le jardin afin que personne ne l’entende pour passer des coups de téléphone à on ne sait qui étant donné que tous ces gens qui le côtoyaient pourtant chaque jour ne savaient rien de sa vie personnelle. A vrai dire il n’en parlait jamais. Mais il était très apprécié de Gregor et d’Irina.

 Quand Masha Iodanov, pour se venger de l’infidélité de son mari, avait décidé de tromper ce dernier avec ses hommes de main, Youri Arseniev, à la différence de ses collègues, n’avait pas cédé à ses avances. Depuis lors Gregor avait une confiance absolue en cet homme et le mettait même sur un piédestal. Mais Nikita travaillait principalement pour Masha, et non pour Gregor, aussi quel que soient les sentiments de ce dernier pour cet homme, il le prendrait en filature dès qu’il en aurait l’occasion. Pour le moment Youri Arseniev était de garde à l’entrée principale du domaine. Nikita avait profité de son passage au bâtiment hébergeant les hommes de main de Grégor pour jeter un coup d’œil, dans la salle commune au tableau affiché des emplois du temps de chacun. Il avait la chance d’avoir une excellente mémoire visuelle et avait noté que ledit Youri ferait le planton jusqu’à 17 heures. Il avait donc un peu de temps devant lui et en attendant, il alla avec toutes les précautions possibles faire un tour dans la chambre d’Anastassia. Il profita du fait qu’Irina était sortie – direction la piscine - et Grégor absent : la voie était donc libre pour fureter un peu de ci de là.

 Au passage il décida de faire un petit détour par la chambre parentale afin de vérifier ses informations. L’argent était bien caché à l’endroit qu’on lui avait décrit mais le compte n’était manifestement pas bon : son informatrice avait évoqué une grosse, très grosse somme en petites coupures. Près de 5 millions de roubles avait-elle susurré l’air gourmand de celle qui sans nul doute avait compté les liasses. Et clairement sous les yeux de Nikita dans la grosse boîte en carton il n’y avait pas de liasses suffisantes pour une telle somme. Quelqu’un s’était servi mais qui ? Nikita nota cela consciencieusement dans son calepin puis remit la boîte à chaussures là où elle se trouvait avant de quitter la pièce. Il songea que sa propriétaire avait elle aussi dut remarquer qu’une partie de l’argent avait disparu puisqu’elle avait changé sa cachette. Il se demanda si ce changement pouvait avoir un lien quelconque avec la disparition d’Anastassia. Sa belle-fille s'était peut-être servie et avait emporté avec elle assez d'argent pour fuguer ? Dans ce cas, en s'apercevant du vol, la propriétaire de la cagnotte avait décidé de changer de cachette. Ou bien peut-être était-ce pour brouiller les pistes ? Irina Iodanov, elle-même, avait très bien pû choisir de piocher un peu dans ses réserves pour engager un professionnel afin de faire disparaître une belle-fille dont la seule présence lui était devenue insupportable, qui sait ? En tout cas, la disparition de cette somme d’argent n’était sans doute pas sans lien avec l’air soucieux de Mme Iodanov N°2.

 La chambre de l’adolescente qu’il visita ensuite était encombrée par des tas de vêtements qui jonchaient le sol, des instruments de musique en tout genre, et sur les murs il y avait de grands posters de chevaux et des photographies de ses amies. Tout semblait être à sa place, il ne manquait rien et d’ailleurs Nikita remarqua qu’une grosse valise vide avait été laissée à l’abandon sous le lit. Manifestement Anastassia n’avait pas fugué, ou bien si c’était le cas elle n’avait pas prévu de s’absenter longtemps. Le bureau en revanche était impeccablement rangé, c’est à croire qu’il n’était pas beaucoup utilisé, il y avait seulement une copie qui traînait là. Un devoir de littérature. La jeune fille avait obtenu une très bonne note, Nikita le lut en entier. Cela portait sur les « amazones » dans la littérature classique russe. Il fallait dépeindre les principaux caractères de ces femmes guerrières et inventer un personnage correspondant à une amazone des temps modernes. Avec pertinence, Anastassia avait cité le courage, comme celui de Nastassia Korolevitchna, le leadership, à l’instar de Maria Morevna et enfin la volonté propre, comme l’indomptable Nastassia Milouchkina. Curieusement, l’amazone contemporaine inventée par Anastassia portait le nom de Svetlana, l’autre jeune fille portée disparue. Nikita ne croyait pas aux coïncidences. A l’évidence, les deux jeunes filles se connaissaient, contrairement à ce que pensait sa cliente, Masha Iodanov. Or, on ne donne certainement pas le nom de son ennemie jurée à un personnage d’héroïne pensa le détective, mais plutôt celui d’une personne que l‘on estime beaucoup. C’est donc que les adolescentes n’étaient pas ennemies, en tout cas Anastassia ne détestait pas Svetlana, bien au contraire, elle avait visiblement beaucoup d’affection pour cette dernière.

 Mais pourquoi diable garder cette amitié secrète ? Peut-être que chez les Iodanov, se lier d’amitié avec une personne issue d’un milieu humble était mal perçu ? Mais ça ne ressemblait pas à la personnalité de Gregor, qui était lui-même issu d’une classe sociale modeste, ni à celle de Masha qui était tombée amoureuse de Gregor, un jeune homme « sorti du ruisseau ». Dans ce cas, peut-être, et c’était une hypothèse à ne pas négliger, qu’Anastassia éprouvait plus que des sentiments amicaux pour cette jeune fille mais elle n’osait pas se l’avouer ou l’avouer aux autres ? Après tout ce ne serait pas la première fois qu’un enfant de notable craint de reconnaître ses inclinations homosexuelles. Nikita quitta la chambre et consulta sa montre : 16 h 30. La garde de Youri allait se terminer bientôt. Il serait temps alors de rencontrer le bonhomme et de le jauger un peu. Mieux valait toujours se faire sa propre opinion que de croire celle des autres. Le détective avait regagné la longue bâtisse située dans un petit bois de bouleau entre l’entrée de la propriété et la maison principale. Les anciens communs sans doute de la propriété, qui avaient été rénovés avec assez de goût, pour abriter toute cette bande de rois de la gâchette. Masha songea-t-il n’y était sans doute pas étrangère. Chaque « employé » y disposait d’une chambre spacieuse et une grande salle, que jouxtait une cuisine parfaitement équipée accueillait les repas. Un gros poêle de faïence donnait même un petit air bourgeois à l’ensemble. Devant la maison la pelouse était parfaitement entretenue et quelques bancs s’offraient au repos des « guerriers » de Iodanov. Au bout de la pelouse un vaste parking accueillait les véhicules de ces messieurs. Nikita vit soudain les deux gardes relevés de leur faction remonter l’allée en devisant.

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